L
a vie n’a pas épargné Nouria : enceinte avant l’âge et mère célibataire avant même d’avoir donné naissance, elle a vite perdu le contrôle des événements. Les années ont passé et détruit ce qui lui restait de volonté. Son fils, rapidement devenu un étranger, a atterri en prison. Son boulot est de ceux qui achèvent de vous broyer et son employeur un salaud de la pire engeance. Définitivement seule dans sa non-existence, alors qu’elle va perdre pied, Jean-Claude, routier taciturne et robuste, la rattrape au vol.
La couverture annonce le ton, ce n’est pas encore là qu’Emmanuel Moynot fournira un album joyeux et léger. L’heure la plus sombre vient toujours avant l’aube est dans la droite lignée de Bonne fête maman !, Pendant que tu dors, mon amour et A quoi tu penses ? : rencontre probable entre êtres humains au lourd passif et conséquences. Cette trame n’est pas sans faire penser à celle qui émerge du premier tome du diptyque Lulu femme nue d’Etienne Davodeau paru pratiquement simultanément. Néanmoins, la comparaison s’arrête là, et c’est heureux pour la diversité. Dans le cas présent, le récit se révèle moins riant. La parenthèse qui s’ouvre aux deux personnages principaux, cet instant où leur est offerte la possibilité de recoller avec un soupçon d’humanité, n’aura pas la même intensité. Les protagonistes intériorisent tant que cette part de bonheur leur reste comme inaccessible. C’est d’ailleurs sans doute là que la narration pêche un peu, l’auteur jonglant avec eux tout au long de l’histoire, usant avec une belle constance de la voix off. L’objectif de mettre en perspective les deux trajectoires fonctionne, mais il a tendance à gripper la fluidité de lecture.
Le dessin et la mise en couleurs sont dans le ton et achèvent d’assombrir l’histoire. Son trait est rustique, à l’image des visages de ces hommes et de ces femmes, largués et fatigués, qu’il met en scène. Moynot n’est pas connu pour adoucir la réalité et semble plutôt, comme à son habitude, se complaire à forcer la dose (le sommet en la matière étant sans doute Y5/P5, une merveilleuse histoire d’amour). C’est ainsi qu’il parvient même, à l’occasion d’un des rares passages apaisés, à glisser en arrière plan d’une plage un bunker taggué. Ce dernier s’impose presque comme une nécessité dans le décor, une sorte de besoin viscéral !
L’heure la plus sombre vient toujours avant l’aube devrait répondre aux attentes des amateurs de cette vision très sordide de l’existence que Moynot excelle à transposer dans ses bandes dessinées. De là à conquérir un plus vaste lectorat, c’est une autre question, son approche demeurant des plus cafardeuses. Cela, quand bien même il semble laisser la porte ouverte, par instants, à d’autres sentiments.
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