Voici pourquoi Poutine a (lui aussi) de quoi s’inquiéter
« Tout ne s’est pas passé comme Poutine l’espérait », lors de sa rencontre avec Donald Trump en Alaska.
Et les évènements des derniers jours, en particulier « la résistance de la part de l’Europe », sont de nature à faire naître un sentiment d’inquiétude chez Vladimir Poutine.
C’est l’avis de Catherine Belton, journaliste au Washington Post et spécialiste réputée du régime de Vladimir Poutine, avec qui j’ai fait le point sur les efforts diplomatiques de Donald Trump.
« Je crois que les dirigeants en Europe étaient très inquiets quand ils ont vu le tapis rouge déroulé pour Poutine, la grande poignée de main, l’accueil qu’il a reçu, explique-t-elle. Et je pense que Poutine était vraiment dans une offensive de charme totale. Il espérait réussir à rallier Trump à sa vision de la guerre, pour que Trump oblige ensuite l’Ukraine à accepter un accord aux conditions de la Russie. »
Mais ce n’est pas exactement ce qui s’est produit.
Le président américain a reçu son homologue russe avec des honneurs tels que c’en était gênant. C’est vrai. Mais le sommet en Alaska a été écourté. Et Donald Trump a expliqué qu’il devait consulter l’Ukraine avant qu’une entente ne soit conclue.
Par la suite, le président ukrainien Volodymyr Zelensky s’est déplacé à la Maison-Blanche avec du renfort : ses alliés européens.
Et, ô miracle, cette fois, ça s’est plutôt bien passé !
« Le fait que Poutine n’a pas pu convaincre Trump de le soutenir pleinement en Alaska a créé une ouverture pour l’Europe, et [les dirigeants] en ont profité. Ils ont eu six heures, voire plus, pour vraiment façonner la vision de Trump sur ce à quoi des garanties de sécurité devraient ressembler, sur ce qui serait une solution juste et solide pour l’Ukraine. Donc, la balance a vraiment penché de l’autre côté », résume l’experte au sujet de la rencontre du 18 août à la Maison-Blanche.
Catherine Belton, actuellement établie à Londres, écrit sur la Russie depuis la fin des années 1990. Il y a quelques années, elle a publié le livre Les hommes de Poutine – Comment le KGB s’est emparé de la Russie avant de s’attaquer à l’Ouest. Cet essai, où elle raconte notamment l’ascension de Vladimir Poutine, lui a valu des critiques élogieuses.
Je lui ai demandé son avis sur l’état d’esprit du président russe dans la foulée des récents développements.
« Je pense qu’il doit être un peu inquiet, parce qu’il sait que son pari n’a pas totalement porté ses fruits », estime-t-elle.
L’état de l’économie russe a aussi de quoi l’inquiéter, précise la journaliste. Par exemple, entreprises et grandes banques russes préviennent désormais qu’il y aura des faillites imminentes. Dans ce contexte, Vladimir Poutine pourrait même avoir du mal, à long terme, à financer sa guerre.
« Je viens de rédiger un article avec une collègue qui était à Moscou récemment et qui a parlé à un initié du Kremlin. On lui a dit que dans les semaines précédant le sommet, il y avait un véritable sentiment de crise à Moscou. Ils étaient très inquiets des sanctions plus dures que Trump menaçait d’imposer », signale-t-elle.
« Donc, Poutine, en allant en Alaska, en faisant au moins semblant de s’engager dans des pourparlers de paix, a gagné un peu plus de temps. Mais pendant combien de temps peut-il continuer à faire traîner Trump ? »
Bien sûr, les troupes russes gagnent du terrain en Ukraine. On sent aussi encore une arrogance certaine de la part du Kremlin. Un exemple parmi d’autres : à son arrivée en Alaska la semaine dernière, le ministre des Affaires étrangères russe Sergueï Lavrov portait un chandail sur lequel on lisait « CCCP », le sigle russe de l’ancienne URSS.
Mais le vernis craque…
« Je pense qu’au fond d’eux, il y a une incertitude. Ils s’inquiètent de l’imprévisibilité de Trump et ils savent qu’ils n’ont pas réussi à le contrôler complètement », affirme Catherine Belton.
L’attention du président américain n’est-elle pas d’une durée limitée ?
Ne risque-t-il pas de se désintéresser de la crise ukrainienne si Vladimir Poutine et son entourage parviennent à faire traîner les choses suffisamment longtemps ?
« Ils espèrent certainement cela. Mais vous savez, Trump est tellement déterminé à gagner son prix Nobel de la paix, réplique-t-elle. Et je pense qu’il aime vraiment cette attention. Le fait que Poutine est venu à lui, que toute l’Europe est venue à lui, qu’il est vraiment le centre du monde. »
Plus tôt cette semaine, un ancien ministre des Affaires étrangères de l’Ukraine, Pavlo Klimkine, disait croire qu’on ne peut pas faire confiance à Vladimir Poutine et à ses proches sur l’Ukraine, parce qu’ils ne croient pas que le pays existe, « qu’il s’agisse d’un État, d’une histoire ou d’une langue ».
Selon lui, ils « n’abandonneront pas leurs efforts pour détruire l’Ukraine ».
Catherine Belton ne lui donne pas tort.
« Dans la toute première entrevue que Poutine a donnée, lorsqu’il a été nommé adjoint au maire de Saint-Pétersbourg, en 1992, il faisait déjà référence au passé impérial et précommuniste de la Russie, à l’époque où l’Ukraine faisait partie de l’empire de Russie. Et c’est ce qu’il a cherché à restaurer », souligne-t-elle.
Non seulement le président russe a une vision déformée de l’histoire (il soutient que l’État ukrainien a été créé artificiellement), mais il a aussi une vision paranoïaque de l’Ukraine moderne.
« Il est convaincu que si l’Ukraine ne fait pas partie de l’empire russe, les Occidentaux la manipulent et vont l’utiliser contre lui d’une manière ou d’une autre. Et que si l’Ukraine est une démocratie libre, cela constitue en quelque sorte une menace pour son pouvoir », ajoute-t-elle.
Pour le démontrer, la journaliste rapporte ce que lui a dit Vladimir Iakounine, un oligarque russe et ancien du KGB, proche du président, qu’elle a longuement interviewé.
« Il me disait par exemple – et je pense qu’ils le croient vraiment – que la CIA complote depuis les années 1960 sur une manière de séparer l’Ukraine de la Russie. Et que sans l’Ukraine, la Russie ne peut pas être une grande puissance ou un grand empire », raconte-t-elle.
« C’est donc une sorte de lumière directrice pour eux. Et maintenant qu’ils se sont engagés dans cette voie, ils ne l’abandonneront pas. »