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« La Terre des Fils est l'ouvrage dont je me sens le plus proche »

Entretien avec Gipi

Propos recueillis par L. Gianati Interview 09/03/2017 à 15:00 14159 visiteurs

Si La Terre des Fils reprend certains éléments déjà entraperçus dans les autres ouvrages écrits par Gipi, il est sans doute son récit le plus abouti. La puissance graphique et narrative qui s'en dégage saisit le lecteur dès les premières pages pour ne plus le lâcher jusqu'au dénouement final. Genèse du projet et nouveaux terrains de jeu sont au programme de l'entretien réalisé avec l'artiste italien.


« Après la fin, aucun livre ne fut plus écrit ». Jolie pirouette pour ne pas connaître exactement les raisons de cette fin... (sourire)

Gipi : Les raisons de la fin du monde n’étaient pas importantes pour moi. L’idée que les lecteurs puissent imaginer leur propre scénario, suivant leur sensibilité, me plaisait. Certains d’entre eux ont imaginé une catastrophe écologique, d’autres une guerre thermonucléaire (je pense que l’élection de Trump n’y est pas étrangère), d’autres encore ont eu des interprétations différentes.

Pourtant, c’est un livre qui devient, pendant le récit, la clé de l’histoire…

G. : Oui. Toute l’histoire se concentre autour du mystère lié au contenu du journal écrit par le père. C’est la première idée que j’ai eue, quand l’histoire n’existait pas encore : un cahier qui était illisible, un secret et un souhait.

Vous avez écrit, notamment pour Ma Vie Mal Dessinée, que l’écriture d’un livre peut faire office de psychanalyse. Existe-t-il une part autobiographique dans La terre des fils ?  

G. : Non. Il n’y a aucune référence à des événements personnels, même si certains pourraient être transposés dans ma vraie vie ou dans ma relation avec mon père mais pour ça, « S » y répond beaucoup mieux. La Terre des Fils est juste une histoire, sans aucune intention psychanalytique me concernant. Cependant, c’est curieusement l’album dont je me sens le plus proche en ce moment parmi tous ceux que j’ai réalisés.

Dix planches consacrées à des pages du livre, illisibles, renforcent-elles l’immersion du lecteur ?

G. : C’est l’espoir que j’avais en réalisant ces planches. Je voulais que le lecteur s’identifie avec les deux garçons et j’ai essayé de faire en sorte que le lecteur avance dans l’histoire sans jamais ne posséder plus d’informations que celles détenues par les frangins. Dans ces quelques pages évoquées, en particulier, je voulais pousser autant que possible ce sentiment, en espérant que le lecteur s’agace, s’irrite mais soit aussi curieux et que, finalement, naisse en lui le même désir de connaître le contenu du carnet que celui dont est imprégné Lino, le plus jeune des fils.

Les relations père-fils sont très présentes dans vos albums, que ce soit dans Le Local, entre Giuliano et son père mais surtout dans S….

G. : C’est vrai. C’est une sorte d’obsession dont je suis pleinement conscient. Mais dans toutes les histoires précédant La Terre des Fils, je me plaçais toujours du point de vue de l’enfant et pendant que je travaillais sur ce dernier récit, s’il y avait une personne à laquelle je pouvais m’identifier c’était avec le père. C’est ainsi que pour la première fois j’ai abordé la relation père-fils en restant du côté du père, bien que, n’ayant pas de fils, j’ai dû évidemment tout inventer et faire une sorte de simulation en faisant travailler mon imagination.

On retrouve dans La terre des Fils une société de non-droits comme on pouvait aussi la trouver dans Notes pour une histoire de guerre. L’avenir vous effraie-t-il ?

G. : La société des hommes m’effraie mais j’ai en même temps une grande confiance envers les individus. J’aime les gens mais je n’aime pas les groupes et les associations de gens. Donc, d’une part je suis effrayé par le chemin vers lequel semble se diriger la société occidentale et d’autre part j’ai confiance dans les autres changements positifs que je vois poindre du côté des personnes de bonne volonté. Je pense aussi que les hommes (dans le sens de la société des hommes) ont dans leur progrès subi également des échecs qui peuvent se révéler dramatiques. Il y a des populations entières qui vivent déjà des immenses tragédies et nous, société occidentale pour l’instant protégée, nous empruntons des attitudes et des idéologies très dangereuses. Le mouvement croissant que l’on observe en faveur des idées populistes et nationalistes est l’une d’entre elles.

La couverture étonne par sa sobriété. Comment l’avez-vous conçue ? 

G. : Dès le départ, je savais que je ne mettrais pas un dessin sur la couverture. Et ce fut quelque chose d’étrange, car il me semblait aussi difficile d’imaginer une bande dessinée avec une couverture sans dessin... Mais cet ouvrage parle d’un autre livre qui, lui, est un mystère et donc j’ai pensé que la couverture devrait représenter ce mystère, quelque chose que vous ne comprenez pas, quelque chose d’abstrait. Pour y parvenir, comme je suis un dessinateur et que j’aurais probablement fini par faire un dessin, je me suis tourné vers un graphiste. Je lui ai lu le livre et je lui ai parlé de l’idée de fond. Quelques heures plus tard, il m’a envoyé cette image dont je suis tombé immédiatement amoureux.  

Avez-vous supervisé la traduction de l’album en français ?

G. : Oui. Le langage utilisé dans la version originale avait besoin de beaucoup d’attention pour la traduction, car il y a des nouveaux mots et des fautes d’orthographe, ces dernières étant présentes surtout dans les paroles des enfants analphabètes. Il était donc très important de veiller à ce que ces effets soient rendus avec précision dans la langue française. Hélène Remaud, la traductrice, a fait un excellent travail dans un premier projet et Claude Gendrot (Éditeur chez Fururopolis, NDLR) a travaillé ensuite avec moi pour ajuster et lisser chaque mot. Je suis très heureux du travail qui a été effectué.   

Comment faites-vous le choix de la couleur ou du noir et blanc ? Pourquoi précisément avoir choisi le noir et blanc pour La terre des Fils ?

G. : Je voulais utiliser une technique presque primitive. Toute l’histoire est primitive et tout est réduit à son strict minimum. Je me suis dit que je devais utiliser une technique sans superstructure, sans couches supplémentaires (telles que la couleur) et que les émotions, si possible, découleraient directement des actions et des paroles des personnages et non d’un ciel dessiné en aquarelle en pleine page.   

Vous avez réalisé la couverture du premier tome de La Revue Dessinée. Quel regard portez-vous sur cette publication ?

G. : Je trouve cette publication très bien faite et très intéressante. Je suis un peu jaloux aussi du fait qu’en Italie nous ne pouvons pas produire encore quelque chose de ce style.   

Quelques mots sur le projet mené en collaboration avec Luigi Critone ?

G. : Nous en sommes au début. C’est la première fois pour lui qu’il travaille sur une histoire avec un autre auteur. Mais Luigi a une technique extraordinaire et cela m’a permis d’écrire librement, même des choses que j’aurais été moi-même incapable de dessiner. L’histoire se déroule dans un univers médiéval fantastique, peuplé de personnages sauvages et brutaux. Il y a beaucoup d’humour, en particulier dans les dialogues et dans la façon dont les personnages se comportent les uns avec les autres. C’est l’histoire d’un petit garçon qui doit devenir un homme, et qui découvre un monde après avoir vécu isolé auprès d’un vieux mentor qui lui a appris ce qu’il pouvait. Et ce monde qu’il va découvrir est une surprise permanente qui l’amènera à découvrir ses propres qualités morales et ses propres sentiments. 

Avez-vous d’autres projets ?

G. : Je viens de terminer l’écriture du premier jet d’un projet de science-fiction auquel je tiens vraiment. Si ce projet va plus loin, ce sera la chose la plus difficile techniquement de ma carrière. Je n’ai jamais touché à ce thème, donc je fais beaucoup d’études et de tests de styles et de techniques de dessins différents.




Propos recueillis par L. Gianati

Bibliographie sélective

La terre des fils

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Note: 4.5/5 (50 votes)

Ma vie mal dessinée

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Note: 3.9/5 (36 votes)

  • Gipi
  • <N&B>
  • 01/2009
  • Futuropolis
  • 9782754802505
  • 139

S. (Gipi)
S.

  • Currently 3.44/10
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  • 6

Note: 3.4/5 (64 votes)

Notes pour une histoire de guerre

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Note: 4.4/5 (67 votes)

Le local

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  • 6

Note: 4.0/5 (51 votes)

  • Gipi
  • Gipi
  • 10/2005 (Parution le 17/11/2005)
  • Gallimard
  • Bayou
  • 2070573001
  • 118