Deux étoiles, seulement ? Je ne peux m'empêcher de tiquer, désolé par avance !
A. Perroud écrit :
" [...] Malheureusement, ce qui pourrait se lire comme une œuvre provocatrice, se résume à une enfilade de situations chocs invariablement vides. Hickman préfère brosser les fans dans le sens du poil en rabâchant les poncifs du genre (théorie du complot, les Martiens sont là, les génies sont des fous, etc.). Il se simplifie également la tâche en oblitérant tout contenu scientifique en préférant des explications « venues d'ailleurs ». De plus, la psychologie de ses héros reste, malgré son emphase, des plus faibles. Elle se limite immuablement à une observation de la dualité de l'âme ; oui, il y a une part de mal et de bien en tout un chacun. Certains épisodes sont, certes, amusants, voire percutants, mais ne provoquent jamais un quelconque embryon de réflexion. "
Je ne suis pas d'accord avec cette observation. Je considère que Projets Manhattan faits réfléchir, un peu, ce qui certes n'est pas grand chose mais suffisant au regard de nombreuses oeuvres éditées... Pour paraphraser un ancien (?) homme politique, "
nous possédons tous une part d'ombre", mais celle-ci a nécessairement des conséquences catastrophiques quand ces gens là sont nos génies, nos dirigeants ou nos protecteurs.
Le Projet Manhattan rassembla sur ordre de Roosevelt, des savants, dans le plus grand secret (même son vice-président ignora tout jusqu'à son décès), dans le but de mettre au point l'arme suprême qui donnerait la victoire à coup sûr car sa puissance serait telle que tous leurs ennemis potentiels se prosterneraient par terreur. Il savait pertinemment qu'un tel dispositif meurtrier contrevenait aux Accords de Genève, mais que lui importait.
Son service n'hésita pas à employer un individu comme Von Braun, un savant allemand membre convaincu du parti nazi qui développa les V2 (les premiers missiles de l'histoire qui frappèrent l'Angleterre) en faisant travailler jusqu'à la mort des détenus des camps de concentration pour les fabriquer à la chaîne. Fin 1944, sentant que l'Allemagne était vaincue, craignant qu'Hitler le fasse liquider, il se rendit aux américains et obtint une amnistie en échange de son savoir et de sa coopération. Il paramétra ainsi les bombes A et, plus tard, devenu américain, il fut le chef du projet Saturn 5 qui aboutit avec les missions Apollo par l'envoi de l'homme sur la lune... Lui qui aurait dû finir au Tribunal de Nuremberg devint un "génie et un héros américain" ! Et puisque tu mentionnes Folamour dans ta critique, Kubrick pensait très fortement à lui en créant ce personnage...
On nous rappelle souvent l'humanisme d'Einstein. Mouais. Pourtant c'est bien lui avec Openheimer qui effectua les calculs pour créer les trois premières bombes A. Plus tard, le duo affirma que rien n'obligeait le gouvernement à utiliser de telles armes d'Apocalype qu'ils avaient mis au point. Argument facile qui dut leur permettre de trouver le sommeil et d'oublier le sort des soldats américains irradiés lors du test à Los Alamos et des japonais irradiés de Hiroshima et de Nagasaki...
L'humanisme d’Einstein est à géométrie variable, Hickman prend le parti de nous le présenter comme un dangereux sociopathe. C'est excessif mais cela change de la vulgate lénifiante.
Tous ses savants, tous ces politiques, en menant de telles recherches ne pouvaient pas ignorer cette loi immuable de la guerre à savoir qu'une arme est faite pour qu'on s'en serve, pas pour qu'elle fasse peur ou qu'on la remise sur une étagère.
De ce point de vue, Hickman n'a pas tort de nous rappeler que ces "héros de la science" étaient quand même des personnages douteux, malfaisants et que ce qu'ils ont engendré (après tout ils auraient pu saborder leur recherches craignant qu'on se serve de leurs découvertes pour tuer en masse, ce qui n'est pas la motivation d'un chercheur me semble-t-il) nous menace encore aujourd'hui.
Projets Manhattan, est-il subtil ?
Là je te rejoins pour te dire non, absolument pas.
C'est peut-être cela qui tranche et déroute le plus avec le Hickman nuancé et pondéré que nous admirons et connaissons habituellement pour ses œuvres mainstream exigeantes (Secret Warriors, FF.) et les splendides et très exigeants Nightly News, Transhuman ou Pax Romana. Cyniquement, à certains moments, Projets Manhattan fait penser, par sa violence gratuite et régressive, par ses outrances, à du Garth Ennis, ce qui n'est pas péjoratif, soulignons-le, si l'on aime l'ami irlandais. Ce qui est mon cas.
Dans le genre peu courant de "la satire de la science sans conscience n'est que ruine de l’Âme", Le terrifiant Ministry of Space de Warren Ellis, paru en 2001, est autrement plus subtil, provocateur et franchement dérangeant voire malsain, cela je te l'accorde bien volontiers.
Dans cette dystopie, l'Angleterre a gagné la course aux étoiles (la Lune et Mars sont conquises) après la fin de la Seconde Guerre Mondiale est est redevenue ainsi la première puissance mondiale. Mais, cela s'est fait grace à un pêché abominable : le projet a été financé par l'or que les nazis avaient dérobé aux juifs, en échange de leur amnistie complète...
Cependant, je pense qu'il faut néanmoins accorder sa chance à Projets Manhattan. Je ne désespère pas d'Hickman. Le second volume, tout aussi tordu que le premier, propose une lecture vitriolée de la Guerre Froide et de la Course à l'Espace entre russes et américains. Mention au binôme Yuri Gagarine et Laïka !