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illes Bertin (1961- 2019), ce nom n’évoquera certainement pas grand-chose pour la majorité des gens en dehors du cercle des amateurs de punk-rock français. Leader de Camera Silens, groupe actif au début des années 80, Bertin fait partie de ces baby-boomers un peu perdus arrivés à l’âge adulte alors que les promesses de Mai 68 s’étaient évaporées pendant les années de plomb. Un peu musicien, beaucoup zonard, il succombe rapidement aux paradis artificiels en vogue à cette époque. La gloire se faisant attendre et les concerts ne rapportant pas grand-chose, il survit à la marge en truandant quand c’est nécessaire. À force, il s’enhardit et réussit finalement un gros coup en pillant un dépôt de la Brink’s. Le magot en poche, il se réfugie à l’étranger, en Espagne, puis au Portugal. Cette mise au vert «off grid» va durer durant près de trois décennies. Miné par la maladie et fatigué, il finit par se rendre aux autorités en 2016.
Portrait d’un individu, d’un moment et d’une génération, Les héros du peuple sont immortels permet à Stéphane Oiry de raconter des chansons et des évènements qui ont assurément marqué son adolescence. Malgré cet attachement personnel, l’auteur évite néanmoins la nostalgie et propose un récit âpre et plutôt qu'une certaine forme de mélancolie. Au centre des débats, un protagoniste principal passablement paumé, mais à la volonté de fer, en dépit de ses addictions. Face à de nombreux défis, il se démène, fonde une famille et, au prix de constants efforts sur lui-même, arrive globalement à garder la tête hors de l’eau. Aujourd’hui, le mot résilience vient immédiatement à l’esprit. Le scénariste préfère judicieusement en rester aux faits et décrit, avec la bonne distance, ce cheminement atypique et profondément humain.
Construction habilement tournée autour d’un long retour en arrière, narration omnisciente décalée juste ce qu’il faut pour donner du relief et du contexte aux évènements et une mise en image efficace, l’album s’avère dense et très accessible à la fois. La gestion du temps est à remarquer. Urgence d’exister et longues périodes de doutes et de cavale se succèdent naturellement. Oiry garde fermement les mains sur le guidon et ne perd jamais le fil de son scénario. Visuellement, l’utilisation de trames est également à relever. En plus d’apporter une petite touche «vintage», celles-ci renforce les couleurs et les atmosphères.
Pseudo-biographie (voir l’avertissement en début d’ouvrage) et véritable roman d’une époque, Les héros du peuple sont immortels oscille entre admiration, regrets et leçon de vie. Un très bel album qui sait aller au-delà de son sujet de départ.
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