Cela faisait longtemps que je n’avais pas partagé avec vous mes retours de lecture.
Presque un an, même
Dans le désordre, voici donc quelques avis à froid et qui n’engagent que moi, histoire de discuter entre amateurs de SF et d’HF
(Pardon d’avance pour la longueur du pavé
et de ne pas avoir recopié ici les quatrièmes de couverture afin de ne pas le rallonger encore).Ymir de Rich Larson
Un chasseur d’antiques chimères militaires retourne sur son monde glacé natal, Ymir, à la demande de son employeur, un puissant groupe industriel minier, après avoir fui une révolution brisée il y a de nombreuses années. Mais sous la glace, la rébellion gronde à nouveau. Quel camp choisira-t-il cette fois-ci ?
C’est froid (c’est normal après tout pour une histoire qui se passe sur un monde glacé), âpre, violent, un peu décousu parfois et avec quelques problèmes de rythme, mais intéressant pour qui veut bien faire quelques efforts. Tout n’est pas explicité ni même parfaitement limpide. L’auteur, comme à son habitude, se montre avare envers toute forme d’exposition et a fait le choix de se placer uniquement à la hauteur des protagonistes.
Tout cela renforce le sentiment de confusion, d’urgence et de lutte dans cet environnement hostile. Conséquence directe, ça fait mal et on ne voit pas toujours les coups venir.
Au final, l’aventure est dépaysante et malgré la lecture exigeante, c’est déjà très bien
Anecdote amusante pour les abonnés à
Netflix : cette histoire pourrait parfaitement se dérouler dans le futur de l’épisode 2 « Ice » de la saison 2 de la série d'animation de SF «
Love, death and robots », dont l’auteur a écrit le scénario, et qui se passe sur un monde de glace très ressemblant à Ymir
Barbares de Rich Larson (encore !)
Une novella amusante et sans prétention qui se déroule dans un monde exotique (le cadavre d’une créature spatiale titanesque) exploré par des chercheurs de trésor haut en couleurs. C’est potache, ça tâche avec plein de liquides organiques, de personnages loufoques et de sous-créatures.
Toujours aussi peu d’exposition, l’action prime, ça va vite, on comprend parfois tardivement ce qu’il se passe, mais on passe un bon moment (sans être inoubliable)
Le cycle de la terre fracturée de N.K. Jemisin
Alors là, changement de registre et alerte gros pavés.
3 Hugo pour 3 romans, boum
Autant dire que l’œuvre est intimidante.
Pour ma part, je l’ai abordé frontalement sur la base de ce pedigree prestigieux, sans aucun a priori ni information excessive afin d’éviter tout divulgâchage (J’adore ce mot, merci le Québec

).
Un cataclysme déchire, littéralement, le monde et jette sur les routes des hordes de réfugiés. En cause les pouvoirs telluriques que détiennent quelques personnes. De tels évènements, plus ou moins graves, se sont déjà produits par le passé, nécessitant l’endoctrinement ou l’annihilation des rares individus affectés. Lorsque toute vie est menacée, une fille et sa mère entament chacune de leur côté un long voyage vers les secrets de ce monde, cachés dans les replis du passé.
Qu’en dire ?
Le plus important d’abord : je suis resté sur ma faim.
Oui, oui, malgré les 1600 pages de la version poche, je n’ai pas été totalement satisfait. Disons qu’après lecture, je comprends pourquoi les critiques insistaient sur le fait que ces romans sont de la fantasy, alors que j’en espérais autre chose en cours de lecture (voir ci-dessous).
L’univers de cette saga est d’emblée intrigant et attirant, il donne envie d’en savoir plus sur son histoire, sa géographie, ses coutumes. Les caractères des personnages, leurs motivations et leurs interactions sont fouillés, crédibles, on souffre avec eux. La psychologie des protagonistes est particulièrement soignée, l’autrice a un réel talent pour nous mettre à leur place. Le récit a du souffle et offre des descriptions grandioses. L’action reste assez rare parmi de longs voyages et contemplations mais quand il faut, la tension peut monter et exploser en séismes et colères dévastateurs.
Parmi mes reproches, j’ai trouvé qu’il y avait quand même trop de longueurs, quelques intrigues et passages tournant franchement en rond, et les dernières pages ne sont, de mon point de vue, pas à la hauteur.
Plus grave, et c’est là mon principal grief, la révélation des secrets du fonctionnement du monde manque trop de clarté.
Si j'ai cru jusque tardivement qu'il y aurait une forme de science-fiction dans ces bouquins, le propos reste de l'ordre de la fantasy de bout en bout. J'aurais pu en faire mon affaire, je suis aussi client de ce courant, mais là où le bât blesse est le manque de rigueur et de constance dans la description de ces fameux pouvoirs et de leurs origines, l'absence d'explication pleinement satisfaisante à tout cela, alors que le récit propose justement, par la quête des héroïnes et par la construction du texte en alternance de chapitres au présent et au passé, d'élucider cette énigme.
Alors que là, les révélations finales forment une sorte de gloubi-boulga magique que j’ai trouvé trop indigeste. Par exemple, les deux formes de magies : pardon ? C’est un ajout de dernière minute ou j’ai loupé un truc ? Ou encore la planète réellement vivante : OK, j'achète ! Mais alors autant y aller à fond ! Pour expliquer les tremblements de terre, il aurait fallu imaginer qu'il faille la blesser pour qu’elle réagisse, ou bien la dompter, ou que sais-je encore ? Alors que là, on a un trou qui ne sert à rien sinon à dire que les humains ont blessé la planète et à visiter son centre. Et pourquoi certains ont le pouvoir et d'autres non ? On n'en saura guère plus, ou alors c'était dilué sous une masse d'autres infos bien moins utiles (les décorations des bâtiments du temps jadis, c'est joli mais ça n'explique pas grand chose). Il y a aussi cette injustice originelle auprès d'une peuplade magique ancienne qui a été spoliée de ses pouvoirs latents pour qu'ils soient concentrés (de ce que j'ai retenu et si j'ai bien compris). Super idée, qui résonne avec les crimes de l'esclavage, mais trop vite balayée alors qu'elle aurait pu être encore plus exploitée, etc... Les idées fortes se retrouvent noyées dans tout le reste, tandis que les dernières péripéties et décors sont un peu risibles : je descends, je remonte puis redescends puis remonte, le trou au milieu du monde qui est immense mais dont on peut faire le tour, etc... C'est un peu comme si l'autrice n'avait pas su exploiter tout le potentiel de son monde, pousser ses idées jusqu'au bout et s'était perdue en chemin...
Bon, je n’en dirai pas plus, d’autres que moi ont été emballés, d’où les 3 Hugo.
Je les comprends et les envie un peu, quelque part.
Quant à moi, même si j’ai fini les bouquins, j’ai été « sorti » de l’histoire (et je le regrette).
Tant pis
L’alchimiste de Khaim de Paolo Bacigalupi
Un petit conte bien troussé de la taille d’une novella.
Un alchimiste met au point un remède contre les ronces maléfiques qui envahissent un peu plus le royaume à chaque utilisation de la magie. Mais quels usages les puissants feront-ils réellement de son invention ?
L’auteur, dont je connaissais le talent à écrire sur des formats courts (cf son recueil
La Fille flûte 
), livre en quelques pages une fable piquante d’Heroic-Fantasy, aux accents politiques.
Inattendu et exotique
De l’espace et du temps d’Alastair Reynolds
Novella plaisante mais pas inoubliable.
Un astronaute sur Mars devient le dernier représentant de l’humanité à la suite d’une catastrophe sur Terre. Alors qu’il se retrouve seul dans une base en ruine, un piano puis un pianiste lui apparaissent et lui tiennent compagnie.
On y retrouve la « patte » de l’auteur, dans quelques passages extrêmes, tout en démesure (rappelant ses nouvelles
Diamond Dogs, Turquoise Days, ou des chapitres entiers de son
Cycle des inhibiteurs mais ici en format concentré), ou au contraire plein de mélancolie (voir
Eversion, chef d’œuvre

).
Toutefois, j’ai trouvé le récit trop inégal et décousu pour en faire un grand texte.
Enfin, hélas, je n’ai pas été touché par son humour, ce qui est fort dommage dans le cas présent...
Le dernier des aînés d’Adrian Tchaikosvky
Afin de lutter contre un démon qui ravage son monde, une princesse médiévale mal-aimée par sa famille va chercher de l’aide auprès d’un puissant magicien, allié ancestral de sa dynastie. Or il se trouve que celui-ci est le dernier anthropologue posté en observation sur cette planète par une mission scientifique il y a des siècles, et délaissé depuis par la Terre dont il est sans nouvelle.
Soyez rassurés, je ne divulgâche rien, c’est exposé par l’histoire dès les premières pages.
Pour ceux qui les ont lus, on comprend vite que l’intrigue se déroule dans le même univers que ses gros romans
Dans la toile du temps 
et
Dans les profondeurs du temps 
, mais sans lien avec eux.
L’idée est excellente et le récit bien maitrisé, le décalage de perception entre magie et science donnant lieu à quelques scènes cocasses. Les personnages ont des motivations crédibles et des psychologies fouillées malgré le peu de mots employés. Enfin, j’ai apprécié la résolution assez ambitieuse
qui introduit une sorte de décalage supplémentaire avec cette ouverture vers une autre dimension, qui justifie les troubles observés mais d'une façon inexplicable pour l'anthropologue moderne, dans un joli effet de mise en abyme.
Une agréable lecture plaisir, légère et qui donne le sourire
Attention, denier pavé :
Black Out et All Clear ou Le cycle du Blitz de Connie Willis
1720 pages en poche, ouch.
Une œuvre colossale, dans tous les sens du terme.
J’ai adoré, fin
Plus sérieusement, tout a déjà été dit, et par de meilleurs critiques que moi, sur ce monument littéraire.
De l’humour, du suspens, de l’héroïsme, de la documentation historique, de l’humanité, il y a tout cela dedans !
Et même un peu plus car on est en droit de regretter
de petites les quelques les nombreuses longueurs. Le bouquin aurait d’ailleurs pu s’appeler « Le quotidien britannique en temps de guerre » tellement les moindres faits et gestes y sont retranscrits en temps réel. C’est à la fois passionnant et épuisant.
Heureusement, comme dans ses autres romans des voyageurs temporels d’Oxford, l’autrice sait nous arracher de belles émotions et de francs sourires à la fin.
Donc chef d’œuvre
-----------------------------------------------------------
Enfin, je ne pourrai pas aller aux
Utopiales de Nantes cette année, après m’y être rendu 3 années de suite.
Je fais une pause mais le plateau s’annonce fabuleux !
Mathieu Bablet pour la BD,
Alastair Reynolds pour la SF…
Précipitez-vous y !
