Le Tapir a écrit:Olaf Le Bou a écrit:Oncle Hermes a écrit: C'est meta
trois fois en une semaine que je lis ce terme, il y a comme une tendance émergeante là
pour les béotiens, ça veut dire quoi ??
C'est une bonne question, ça peut vouloir signifier pas mal de choses à la lumière de cette lecture!
Méta: quelque chose qui est en référence et en interférence avec pleins d'autres choses ( ici c'est une concordance d'univers par exemple), ou bien également quelque chose qui fait référence à un niveau d'abstraction élevé! ( Wiki est mon ami) !
Je suis impatient de lire la réponse d'oncle Hermés pour voir ce qu'il veut dire!
Oh boy. Ok. C'est vous qui réclamez...
La
métatextualité est un concept issu de la théorie universitaire, plus particulièrement structuraliste, qui a fait son chemin dans le discours plus "courant". C'est issu d'un livre de 1982,
Palimpsestes (La littérature au second degré), par Gérard Genette, auteur dont je recommande par ailleurs la lecture si vous vous intéressez à ce genre de questions. D'abord parce que contrairement à pas mal d'autres théoriciens de cette mouvance, Genette est très généralement lisible (et même par moments assez drôle), ensuite parce que c'est un bon moyen de s'apercevoir à quel point pas mal de concepts qu'il a pondu, dont celui il est question ici, même s'ils ont pu être affinés, débattus, voire mis de côté, dans le champs universitaire, ont depuis largement essaimé dans la terminologie critique la plus commune.
La métatextualité, donc, est une des formes de ce que Genette appelle "transtextualité" c'est-à-dire du rapport d'un texte à un autre (mais des déclinaisons ont depuis proliféré pour décrire des phénomènes parallèles dans d'autres domaines que le texte littéraire... d'où l'abréviation générale "méta") ; spécifiquement, il s'agit d'un rapport critique, de commentaire. Je vais essayer de limiter mes exemples aux comics, mais évidemment, en littérature, en cinéma, et dans d'autres formes d'art, on pourrait en citer aussi un paquet. (Il va de soi, mais je préfère être extra-clair, que Genette n'a pas
inventé la métatextualité, hein : il a simplement apposé une étiquette bien commode sur des pratiques qui existent depuis des siècles.)
Un premier cas évident : dans le (récemment traduit par Urban)
Dark Night de Dini et Risso, Paul Dini raconte l'épisode dépressif qui a suivi son agression dans la rue dans les années 90, époque où il travaillait sur le dessin animé
Batman. Dans un premier temps, il passe par une phase de rejet de l'univers des comics, dont l'irréalisme lui paraît soudain insupportable par rapport à ce qu'il a subi, puis finit par y trouver néanmoins l'inspiration et les forces nécessaires à surmonter cette épreuve. On a donc un comics qui nous parle de l'intérêt qu'il y a à lire des comics, en plus de nous présenter une mise en abyme directe sur la vie de ceux qui les écrivent (comme dans les films qui parlent des coulisses de la réalisation de films).
Dans un épisode célèbre de Superman, "
What's So Funny About Truth, Justice, and the American Way?" (
Action comics #775, mars 2001, par Joe Kelly, Doug Mahnke et Lee Bermejo, traduit dans l'Anthologie), Superman est confronté à un groupe appelé l'Élite qui entend le ringardiser et présenter une façon plus "moderne", violente et pro-active, d'être des super-héros ; l'Élite est clairement un pastiche du groupe Authority imaginé par Warren Ellis (jusque-là c'est de l'
intertextualité) et le récit de Kelly porte un discours critique sur l'évolution du genre et des modèles qu'il propose (là on rentre dans le domaine de la
métatextualité) (et il va de soi que c'est Superman qui gagne).
Grant Morrison, alias Mon Chouchou Chauve, use et abuse à qui mieux mieux de la dimension "méta". Dans
Animal Man, son premier travail pour DC, le héros du titre finissait par rencontrer le grand architecte de tous ses malheurs -- Morrison lui-même, d'où s'ensuivait une discussion sur les attentes du public ("
All the suffering and the death and the pain in your world is entertainment for us."). Dans
The Multiversity, son dernier en date (pour ne citer que ces deux-là), il pose l'idée que ce qui est la fiction dans un monde peut être la réalité d'un monde parallèle, et raconte, à travers différents numéros de comics chacun supposément imprimés dans un de ces mondes différents (et autant de variations sur le genre), la lutte contre une invasion venue de
notre monde (la Terre 33 du multivers DC), sous la forme de personnifications, façon monstruosités lovecraftiennes, de concepts "corrupteurs".
Etc.
Sans atteindre de telles dimensions, le run de Gillen et McKelvie sur
Young Avengers, comme l'a dit Fred, joue pas mal avec la mise en page, notamment les cases, comme un élément "concret" de représentation du monde dans lequel évolue les personnages, en particulier la dimension d'origine de "Mère", ce qui doit nous mettre la puce à l'oreille ; on peut y ajouter qu'à la fin il est question d'empêcher l'invasion du monde par des "mauvaises idées" (les variantes négatives des jeunes héros issus d'autres dimensions) ; enfin, et même si cet aspect a été plus exploré par la suite dans le
Loki, Agent of Asgard d'Ewing qui fait suite à cette série (
spoiler alert au passage pour thomarvel : la série qui "ne débute pas" / fait suite à autre chose et "ne fini[t] pas" / ouvre sur autre chose, c'est comme qui dirait le principe de l'
ongoing et donc la base même du fonctionnement des comics...), on peut s'intéresser au personnage du "jeune Loki", version nouvelle, et se voulant initialement très différente, d'un "vieux" personnage qui tend immanquablement à se ré-imposer. Ce n'est pas l'aspect le plus prévalent de la série, mais ça en fait partie.