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La proie (De Thuin) La Proie

20/01/2014 8133 visiteurs 8.7/10 (3 notes)

V ictime d’un naufrage, Topulf est secouru par Tipôme et Bumble, habitants d’un continent inconnu, l’Oudropa. Ces "infectes", nom dont l’étrangeté n’a d’égale que leur physique pittoresque, sont aussi peureux qu’ils sont serviables tant ils sont persuadés que Topulf n’est autre que l’Élu d’une prophétie séculaire. Indifférent, voire moqueur, le rescapé ne souhaite qu’une chose : retrouver son fils disparu dans la catastrophe. Persuadés de ne pas se tromper sur l’identité de l’étranger, les deux autochtones décident de l’accompagner dans ses recherches. Un voyage semé d’embûches et de rencontres inattendues commence. Sera-t-il synonyme de retrouvailles ou de réalisation de la prédiction ?

Du travail entrepris il y a sept ans juste "pour se défouler", et dicté uniquement par une écriture automatique guidée par l’improvisation, David De Thuin est parvenu à développer un univers riche, haut en couleur et d’une cohérence incroyable pour un tel exercice de style. Les cent-vingt-huit premières planches, élaborées sur cinq ans, ont suffi pour convaincre l’éditeur de tenter l’aventure des mille pages et souffler ainsi dignement les cinq premières bougies de la collection 1 000 feuilles.

Bien entendu, dès la publication des premières informations sur cet album, le rapprochement est fait avec Lapinot et les carottes de Patagonie de Lewis Trondheim. Et à raison sur la forme : improvisation, nombre conséquent de planches, carcan du gaufrier (ou presque)… L’auteur d'Arthur Minus et Le roi des Bourbons n’invente rien mais transcende l'expérience. Il anéantit les idées reçues sur sa bande dessinée qui pourrait être perçue comme étant uniquement destinée à des bobos intellectualisant le 9ème Art, alors qu’il s’agit ici d’un pur récit d’aventures burlesques et sensibles d’une étonnante homogénéité. La forme au détriment du fond ? Seulement pour ceux ne pouvant se résoudre à passer outre leurs craintes du joug imposé par leur dévotion à un classicisme étriqué.

Car si La proie reste un défi déjà expérimenté par d’autres et qui peut rebuter de prime abord, De Thuin déploie une combinaison de savoir-faire et d’ingéniosité qui rend indispensable sa lecture : un sens du cadrage impressionnant d’inventivité pour ce type de case contraignant, un formidable bestiaire influencé, entre autre, par celui non moins fantastique de Raymond Macherot (Chlorophylle, Isabelle, Sibylline, Chaminou, …) ainsi qu'un sens du dialogue jouissif, le tout associé à un graphisme minimaliste mais troublant d’efficacité. L’ensemble annihile l’aspect répétitif imposé par la forme imposée et assure une fluidité qui confine à l’extase.

Le temps passe à une vitesse inouïe, aussi bien pour le lecteur que pour les protagonistes de l’histoire, ce qui peut sembler assez étrange et pourrait être le seul reproche tangible. Les saisons défilent en quelques pages sans que l’on ait l’impression que les jours et les nuits se succèdent. Rythme adapté à la durée de vie des infectes mais déroutant tant ceux-ci paraissent humains. Les thèmes abordés (la peur de l’autre, la perte d’un être proche, la religion, la manipulation, la soif de pouvoir… jusqu’à la dépendance aux stupéfiants) confortent l’impression d’un univers familier et quotidien.

Enfin, le cheminement du récit, piloté de main de maître grâce à un système d’aiguillage dont seul De Thuin détient le secret, permet de vadrouiller parmi les trajectoires des différents personnages qui ne cessent de s’entrecroiser et de se répéter, sans pour autant générer un sentiment de déjà-vu. Presque un exploit.

La proie se déguste comme de la pulpe de grühmes, se dévore avec l’acharnement des dogulfs sur une carcasse, se lit avec la même insouciance que celle d’un nabot déchiffrant une carte et apporte un bien-être proche de celui du jardin de Quif. Bref, 100% de plaisir pour ces 1 000 pages et 10 000 cases. Pari osé autant que réussi pour la collection 1 000 feuilles qui porte dignement son nom.

Par T. Pinet
Moyenne des chroniqueurs
8.7

Informations sur l'album

La proie (De Thuin)
La Proie

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L'avis des visiteurs

    cedd79 Le 15/03/2014 à 19:50:40

    Si vous parvenez à passer outre le prix élevé, le format "bottin téléphonique" et les graphismes volontairement naïfs de cette oeuvre, alors vous prendrez beaucoup de plaisir à plonger dans cette univers hostile où chaque créature, même le pire des prédateur, peut devenir la proie d'une autre.

    Si "La proie" raconte une histoire des plus classique (un inconnu débarque dans un nouveau monde et se retrouve désigné comme l'élu), les épreuves que devront affronter tous ses héros (oui, il y en a un bon paquet) seront aussi intellectuelles que physiques. Et toute la singularité de cette oeuvre réside justement dans l'approche psychologique, très sombre finalement, de ses personnages, et son rythme si particulier.

    Le pari de l'auteur était de raconter une histoire sur 1000 pages, et celui-ci est réussi.

    Prenez le temps, donc, d'ouvrir cette univers riche et développer, ou les réflexions existentielles seront nombreuses, car il faudra plusieurs heures pour venir à bout de cette histoire passionnante.