de gio » 04/06/2025 18:32
Il pourrait y avoir un débat sur la question de savoir si la pédopornographie devrait être interdite en dessin sachant qu’il n’y a pas de victime réelle, ou comment elle devrait l’être, mais pour ce qui concerne les BD de Bastien Vivès, il y a d’abord une question plus directe à se poser : s’agit-il seulement de pédopornographie ? La question semble entendue pour certains qui en parlent comme si c’était acquis, mais je ne serais sûrement pas d’accord avec eux sur cet enjeu crucial.
Pour qu’il s’agisse de pédopornographie, il faudrait pour commencer que cela soit de la pornographie tout court. Certes l’éditeur présente l’album comme tel. On peut comprendre pourquoi il le fait. Si on entend “pornographie” dans un sens large, c’est-à-dire simplement la représentation explicite d’actes sexuels où les organes génitaux sont visibles, alors, oui, il pourrait s’agir de “pornographie” dans un sens large et vague. Mais au sens strict, c’est un abus de langage. Parce qu’il y a un élément constitutif de la pornographie qui n’est certes pas mentionné dans toutes les définitions du dictionnaire, mais qui est pourtant inhérent au concept (car un concept ne se réduit pas intégralement à sa définition seule) et c’est le suivant : de viser à stimuler ou exciter sexuellement le spectateur/lecteur. À cet effet, l’image pornographique utilise une combinaison de procédés, de techniques et de codes. Par exemple, la représentation précise et/ou détaillée qui invite à la contemplation anatomique ; la mise de la pratique sexuelle et des parties intimes au cœur de l’attention (par opposition à une attention sur d’autres événements et d’autres choses) ; une tonalité sexuelle dans le registre employé qui permet et favorise l’excitation : si la situation est perçue comme grotesque, loufoque, ridicule, incongrue, elle ne provoque pas l’excitation mais d’autres réactions (comme le rire, la stupéfaction...) qui sape la possibilité d’excitation sexuelle ; etc. Bref une simple représentation explicite d’acte sexuel qui n’utilise pas ces procédés, mais au contraire les sape, et ne vise pas à exciter sexuellement le spectateur peut être exclu de la pornographie au sens strict. Et si la pédopornographie est condamnable c’est bien pour sa dimension pornographique au sens strict : le fait qu’elle stimule sexuellement. En l’absence de cette caractéristique, la réprobation perd de son sens, ou ne peut plus être la même à tout le moins.
Comme les BD de Vivès n’utilisent pas les procédés et codes de la pornographie, sinon pour les détourner et les saper, je soutiens qu’elles ne sont pas de la pédopornographie parce qu’elles ne sont même pas de la pornographie pour commencer. La fin n'est clairement pas la jouissance sexuelle du lecteur, mais le rire. Elles relèvent du registre de l'humour. De l’humour réservé aux adultes, de l’humour trash, de l’humour absurde, de l’humour à caractère sexuel, de l’humour provocateur, de l'humour qu'on peut considérer de mauvais goût, oui, mais en aucun cas de la pédopornographie. Et pour s’en apercevoir, il suffit simplement de le lire. En fait, c’est une sorte de fausse pornographie ou de parodie de pornographie.
Enfin, pour répondre d’avance à un argument qui pourrait m’être opposé : bien entendu, nous ne sommes pas dans la tête de tous les lecteurs et nous ne pouvons pas présumer que personne ne pourrait s’exciter sexuellement sur les BD de Bastien Vivès (quoique cela me semble improbable). Mais partir d'un tel principe ne peut constituer une objection. Pourquoi ? Parce que si on s’appuie sur une supposition arbitraire de ce qui pourrait peut-être se passer dans la tête de certains plutôt que sur des codes et procédés pornographiques identifiables, on dépasserait alors largement le cadre de la pornographie et cela fonctionnerait pour à peu près tout. Car des gens peuvent potentiellement s’exciter sur tout et n’importe quoi, même ce qui n’est aucunement destiné à cela. Les pieds, par exemple, sont un exemple typique : ils constituent pour beaucoup un fétiche sexuel, tandis que d’autres y sont indifférents. Pourtant, il ne vient à l’esprit de personne, et à juste titre, de traiter la fixation et la diffusion de l’image de pieds nus comme s’il s’agissait d’une image pornographique, sous prétexte que certains pourraient s’exciter dessus.