P
our Alma, c'est le grand jour : la princesse de Nuhr-La se voit confier la mission primordiale d'accomplir le rituel de la Saignée des Dieux et ramener un trophée. Elle va enfin pouvoir laver l'affront fait à son peuple il y a cinq cents ans, le meurtre du roi Danael et de son fils Alban. Yourcenar vit également un moment attendu : l'Oracle va lui prédire sa destinée et lui révéler l'identité de son âme sœur. Cependant, la déception ne se fait pas attendre, ce n'est pas le nom de Tamarie qui ressort de la consultation... Une guerrière, une amoureuse, une seule aventure, mais deux visions.
Dans Moon Deer déjà, Yoann Kavege avait démontré une belle maitrise de la composition des planches pour sa course-poursuite muette dans le vide intersidéral. Ici, il part sur un autre concept, tout aussi audacieux : un duo d'héroïnes que tout oppose vit la même histoire. La première (Alma) se lit à l'européenne, tandis que la seconde (Yourcenar) se lit comme un manga. Les deux se rejoignent en milieu d'album pour une fin identique, avec un point de vue différent cependant. Ce projet ambitieux a nécessité (dixit l'auteur dans une interview sur firstprint) un effort nécessaire sur la structure en miroir et les cadrages afin de générer des correspondances entre les versants exposés. Le scénario explore le rapport à l’autre, au sacré et au destin et soulève beaucoup de questions sur la religion et les fardeaux de la tradition. C'est brutal et touchant dans un final qui pourra diviser. Les femmes sont magnifiques dans leurs convictions, que vous soyez d'accord ou pas avec leurs destins. L'auteur a construit une personnalité plus subtile pour Yourcenar en ce sens où Alma possède un caractère obstiné et un rôle plus binaire. Cela renforce d'autant plus le contraste entre elles. Autre aveu de l'artiste : il a volontairement mis de côté l'approfondissement du monde décrit pour mieux focaliser l'attention sur les personnages. Effectivement, ceux ci sont attachants et intrigants, ils happent ainsi l'empathie rapidement, pas besoin d'en savoir plus sur l'environnement.
Le dessin expressif est immersif. Le trait assez épais et rond est sublimé par le choix de couleurs chaudes. La composition de certaines planches-clefs (particulièrement les dernières) joue un grand rôle dans ce qui est à la fois l'opposition et l'osmose des deux récits, du très bon travail.
Véritable coup de cœur pour ce Fantasy, expérience de lecture empreinte de sensibilité, de noirceur et de féminité.
Un conte absolument magnifique.
Je n'en dirai pas plus car il n'y a rien à y redire.
Je me suis juste demandé pourquoi la seconde histoire est à lire de droute à gauche (les deux ont la même fin, ce n'est pas un secret au contraire). Je me disais que l'impression en sens inverse aurait été plus judicieux ainsi nous n'étions pas tenté de commencer par l'une ou l'autre, mais après lecture je me dis qu'il faut lire "Alma" en premier.
Ah que j'adore, c'est une merveille.