Cher lecteur de BDGest

Vous utilisez « Adblock » ou un autre logiciel qui bloque les zones publicitaires. Ces emplacements publicitaires sont une source de revenus indispensable à l'activité de notre site.

Depuis la création des site bdgest.com et bedetheque.com, nous nous sommes fait une règle de refuser tous les formats publicitaires dits "intrusifs". Notre conviction est qu'une publicité de qualité et bien intégrée dans le design du site sera beaucoup mieux perçue par nos visiteurs.

Pour continuer à apprécier notre contenu tout en gardant une bonne expérience de lecture, nous vous proposons soit :


  • de validez dans votre logiciel Adblock votre acceptation de la visibilité des publicités sur nos sites.
    Depuis la barre des modules vous pouvez désactiver AdBlock pour les domaine "bdgest.com" et "bedetheque.com".

  • d'acquérir une licence BDGest.
    En plus de vous permettre l'accès au logiciel BDGest\' Online pour gérer votre collection de bande dessinées, cette licence vous permet de naviguer sur le site sans aucune publicité.


Merci pour votre compréhension et soutien,
L'équipe BDGest
Titre Fenetre
Contenu Fenetre
Connexion
  • Se souvenir de moi
J'ai oublié mon mot de passe
AD

Mourir ou être aimé

Entretien avec Pierre Alexandrine

Propos recueillis par L. Gianati Interview 15/07/2025 à 11:57 4511 visiteurs

La vie éternelle, mais à quel prix ! Pour continuer à mener une existence sans fin, Louise doit susciter désir et envie au risque, dans le cas contraire, de redevenir une simple humaine mortelle. Pour son premier album de bande dessinée, Pierre Alexandrine dresse le portrait d'une héroïne extrêmement attachante à travers six siècles d'Histoire tout en interrogeant le lecteur sur l'Amour afin qu'il puisse trouver sa propre definition. Une vraie réussite. 

Sortir une première bande dessinée à 40 ans, ce n’est pas commun !

Pierre Alexandrine : J'envoie un message d'espoir à ceux qui pensent que c'est trop tard ! (rires) Plus sérieusement, je suis passé par pas mal de phases. J'ai écrit plusieurs romans, sans réussir à les terminer. Je suis arrivé sur le tard à la bande dessinée car j’ai arrêté d’en lire pendant presque vingt ans. La trentaine passée, je me suis dit que ça pouvait être un moyen intéressant pour raconter des histoires et de me remettre ainsi au dessin. J’ai dû apprendre ce langage très particulier en autodidacte. Il m’a fallu ensuite quelques années de plus pour trouver un éditeur.

Vous dessiniez pendant vos loisirs ?

P.A. : Pas vraiment. Je me suis mis au dessin à l’âge de 32 ans. Puis, j'ai essayé de le faire de manière un peu « professionnelle », en suivant des tutos sur internet, sur l’anatomie, la perspective... N’ayant jamais suivi de cours dans une école, ça n’a pas été évident. 

Arriver chez un éditeur en autodidacte avec un projet de plus de deux cents pages sous le bras, c’est osé !

P.A. : C’était le quatrième projet que je proposais aux éditeurs, les précédents ayant été refusés. Je pense que ça bloquait au niveau du dessin, pas encore assez abouti. Je n'avais pas encore la maîtrise de la couleur, donc je ne pouvais pas présenter de planches colorisées. Pour L’Amourante, j'ai très vite senti un intérêt de plusieurs éditeurs avec qui j'ai eu des entretiens et c'est finalement chez Glénat que j’ai signé. Mon éditrice, Julia Souchal, a bien accroché au concept et a vu que même si les planches que je proposais n’étaient pas encore très abouties, il y avait du potentiel. Ce qui a été tout à fait le cas puisque j'ai beaucoup progressé en dessin en réalisant ce projet.

Quelle a été l’idée première pour L’Amourante

P.A. : Je pense que tout m'est venu en même temps. J'étais en train d'écrire un scénario très contemporain qui tournait autour des histoires d'amour à sens unique et de fascination un peu toxique. Au bout d’une quinzaine de pages, j’ai senti que ce n’était pas ça et qu’il fallait que je trouve un concept très simple sur ce thème. Soudain, j'ai eu quasiment toute l'histoire qui m’est venue à l’esprit avec le personnage féminin et son histoire. 

Auriez-vous pu écrire cette histoire vingt ans plus tôt ?

P.A. : On m'a demandé récemment s’il fallait avoir souffert en amour pour écrire cette histoire. Je pense que oui. Si je suis tout à fait honnête, il faut également avoir fait un peu souffrir. J'avais envie de faire un retour en arrière sur mes expériences amoureuses, qu’elles aient été bénéfiques ou douloureuses. J’ai essayé d'être extrêmement lucide sur mon passé et je me suis servi de cette matière. Évidemment, aucune situation dans l’album ne m'est arrivée mais il y a des dynamiques que j'ai essayé d’expliquer, de reproduire, certaines que j'ai amplifiées, d’autres que j'ai transposées. Il y a certains personnages qui, dans ma vie, sont plutôt masculins et qui sont devenus féminins et inversement. Je voulais surtout raconter une histoire qui soit amusante et rythmée avec, en toile de fond, les dynamiques amoureuses dans ce qu'elles peuvent avoir d’ambivalentes. L’argument de l'immortalité m'a offert un prétexte idéal pour parler de ça. Je savais que j'allais faire voyager mon héroïne à travers tout un tas d'époques et de lieux et que j'allais pouvoir utiliser ces situations pour faire une exploration presque sémantique du concept d'amour. L’Amour est un terme tellement vague et tellement ressassé en littérature qu’il finit par soit dire trop de choses soit au contraire ne plus dire grand-chose. La phrase « Je t’aime » peut être prononcée lors de situations tellement différentes : par un père ou une mère qui embrasse son enfant avant de se coucher ou peut-être par Bertrand Cantat juste avant d’avoir assassiné Marie Trintignant... C'est le même mot, c'est la même phrase, mais ils désignent des choses tellement différentes. J’ai donc joué sur cette ambiguïté. Dans la BD, il n'y a aucun moment où un personnage affirme que L'Amour, c'est ça. C’est le lecteur qui doit effectuer cette traversée avec moi et mon personnage pour en donner sa propre version. Quels sont les bons amours, les mauvais amours ? Existe-t-il une possibilité que l'amour ne soit pas uniquement basé sur le pouvoir d’un être sur l’autre ou sur la possession de l’un envers l’autre ? Peut-il y avoir au contraire une forme d'émancipation ? 

Aimer est-il plus facile que d'être aimé ?

P.A. : C’est une angoisse qui est très contemporaine. Jadis, quand le marché de l'amour était régulé, pour parler en termes économiques, c'est à dire quand le mariage était arrangé et quasiment obligatoire, on ne se posait pas toutes ces questions-là. Aujourd'hui, dans les sociétés occidentales, personne ne va aller vous dire qui vous devez épouser. Vous êtes livré à vous-même et vous devez gérer votre carrière amoureuse un peu comme on gère une carrière professionnelle, en faisant des choix. Ce modèle sociétal a tendance à nous rendre cynique, pire encore avec les applications de rencontres qui déterminent votre valeur sur le marché. Ce n’est pas moi qui ai inventé tout cela, Houellebecq en parlait déjà il y a trente ans, Eva Illouz, une excellente sociologue, en fait de très bons bouquins. De mon côté, ce n’est pas tellement l'histoire du sentiment amoureux qui m'intéressait. La malédiction de l'héroïne est une sorte de transposition fantastique de quelque chose que je ressens aujourd'hui dans la société. Par exemple, je pense qu'aujourd'hui les sentiments font beaucoup plus peur que le sexe. Je trouve qu’il y a beaucoup de malentendus, de chaos, de désillusions autour du phénomène amoureux. Les gens ont peur de s'engager, de faire le mauvais choix, de souffrir tout simplement. 

Ce besoin permanent d’être aimé se ressent particulièrement sur les réseaux sociaux…

P.A. : Il existe un paradoxe entre cette espèce d'injonction à être libre et autonome, à mener sa vie comme on l’entend et ce besoin, intemporel, d'être aimé, d'être proche des gens et d'avoir des personnes sur qui on peut compter. Les gens qui conçoivent les réseaux sociaux ont très bien compris ça et ils utilisent ces affects qui sont très profonds en nous pour s'enrichir.

Le récit se déroule sur environ six siècles. Êtes-vous un passionné d’Histoire ?

P.A. : Oui, j'avais vraiment envie de dessiner ces périodes-là. Le monde contemporain, d'un point de vue esthétique, ne m'intéresse pas tellement. Il y a des dessinateurs qui font ça de manière magnifique, qui arrivent à peindre, à faire des rues, des voitures, ou je ne sais quoi. Ce n’est pas du tout mon truc. J'avais envie de dessiner des châteaux, des cités anciennes et des forêts. Je savais que cette histoire-là me permettrait de le faire. Je ne connaissais pas si bien que ça certaines périodes que j'évoque comme le XVᵉ siècle ou la période de la guerre de 100 ans. Ainsi, j'ai beaucoup lu de livres d'Histoire, dont ceux de Michelle Perrot, qui concernaient la politique, les mentalités et les femmes. Il y a vraiment eu un plaisir de curiosité et de découverte.

Les tenues vestimentaires changent aussi énormément d’une époque à l’autre…

P.A. : Ces recherches m’ont passionné. Je pense que ça a dû réveiller le styliste ou le costumier qui sommeillait en moi. 

L’idée de démarrer le récit à l’époque contemporaine et de poursuivre par un long flashback s’est-elle imposée rapidement ? 

P.A. : Je pense avoir eu l’idée assez vite. C'est un canevas assez classique qu’on peut retrouver dans Citizen Kane ou Entretien avec un vampire par exemple. Ce qui m’intéressait dans mon scénario, c’est d’avoir un personnage qui peut parler du passé en l'ayant vécu. Louise a donc un regard très distancié sur les siècles passés qu’elle raconte avec une voix off. Dans le même temps, elle a également un regard distancié sur le présent, sur le XXIᵉ siècle, car elle a vécu tout ce qu'il y a avant. Pour elle, le garçon qu’elle rencontre au début de l’histoire est comme un nouveau-né qui n’a encore rien vécu, qui ne connaît ni la misère, ni le froid. J’ai pris plaisir à imaginer ce que penserait quelqu’un qui a connu toutes les époques antérieures, qui n'aurait pas le nez complètement dans le guidon, qui ne serait pas né, comme nous, dans un siècle de confort.

Vous évoquez le film Entretien avec un vampire. Le thème du vampirisme est présent également dans votre livre…

P.A. : J’adore les histoires de vampires et j'assume complètement le terme. La différence, c’est que ça ne parle pas de sang mais de sentiments. La métaphore est déjà présente dans le Dracula de Bram Stoker qui contient déjà une importante connotation sexuelle. Dracula est un prédateur, un agresseur sexuel d'une certaine manière. Je pense qu'il y a des romans de vampires qui ne se l'avouent pas comme Les Liaisons dangereuses de Laclos dans lequel les deux personnages sont des séducteurs et des manipulateurs. C'est un thème que j'avais envie de réactiver en lui donnant une touche un peu plus moderne. 

Graphiquement, qui vous a inspiré le personnage de Louise ? 

P.A. : J’ai déjà dû composer avec les limites de mon dessin puisque je ne suis pas dessinateur de formation. Je me considère plus comme un scénariste qui dessine. J’ai eu le personnage de Louise assez rapidement et je l’ai immédiatement imaginée blonde. Je voulais qu’elle accompagne le lecteur, donc je savais que je n'allais pas du tout la sexualiser. Dans le même temps, il fallait aussi qu'on comprenne qu'elle plaît aux hommes pour que ce soit crédible. Je lui ai donc donné un visage suffisamment neutre pour que le lecteur puisse s'identifier à elle, sans qu’elle soit un objet de désir.

Parmi la galerie impressionnante de personnages secondaires, y en a-t-il un que vous retenez particulièrement ?

P.A. : Il y en a un que j'ai aimé détester, c’est Martin. J’ai pris plaisir à le rendre mauvais. Même si on peut comprendre pourquoi il est comme ça, on ne peut pas non plus l'excuser. J'avais envie de creuser tout ce qu'il peut y avoir de toxique dans l'amour à travers ce personnage. 

Louise reproche aux hommes de ne voir d'elle que l'apparence et d'idéaliser ce qu'elle peut être…

P.A. : C’est sa tragédie. Elle est obligée de se faire idéaliser pour survivre tout en sachant que c'est une espèce d'arnaque. C'est quelque chose que l’on retrouve par exemple chez les stars de cinéma. Je pense à Marilyn Monroe par exemple, qui était désirée par tous les hommes hétérosexuels de la planète et qui était au fond très malheureuse parce qu'elle sentait que ce n'était pas elle qu'on aimait mais une image ou un songe.

Pour revenir sur les réseaux sociaux, c’est un espace dans lequel on cherche justement à idéaliser sa propre existence…

P.A. : C’est un mécanisme qu'on retrouve partout et dont personne n’a guéri. On a beau connaître la fin tragique de Marylin Monroe, savoir que ce n’est pas un objectif viable, tout le monde court après. Tout le monde veut être jeune et beau et mince, moi le premier. 

Quels ont été vos premiers contacts avec les lecteurs ? 

P.A. : J’en suis très content. Il y a des gens qui me disent qu'ils sont touchés par l'histoire et ça fait plaisir ne sachant pas du tout ce que ce premier album allait donner. J'ai l'impression que le livre plait plutôt aux femmes, j'imagine qu'elles s'identifient plus que les hommes aux personnages et à la problématique soulevée par la BD. 

Avez-vous été surpris par des questions ou des réactions auxquelles vous ne vous attendiez pas ? 

P.A. : J'ai caché énormément de choses dans la BD, des doubles sens, des métaphores.... Et j'ai un peu ce fantasme de l'auteur que le lecteur les découvre toutes. Il y a des choses qui me paraissent évidentes  que personne ne m'a encore relevées, à part une ou deux lectrices. J’aimerais donc que les lecteurs se mettent un peu au boulot ! (rires) 







Propos recueillis par L. Gianati

L'amourante

  • Currently 3.63/10
  • 1
  • 2
  • 3
  • 4
  • 5
  • 6

Note: 3.6/5 (16 votes)