de David Amram » 23/12/2025 16:00
C'est une idée récurrente chez Morris et Franquin, l'idée que chez Dupuis, ils devaient faire la promotion de la religion catholique. Franquin - et le dossier de l'intégrale ne dit rien d'autre - y était encore bien disposé, puisqu'il était encore loin d'avoir pris ses distances avec la religion (il souligne qu'il était naturel pour lui de passer de "Saint-Luc à Saint-Dupuis" !). Morris en revanche, d'après Franquin, supportait beaucoup moins cette direction du fait de son expérience compliquée chez les Jésuites.
Voir par ex., Entretien avec Franquin par Alain De Kuyssche paru dans Télémoustique (c'est le premier auquel je pense, il y en a d'autres):
" Spirou était un journal qui venait directement de la "bonne presse", dont les éditions Dupuis étaient un pilier. On m'a toujours dit que le succès des "Bonnes Soirées" avait la guerre, avait été poussé par le clergé pour combattre les mauvais romans de l'époque. Bref, il y avait une espèce de bonne conscience catholique. A l'époque de Noël, il fallait rajouter une église dans le décor. [...] On nous demandait parfois d'interrompre une série d'aventures : toute l'histoire s'arrêtait, et il y avait un sapin de Noël, même si c'était en Afrique, avec l'étoile, les rois mages...Je dis ça en riant, mais je me mets très bien à leur place, ils croyaient bien faire. Moi, je le faisais sans aucune contrainte. Sauf pour les églises dans le décor, ça commençait à bien faire. Mais j'ai dessiné, comme tout le monde, dans l'esprit de Noël. Il y a eu des choses regrettables."
Il ne faut pas confondre les deux pages de Noël intégrées dans les Pygmées et l'histoire de quelques pages de Saint Nicolas. L'histoire de Noël (dont Franquin fait référence dans son discours), elle, a été otée de l'histoire dès la parution de l'album puisqu'elles n'avaient pas de sens dans l'économie du récit. Quant à l'histoire de Saint Nicolas, l'idée de ne pas la rééditer concerne la réédition de Rombaldi - ces pages, comme d'autres histoires courtes, ayant été exclues jusque-là de la réunion en album, tout comme bien d'autres histoires courtes. Au vu du discours de Franquin sur les commandes voulues par Dupuis dans l'esprit de la bonne presse, il n'est pas difficile d'inférer que, dans les années 1980, son rejet de ce type de production explique qu'il a refusé l'édition de ces pages. Concernant spécifiquement l'histoire de Saint-Nicolas, Delporte rapporte : " Les quelques pages ôtées par Franquin, donc, se rapportent à une visite de saint Nicolas et à l'interférence de Spirou et Fantasio dans la distribution des cadeaux. Franquin affirme qu'il s'agit là des planches les plus honteuses dans l'histoire de Spirou."
Il ne s'agit pas d'un rejet de la naïveté de ces histoires, mais de leur systématisme, et cet avis se mêle à l'anticléricalisme affirmé peu à peu par le dessinateur : " Je suis d'accord pour les personnages gentils, car je crois quel a gentillesse est une chose éternelle, à n'importe quelle période de l'année, je veux bien faire une histoire gentille, même un peu cucul, mais si c'est pour une commande pour Noël, ça m'embête, voyez ce que je veux dire. " (P.90 Franquin et les fanzines, extrait de l'itw parue dans Falatoff, 1972)
Quand Franquin évoque "la bonne presse" , il s'agit bien du terme utilisé par Leon XIII pour qualifier les ambitions des catholiques dans la presse - le terme sera répandu avec la constitution de La Maison de la Bonne Presse, mise au service de l'apostolat catholique. Par ailleurs son analyse est juste, je vous renvoie aux pages 41-43 et aux pages 371-379 de La véritable histoire des éditions Dupuis pour plus d'infos sur le sujet.