Là où dorment les Géants

M alo, une jeune apothicaire, s'apprête à entamer un long voyage. Depuis la mort de son père, elle ressent le besoin d'inscrire ses pas dans ceux de son géniteur. Parmi les quelques affaires que ce dernier lui a laissées, elle trouve une carte qui lui permettra de rejoindre Nix Alba, l'académie d'alchimie au sein de laquelle il accomplit sa formation. Ce voyage sera pour elle l'occasion d'une véritable quête initiatique, faite de rencontres et de découvertes.

Le périple de la jeune héroïne se révèle avant tout spirituel. Plus qu'un lieu, elle se lance à la poursuite de son identité. Le récit emprunte intelligemment des sentiers oniriques et poétiques, se situant dans un ailleurs à la fois très proche et très éloigné de notre monde. Maurane Mazars peut ainsi s'interroger librement sur les forces contradictoires qui sous-tendent la société. Malo est une femme-sorcière qui vibre avec la nature. Elle fait partie de celles et ceux qui pensent que, lorsqu'un problème survient, la meilleure solution privilégie la restauration de l'harmonie de la nature, plutôt que de l'asservissement de cette dernière. Ainsi, pour aider une femme dont l'environnement est saturé d'insectes, elle propose l'usage de plantes répulsives plutôt que de couteux et dangereux insecticides.

Sa vision très douce va se heurter à celle des alchimistes. Ces derniers prônent l'exploitation des ressources, quoi qu'il en coûte. Et qu'importe si, pour atteindre leur but, certains en paient le prix.

Là ou dorment les géants s'attaque à de nombreux thèmes, tels que la sororité, le rapport à soi et aux autres, la transmission des savoirs et des valeurs, l'importance de s'inscrire dans un rapport apaisé avec son environnement, plutôt qu'invasif et destructeur, même avec de bonnes intentions. En filigrane, il est difficile de ne pas déceler une critique contre les mécanismes du patriarcat, du modèle capitaliste et de la toute-puissance de la science, débarrassée de la conscience.

Le recours à l'imaginaire et à la métaphore permet d'aborder tous ces sujets de manière indirecte, sans asséner de réponses toutes faites. Le récit évite intelligemment toute forme de facilité. Il ne tombe pas dans le piège de la confrontation morale, préférant la subtilité de l'interrogation : une autre voie est-elle possible ? Pour soutenir son discours, l'autrice met en images un périple serein, qui fait la part belle à une nature majestueuse, magnifiée par de grandes cases contemplatives, inondées de lumière grâce à un joli travail sur les couleurs. La mise en page alterne gaufrier déstructuré et enluminures qui rappellent l'iconographie moyenâgeuse, mais toujours avec une sensibilité à fleur de peau et sans jamais perdre en lisibilité. Avec ce titre, celle qui fut couronnée par le prix révélation à Angoulême en 2021 confirme les espoirs placés en elle.