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uarante ans de carrière, près d’une centaine d’albums, sa part de reconnaissance et de récompenses, sans compter un film et un seul en scène, Didier Tronchet mène sa vie d’artiste tambour battant. D’abord reconnu pour son humour noir, il a effectué, particulièrement ces dernières années, un virage plus réaliste, voire intimiste. C’est entendu, comme tous les auteurs, il n’a cessé de puiser son inspiration dans sa propre trajectoire (et celle de ses proches) afin de nourrir ses créations, sans jamais réellement tomber dans l’autofiction ou l’autobiographie stricto sensu. Respect des siens, pudeur, timidité, appelez ça comme vous voulez. Cependant, cette tendance a commencé à se déliter dernièrement et il a eu l’impression que la frontière entre fiction et expériences vécues devenait de plus en plus floue, pour lui et, imagine-t-il, également pour les lecteurs. Abuse-t-il du procédé ? Triche-t-il d’une certaine manière ? Le réflexe de se tourner vers la dérision n’est-il pas gratuit, voire trompeur ?
Afin de parer à ces sentiments ambivalents, il a décidé de changer son fusil d’épaule et de tout mettre sur le papier dans Le cahier à spirale. Fini les passe-droits et les faux semblants. Après avoir fait le tour de sa famille et rassemblé les faits (les vrais), il propose un ouvrage confession où il met en perspective la réalité et la façon dont celle-ci a influencé son œuvre. Évidemment, comme il est impossible de réinventer intégralement un style établi, cette radicalité et ce franc parlé revendiqué sont adoucis par quelques échanges imaginaires avec un éditeur affolé (Et les ventes ? As-tu seulement pensé aux ventes ?) par ce changement d’approche.
Il en ressort un livre d’une honnêteté sans faille, composé d’une galerie de portraits touchants et extrêmement parlants. De nombreuses précisions et auto-analyses accompagnent les anecdotes et permettent de mieux cerner l’homme et son œuvre. Récit de l’incroyable existence de sa mère, quelques pages sur son père (disparu très tôt), retrouvailles façon intervention avec ses sœurs et son frère, l’éternel émerveillement pour son fils, etc. rappelleront certainement des moments de lectures aux fans. C’est normal et c’est fait exprès. En effet, chaque chapitre est relié avec les scénarios de tel ou tel livre. Il est d’ailleurs préférable, mais pas indispensable, de bien maîtriser la bibliographie du scénariste afin d’appréhender tous les ponts et tous les emprunts au réel évoqués.
Doté d’une sincérité impressionnante, Le cahier à spirale s’avère prenant, immensément touchant et très révélateur. De plus, outre un côté méta-BD passionnant en soi, ce très réussi essai dessiné aborde aussi de nombreux sujets sociaux plus généraux d’une manière pas moins pertinente. En résumé, un projet totalement abouti et parfaitement réalisé, autant visuellement que sur le fond. Bravo.
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