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En lettres capitales

Entretien avec Valentine Cuny-Le Callet

Propos recueillis par L. Gianati Interview 19/09/2022 à 10:38 5193 visiteurs



Valentine Cuny-Le Callet a dix-neuf ans quand elle entame sa correspondance avec Renaldo, un condamné à mort qui purge sa peine dans une prison de Floride. Du lien d'amitié qui se tisse entre ces deux jeunes gens naissent un récit édité chez Stock, Le monde dans 5m², et Perpendiculaire au soleil, une formidable bande dessinée qui marque de son empreinte la rentrée littéraire. 


Vous avez été très tôt sensibilisée aux problématiques liées à la peine de mort…

Valentine Cuny-Le Callet : Les premier contacts que j’ai eus au sujet de la prison et de la peine de mort étaient presque « artistiques » : la lecture de La Ligne verte (roman de Stephen King, NDLR) et la confrontation à des images très fortes comme la photo de l’exécution de Ruth Snyder dans les années 20, première photo d’une exécution sur la chaise électrique. Ce qui m’a poussée à m’engager à l’ACAT (Action des Chrétiens pour l'Abolition de la Torture et de la peine de mort - https://www.acatfrance.fr, NDLR) quand j’ai eu dix-neuf ans, ce sont les attentats des années 2015 en France en janvier et novembre. Ces événements ont un peu remis la question de la punition au cœur du débat public et c’est aussi en 2015 que la population française est redevenue majoritairement favorable à la peine de mort. Cette question a été poussée dans le débat public par le FN et Marine Le Pen notamment. Le programme du FN mentionnait d’ailleurs de soumettre la peine de mort à un référendum. Je me suis donc retrouvée au milieu de ce débat brutal et j’ai eu envie de pouvoir m’engager à ma microscopique échelle de façon concrète. Je me suis rapprochée de l’ACAT, association chrétienne mais œcuménique. Ça m’intéressait de travailler avec des gens qui sont motivés par leur foi pour avancer alors que je ne suis pas moi-même de confession chrétienne. Je me suis donc inscrite à ce programme de correspondance de l’ACAT avec un condamné à mort. C’est ainsi que j’ai rencontré Renaldo.

Quelles étaient vos motivations pour entretenir une correspondance avec un condamné à mort ?

V. C.-L.C. : Je souhaitais agir dans le domaine de la prison et de la peine de mort. J’avais très peu de certitudes, sauf celle que personne ne devrait être condamné à mort, sous aucun prétexte. Cette certitude m’a permis d’entrer dans ce projet de correspondance, et m’a servi de base pour me confronter à des questionnements plus larges, sur la justice, le système carcéral. Je n’avais pas du tout dans l’idée de faire quoi que ce soit en rapport avec une étude sociologique ou un projet artistique, du moins au début. Quand j’ai commencé cette correspondance, je ne savais même pas avec qui j’allais être mise en contact. Je ne savais pas si ça allait marcher, je ne savais pas si j’allais pouvoir continuer dans le temps… sauf que j’ai eu la chance de tomber sur quelqu'un avec qui j’avais énormément d’atomes crochus ! Je me suis engagée à dix-neuf ans, lui a été condamné quand il en avait vingt et je l’ai rencontré quand il en avait vingt-huit. Il y a un petit écart d’âge mais nous étions quand-même jeunes tous les deux. Je dessinais, il dessinait aussi, on écrivait… Ce sont donc ces liens d’amitié qui ont fait qu’ensuite nous avons mené ces projets artistiques. Il y a eu le livre, Le Monde dans 5m², la BD, Perpendiculaire au soleil, et je travaille actuellement sur un projet de thèse à propos des arts plastiques dans le couloir de la mort aux États-Unis. Tout ça est vraiment venu au fur et à mesure.


Pensez-vous que ces affinités avec Renaldo soient le fruit du hasard ?

V. C.-L.C. : J’avais envoyé un mail très court à la personne qui s’occupe des correspondances à l’ACAT et il me semble que c’est censé être « premier arrivé, premier servi » pour mettre les gens en contact. Je me demande si notre âge similaire n’a pas joué mais, officiellement, ça ne marche pas comme ça. L’ACAT n’est pas une agence matrimoniale ou une agence amicale.


Vous avez choisi de ne pas vous renseigner sur les raisons de son incarcération…

V. C.-L.C. : Oui, du moins au début. Quand j’ai rédigé ma première lettre, j’ai choisi de ne pas me renseigner sur Renaldo car, de son côté, il avait simplement reçu de l’ACAT un courrier lui signalant qu’une certaine Valentine Cuny-Le Callet habitant à telle adresse allait lui écrire. Je voulais que l’on puisse commencer à armes égales sur ce point, les inégalités dans notre relation étant déjà tellement importantes... Ce n’est qu’ensuite qu’on a discuté de la question du crime pour lequel il avait été condamné. Il m’a dit qu’on était là pour partager les choses heureuses mais aussi les moins heureuses et qu’il était d’accord pour que j’aille me renseigner, tout en soutenant qu’il était innocent du crime pour lequel il a été condamné.

Sa culpabilité ou son innocence ne sont pas au cœur de votre relation…

V. C.-L.C. : Pour moi, ce n’est pas du tout le sujet. Une fois que je suis allée me renseigner et qu’il m’a dit être innocent, je n’étais pas là pour aller « gratter » et faire ma propre enquête. En m’engageant dans une relation épistolaire, j'étais prête à correspondre avec quelqu'un de coupable et qui avouerait ses crimes. La question de la peine de mort va bien au-delà de la question de l’innocence. J’ai bien d’autres choses à partager avec lui. C’est aussi l’occasion d’évoquer la représentation des victimes dans les médias et de la représentation des crimes en particulier aux États-Unis. Ce livre n’est surtout pas une contre-enquête.

D’ailleurs, dans l’album, la raison de son incarcération est très rapidement traitée…

V. C.-L.C. : Oui, et en même temps il était hors de question pour moi de le passer entièrement sous silence. J’ai repris les rapports officiels du crime qui a été commis. Pour cette scène, les visages des protagonistes ne sont pas représentés graphiquement parce qu’il n’y pas la moindre trace, pas la moindre photo sur internet de la victime du crime pour lequel Renaldo a été condamné. C‘est sans doute que la famille voulait garder cette intimité et, en même temps, ça signifie aussi que c’est une personne sans visage pour le public alors que le crime a une page Wikipédia.

La première lettre que vous avez envoyée à Renaldo a-t-elle été la plus difficile à écrire ?

V. C.-L.C. : Je pense que j’ai commencé par écrire beaucoup de premières phrases. Ensuite, une fois que c'était lancé, c'était bon. C’est une lettre que je reproduis dans son intégralité dans le livre. Elle commence avec les informations les plus basiques et j’ai essayé de penser avant tout aux gens que j’aime en les imaginant me présenter moi-même. J’ai surtout pensé aux images que je lui enverrai et ça m’a débloquée. Je travaillais à l’époque sur un projet avec des entrelacs de mains et j’ai décidé de les inclure dans mon message. Je me suis dit que finalement mes dessins en diraient autant sur moi que ce que je pouvais écrire.

C’est la phrase de Nathalie Sarraute qui vous y a fait penser…

V. C.-L.C. : Oui, c’est à partir d’un petit texte de Nathalie Sarraute intitulé « Le Mot amour » que j’avais utilisé la métaphore de mains pour représenter la conversation que deux amoureux ont à la table d’un café dans une gare ou quelque chose comme ça. Je trouvais que c'était très bien pour commencer.

La relation épistolaire s’installe… À quel moment avez-vous eu l’idée d’en faire un livre ?

V. C.-L.C. : L’idée d’écrire est venue à la suite de mes visites. La première fois que j’ai rendu visite à Renaldo, j’ai eu la chance de pouvoir le faire trois jours d’affilée, ce qui normalement n’est pas possible. J’ai donc eu ces trois jours où on a passé six heures dans la même salle à chaque fois. En plus de ça, j'étais logée chez une femme mariée à un homme qui était aussi condamné à mort. Ce furent trois jours assez incroyables où, soudainement, plus d’un an après la première lettre, on se voyait face à face. J’ai aussi pu voir le couloir de la mort. Je n’ai pas vu les cellules mais découvrir ce lieu a été un grand choc. Ainsi, à la fin de la première journée de visite, je me suis mise à écrire de manière frénétique plein de petites notes à la volée et, au final, ça a fait un paquet de quinze pages. C’est en le mettant en forme que je me suis dit que ça ferait peut-être un bouquin. J’ai eu la chance d’obtenir la confiance des Éditions Stock. Néanmoins, avant même que l’ouvrage paraisse, je me suis dit qu’il était impossible de laisser une histoire pareille sans images. Les images sont au cœur de notre relation avec Renaldo.

L’album comporte des dessins de Renaldo et, pourtant, la loi interdit que son nom apparaisse sur la couverture…

V. C.-L.C. : Depuis le début, nous échangeons des dessins avec Renaldo et il était très important de pouvoir y inclure son point de vue dans la bande dessinée. Renaldo est co-auteur, mais je n’ai pas pu mettre son nom sur la couverture. Dans l’ouvrage, il y a environ vingt-cinq de ses dessins. Certains sont des dessins extrêmement méticuleux au stylo bille noir qui ressemblent à des gravures et qui montrent l’univers extrêmement anxiogène de la prison. Il y a aussi des dessins réalisés à la gouache qui, au contraire, montrent une espèce de monde merveilleux, des paysages, des animaux fantastiques. Le but était de tisser en quelque sorte ses dessins avec les miens et de les faire s’enchaîner le mieux possible.

Adapter votre roman en BD a-t-il été facile ?

V. C.-L.C. : La bande dessinée est à la fois l’adaptation et le prolongement du livre. C’est déjà un prolongement chronologique parce que ce sont deux années supplémentaires de relation, de visites, d’évènements… C’est également un prolongement artistique. Je pense que j’ai écrit le premier livre en ayant des images dans la tête. Pour beaucoup de chapitres, les choses allaient de soi. C'était assez fluide de passer de l’un à l’autre et quasiment tout le livre original est dans la BD, pas le texte lui-même mais quasiment toutes les scènes.

Le chapitrage est-il le même que dans celui du roman ?

V. C.-L.C. : Il s’agit du même système de chapitre, mais avec beaucoup de matière en plus. Dans le roman, certains chapitres pouvaient ressembler à des scènes de pièce de théâtre, ou à des poèmes, être de longueur variée... Je ne me mettais pas de limite sur la forme que ça pouvait prendre tant que ça me semblait être un tout. Ce système de chapitres m’a donné pas mal de libertés. Le but était de former une histoire cohérente et très fluide à partir d’une concentration de détails qui peuvent paraître insignifiants mais qui sont porteurs d’un sens bien plus profond qu’il n’y paraît.

Quelles sont les techniques graphiques que vous avez utilisées ?

V. C.-L.C. : Principalement le crayon à la mine grasse, ce qui me permettait de faire un dessin réaliste le plus détaillé possible. J’ai utilisé de la gravure sur bois ou sur lino pour les scènes qui relèvent du souvenir ou pour une scène rêvée, imaginée ou fantasmée. J’aime bien ce contraste. On a l’unité du noir et blanc mais avec d’un côté le crayon qui peut avoir un velouté particulier et l’estampe, littéralement estampillée, presque tatouée, que l’on obtient avec la gravure. Ça me permettait aussi de rendre hommage à beaucoup d’auteurs que j’aime bien et qui sont des pionniers, à leur manière, de la BD. Il y a Lynd Ward, puis tous ces illustrateurs de presse communiste comme Leopoldo Méndez qui faisaient toutes leurs illustrations en gravure. C’est une imagerie à la fois populaire et très marquante. Il y a également quelques planches en papier brulé. C’est une façon de représenter certains moments particulièrement difficiles à exprimer, de créer ces images qui semblent trouées. C’est l’un des rares cas où il y a de la couleur puisque sur le liseré de la brulure on a gardé la couleur naturelle brun orangé. En ce qui concerne les dessins de Renaldo, outre le stylo bille et la gouache qu’on a évoqués précédemment, il a créé un système de vernis qu’il a mis au point en mélangeant de la colle et du gel pour cheveux. On dirait presque des glacis alors que c’est à la base une gouache très terne à laquelle il a accès.

Le papier brulé que vous évoquez est utilisé principalement pour représenter la mort…

V. C.-L.C. : C’est ça, la mort et la scène des pendus. Ces images ont été faites d’après les photographies de lynchage aux États-Unis. Il y avait, pour ces cas-là, une volonté de ne pas entrer dans le détail de la blessure, pour ne pas « se repaître » de ces scènes. Le but n’était pas non plus d’édulcorer l’image.

Les références musicales ou littéraires et la relation épistolaire peuvent paraître un brin désuètes…

V. C.-L.C. : C’est ma culture mais c’est aussi celle de Renaldo. Pour Nancy Sinatra, par exemple, c’est lui qui chantait « These fists are made for whoopin’ » en salle de visite et je lui ai demandé s’il connaissait Nancy Sinatra (En comparaison avec la chanson These Boots Are Made For Walkin’, NDLR) donc c’est par lui que c’est venu. Je pense que Renaldo et moi sommes très éclectiques, on parle tous les deux de Sister Rosetta Tharpe mais aussi d’Alabama Shakes, on a cent ans de musique dans la tête et on s’entend très bien là-dessus aussi. Ce sont donc nos deux cultures.

La nature est omniprésente dans l’album…

V. C.-L.C. : Dans le couloir de la mort, il n’y a absolument aucun accès à du végétal, qu’il soit vivant ou mort. La cour réservée aux condamnés à mort est entièrement bétonnée, il n’y a vraiment pas un seul brin d’herbe et il est interdit d’avoir des plantes en pot ou un bouquet de fleurs en cellule. Les détenus ont un rapport à la nature qui est très fort mais qui est aussi très artificiel. Il y a beaucoup de nature qui est dessinée, des fleurs qui sont sculptées… Comme vous le faites remarquer, les dessins de Renaldo sont remplis de nature. Quand je suis allée en Floride pour rencontrer Renaldo pour la première fois, j’ai découvert le climat tropical. C’est étouffant, c’est hyper riche en animaux et ça prend à la gorge. C’est à la fois extrêmement beau et écrasant. Il y a donc ce rapport un peu compliqué dans la bande dessinée entre ces deux éléments : une cellule que l’on rêve d’envahir de feuillages jusqu’à saturation complète.

Cette notion d’étouffement se remarque dès la première image de votre livre avec cette toile d’araignée dans laquelle on a l’impression de se trouver prisonnier…

V. C.-L.C. : Exactement. C’est peut-être un peu premier degré pour une histoire de prison mais j’avais envie d’avoir cette araignée. C'est une araignée néphile, dont la toile est la plus grande du monde. Je l’ai vue lorsque je me promenais dans une réserve naturelle en Floride, la forêt d’Apalachicola, qui est remplie de ces araignées. Encore une fois, il y a ce rapport un peu étrange, ce prédateur, ce piège, et en même temps une toile dorée, brillante dans le soleil extraordinairement belle.

Pourquoi ne pas avoir repris le titre du roman pour la BD ? 

V. C.-L.C. : J’aurais pu, mais je ne voulais pas. « Perpendiculaire au soleil » est la traduction d’une expression de Renaldo. Je n’avais pas forcément envie de vendre la mèche de suite mais vu que son nom ne pouvait pas être sur la couverture, on était contents de pouvoir au moins y faire figurer une de ses expressions. Elle est tellement polysémique qu’elle me plaît beaucoup. Au début, mon éditeur n’était pas sûr à cent pour cent mais j’ai réussi à le convaincre et j’en suis très heureuse.

Le choix de la couverture a-t-il été difficile ?

V. C.-L.C. : Pour moi, non. Avant même que le livre original soit sorti, j’avais dessiné un croquis de cette couverture et il y avait tout ce qu’il fallait : un portrait très frontal de Renaldo, une lumière brutale qui dessine ses traits, et ce jaillissement de végétation autour de lui et émanant de lui. Au début, mon éditeur n’était pas forcément convaincu non plus. Il y a eu un petit débat, une autre version de la couverture a été faite mais on s’est rendus compte que c'était cette image-là avec ce titre-là qu’il fallait.

Renaldo a-t-il pu avoir accès au roman et à la BD ?

V. C.-L.C. : C’est tout une affaire que de lui transmettre ce genre de chose. Il est impossible de lui envoyer un livre en langue française, qui plus est avec une couverture rigide. En revanche, pour ce qui est du roman, Renaldo est au courant de tout ce qu’il y a à l’intérieur, je lui ai même traduit certaines parties. Pour ce qui est de la bande dessinée, idem, on a discuté de toutes les scènes ensemble, il connaît le contenu de tous les éléments et il a eu accès à certaines images. Néanmoins, comme je le raconte dans la BD, il y a aussi de nombreuses images qui ont été rejetées par la prison pour des raisons diverses et variées. Le premier refus que j’ai eu, c’est parce qu’on m’a dit que mes images étaient racistes. On a ensuite refusé mes images parce qu’on m’a dit qu’elles pouvaient servir de modèles à des tatouages, ce qui est un peu la raison royale pour refuser n’importe quel dessin puisque tout ou presque peut être adapté en tatouage… Nous sommes en train de travailler, de négocier, pour trouver une solution à ça.


On apprend dans l’album qu’un jury devait se réunir à nouveau pour confirmer ou non l’exécution de Renaldo…

V. C.-L.C. : En 2016, la sentence de Renaldo, qui a été promulguée en 2008, a été déclarée inconstitutionnelle. Elle avait alors été décidée par un jury non-unanime alors que, depuis 2002, la loi stipule qu’il aurait fallu un jury unanime. Cependant, certains Etats, pendant des années, ont continué à appliquer des sentences illégales. Ainsi, depuis 2016, Renaldo attend qu’un nouveau jury se réunisse pour voter une nouvelle sentence : soit la peine de mort, soit la peine d’emprisonnement à vie sans possibilité de sortie. C’est un processus lent et compliqué, le COVID n’ayant pas arrangé les choses. La justice est très lente, et quand la justice est trop lente, c’est un déni de justice pour tout le monde, que ce soit pour ceux qui sont en prison ou pour les victimes, que ce soit aux États-Unis ou en France.


Gisela vous a accueillie pendant vos visites à la prison. Avez-vous échangé avec d’autres personnes, d’autres épouses de détenus ?

V. C.-L.C. : Lors de mes premières visites en 2017, Gisela a été mon premier contact et elle a été extrêmement accueillante. Depuis, je communique avec plusieurs autres personnes et notamment des Françaises. Par exemple, Claudine Verplanken est à la tête de la Fédération Française pour l’Abolition de la peine de mort. Je suis également en contact avec des avocats qui ont défendu des personnes condamnées à mort, avec des personnes condamnées à tort et qui sont finalement sorties de prison, et avec d’autres personnes incarcérées aux États-Unis.

Exceptées les correspondances, militez-vous d’une autre façon à l’ACAT ?

V. C.-L.C. : Quand le livre est sorti, en 2020, je me suis mise à faire des interventions dans les médias. Avec l’association « Ensemble contre la peine de mort », j’ai fait un cycle d’interventions en milieu scolaire. À vrai dire, c’est ce que je préfère faire : aller dans les écoles, parce qu’il y a des gens à convaincre, parce que le débat est toujours intense et très intéressant avec les collégiens et les lycéens. Ils n’ont pas leur langue dans leur poche, ils ont des idées qu’ils expriment comme si elles étaient très arrêtées mais, en même temps, ils ont constamment cette soif d’avoir de nouvelles informations. C’est vraiment là que je me suis sentie le plus utile et j’ai très envie de continuer.

Ce premier album vous a-t-il donné envie de poursuivre dans la BD ?

V. C.-L.C. : Au moment où j'étais en train de finir celui-là, je disais à qui voulait l’entendre : jamais, plus jamais ça ! Maintenant que c’est fini, j’ai très envie d’en faire d’autres. Je suis actuellement en train d’écrire et d’illustrer un conte pour enfants qui fera la part belle au merveilleux, tout en conservant un fond politique. Écrire et raconter des histoires, particulièrement destinées aux enfants, c’est mon rêve depuis toute petite. Mais l’envie de raconter des histoires me ramènera forcément vers la bande dessinée, si je sens qu'un sujet s'y prête, en espérant que ce soit moins long que quatre-cent-trente-six pages.

Combien de temps vous a pris ce projet ?

V. C.-L.C. : Deux ans et demi.

Un délai plutôt raisonnable pour un premier album et pour une pagination aussi importante…

V. C.-L.C. : C’est raisonnable mais c’est aussi deux ans et demi de ma vie. Si j’ai pu faire ça, c’est aussi  parce que j’avais le soutien de mes parents. Si j’avais dû cumuler un emploi à temps partiel, ce n’est pas le double du temps que j’aurais pris, je ne l’aurais sans doute jamais fait… Je me rends compte du privilège que ça a été de pouvoir mener ce projet qui m’obsédait et me tenait vraiment à cœur.

Ce projet a-t-il été envoyé à de nombreux éditeurs ?

V. C.-L.C. : Durant l’été où j’ai commencé à correspondre avec Renaldo, j’étais en stage chez Delcourt où je mettais en page des panneaux publicitaires, des communiqués de presse… Quand Perpendiculaire au soleil a été suffisamment avancé, j’ai envoyé un petit mail à un de mes anciens collègues pour lui demander ce qu’il en pensait. Il l’a regardé très attentivement et m’a dit que je devrais l’envoyer à Louis-Antoine Dujardin (Editeur chez Delcourt, NDLR). Ce dernier, un ou deux jours après mon envoi, m’a envoyé un message en me disant qu’il avait envie de l’éditer. Là encore j’ai été gâtée parce que je n’ai pas eu à envoyer le projet à la volée ou à un comité de lecture.

Comment votre éditeur vous a-t-il accompagnée pour ce premier album ?

V. C.-L.C. : Quand j’ai approché Delcourt, j’avais à peu près trois-cents pages sur les quatre-cent-trente. Je n’ai volontairement pas cherché d’éditeur trop tôt car je n’avais pas envie d’être influencée. Je savais bien que je ne m’y prenais peut-être pas comme il faut mais j’avais envie d’aller jusqu’au bout de ce que j’avais en tête. Je ne savais pas combien de pages ça ferait parce que j’y allais au fur et à mesure. Une fois que le travail a été bien avancé, il a réussi à séduire mon éditeur pour qui a fait confiance à ce truc un peu bizarre, un peu hybride. On a parlé ensemble pour être bien sûrs que c'était fluide, pour être certains que c'était clair. Quand on vit une histoire depuis six ans, il y a parfois des choses qui nous semblent aller de soi alors qu’il faut bien les expliquer. À vrai dire, trois-quatre mois avant la remise définitive des planches, j’ai fait une relecture complète avec mes proches et on s’est rendus compte qu’il y avait des petites choses qui n’étaient pas claires. J’ai finalement rajouté quarante pages de plus, au dernier moment.







Propos recueillis par L. Gianati

Bibliographie sélective

Perpendiculaire au soleil

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Le dernier jour d'un condamné

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