A
u fond d’un cul-de-sac gît le cadavre d’une jeune fille, le crâne complètement défoncé. Au Catshack, le night club d’à côté, Kim fait part de son sentiment d’insécurité à Strel. John, le plongeur de la boîte fait la connaissance de Daisy, la nouvelle danseuse. Eloy, artiste travaillant sur une symphonie de théières dans un immense silo à grains, a des sentiments pour la belle blonde qui discute avec sa cousine, tandis qu’un grand baraqué avec une gueule de Frankenstein recherche désespérément son ex. Les vies de six personnes dont l’existence gravite autour de ce bar new-yorkais vont s’entrecroiser dans une ambiance électrique 100% Pope !
Seulement quelques mois après la parution quasi-simultanée de deux récits de Paul Pope sur le marché francophone (Heavy Liquid chez Dargaud et Batman Année 100 chez Panini), l’auteur d’outre-Atlantique récidive avec ce titre paru en 2002. Ce maître de la bande dessinée underground, encore récemment couronné aux Eisner Awards, confirme ainsi sa percée sur le marché du neuvième art francophone. Au départ 100% devait être une série d’histoires courtes vaguement reliées entre elles, pour finalement devenir un récit choral sur l’amour et le sexe à la demande de l’éditeur.
Pour décor, Paul Pope utilise à nouveau un New York futuriste très crédible. L’auteur aime utiliser la science-fiction comme véhicule littéraire afin d’exprimer ses inquiétudes face au monde que nous sommes en train de créer. Le futur mis en place par Pope, situé dans un cadre glauque, caractérisé par des ruelles sordides et des appartements délabrés, est ainsi à la fois familier et inquiétant. L’auteur dépeint un monde peu attirant où l'inquiétude et l'insécurité sont palpables. L’industrie du sexe a littéralement réduit les femmes à des morceaux de viande, à l’image de ses stripteaseuses dont les entrailles sont projetées sur grand écran à l’aide d’une technologie basée sur l’imagerie par résonance magnétique.
Malgré ce meurtre en scène d’ouverture et cette atmosphère crasseuse où règnent dépravation et violence, Paul Pope délaisse ici le thriller urbain pour livrer un récit sur l’amour, les relations, le sexe et la vie. Conservant une ambiance cyberpunk dépravée et n’hésitant pas à massacrer l’histoire de Tristan et Iseult, cette fresque amoureuse reste cependant dans l’esprit popien et conserve d’ailleurs les thèmes qui lui sont chers : le sexe, la technologie et l’art ! Les protagonistes de ce chassé-croisé relationnel sont des marginaux dont l’auteur développe la psychologie de manière très humaine. Des personnages à qui la vie n’a pas fait de cadeaux, mais qui donnent tout ce qu’ils ont pour trouver le bonheur affectif au sein d’un monde qui baigne dans l’extravagance.
Loin des sentiers battus, Paul Pope livre un one-shot à la croisée des genres, entre comics, manga et BD franco-belge. A l’aide d’un style inimitable, il livre une ambiance sombre et sale, un découpage cinématographique et des protagonistes attachants. Son trait dynamique et précis est époustouflant sur les scènes d’action, comme les combats d’Haïssieu, le boxeur, ou les mouvements sensuels et énergiques de Daisy quand elle se déhanche sur scène.
Du grand art, 100% noir et blanc !
BD en N&B avec une maîtrise parfaite des nuances claires/obscures et surtout, SURTOUT, un dessin unique. Paul Pope a un coup de crayon génial, très dynamique et cela offre une lecture rythmée. On enchaine les pages avec beaucoup de plaisir. Voici pour la partie graphique. L’histoire, elle, n’a pas su me transcender : Elle se fonde sur des relations entre différents personnages liés plus ou moins indirectement. Et c’est un peu trop plat pour moi, malgré une belle introduction qui me rappelait le Summer of Sam de Spike Lee. Cela n’empêche pas Pope d’apporter du lyrisme et de la poésie dans la narration, pas évident dans cet univers où les êtres évoluent dans un milieu saturé de communication et d’agression urbaine en tous genres.