M
ansoureh a 9 ans. Sa mère s’active sur la machine à coudre, sur un tissu fleuri. La petite fille regarde avec joie la fabrication de ce cadeau qui lui est destiné. Elle est loin d’imaginer que cette étoffe aux couleurs si plaisantes est en réalité une prison de tissu. Car c’est jour de Jashn-e Taklif, cérémonie qui signifie son passage à l’âge adulte. L’enfance est terminée, la voici désormais pénalement responsable. Obligée à porter un hijab, susceptible d’être arrêtée et emprisonnée, privée de toute liberté.
« Traînée ». Voilà ce qui est inscrit en persan sur la couverture de l’ouvrage. Un mot à la calligraphie en apparence douce, qui fait face à un visage mêlant tristesse, naïveté et une forme d’espoir. Un mot dont la violence est à la hauteur de celle qui a traversé la jeunesse de Mansoureh Kamari et est, encore aujourd’hui, le quotidien des femmes en Iran. Dans cette république islamique, en place depuis la Révolution, les hommes sont maîtres de toutes choses et en tous lieux. Réduites au silence et à l’obéissance, mariées de force, régulièrement agressées et insultées, les femmes sont profondément réifiées. Alors qu’elle vit en France depuis 2006, l’autrice replonge ainsi dans les souvenirs douloureux d’une enfance passée à vivre dans la peur. Comment ce pays supposé être le sien peut-il autant lui inspirer terreur et insécurité ? Comment accepter qu’aujourd’hui encore, plus de vingt-cinq mille filles soient mariées avant l’âge de quinze ans ? Comment admettre que la moitié des meurtres de femmes soient le fait d’un membre de la famille et n’aboutissent qu’à des peines dérisoires ? Autant de questions majeures qui résonnent comme celles d’un autre âge mais décrivent encore la réalité de celles qui n’ont comme seul tort que celui d’être nées avec le mauvais sexe.
Pour évoquer un sujet aussi lourd, la force évocatrice du dessin vaut autant que de grands discours. Prenant comme fil rouge une séance de dessin sur modèle vivant, l’histoire s’intéresse également au rôle de l’art (largement censuré en Iran) dans l’expression des émotions voire dans la réappropriation de son corps. Avec un trait réaliste saisissant, la bédéiste (dont c’est le premier album) explore avec justesse les rouages de la dictature religieuse. Alternant séquences passées, faites de nuances de gris et de rouge, et incursions dans le présent où la couleur magnifie la liberté désormais acquise, la narration est parfaitement maîtrisée. Elle souligne la complexité d'une vie marquée par la nécessité de devenir réfugiée politique pour, enfin, connaître l’émancipation.
Récit autobiographique intime et puissant, Ces lignes qui tracent mon corps est une contribution remarquable à l’un des mouvements politiques les plus importants et les plus réprimés : Femme, Vie, Liberté !
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