C
e soir, la fête bat son plein. Les corps se frôlent. Les regards se croisent. Un couple s'enlace. Les gestes se font plus intenses. La fièvre monte... jusqu'à ce qu'un cri ne déchire la nuit. Là, dans l'eau, un cadavre flotte. Le visage est émacié, le corps décharné. Le cœur n'y est plus. Tout le monde regagne son foyer, chacun sur son île. Elle et Lui tentent d'oublier. Ils organisent une soirée entre amis, sous les yeux de leur employée de maison qu'ils traitent avec un mélange de condescendance et de paternalisme. L'alcool et la drogue coulent à flot. Les invités s'amusent, parfois un peu trop. Ils font l'amour, inconscients de ce qui se déroule dehors. les cadavres continuent de remonter à la surface. Ils se hissent sur les terrasses et commencent à attaquer les vivants. Il faut fuir. Mais où ?
Les premières pages rappellent la frénésie de La ville, titre homonyme de Frans Masereel paru voici près d'un siècle. La filiation entre l'artiste belge, maître de la gravure sur bois, et Nicolas Presl, également tailleur de pierre, est notoire. Ils partagent ce même rapport à la matière mais aussi le procédé narratif de la fable muette métaphorique. Leurs œuvres sont traversées d'un engagement social très fort. Puis, au fur et à mesure que les morts émergent, le récit prend un air plus horrifique. Il emprunte à la vision politique du zombie selon George A Romero. Les créatures apparaissent comme les perdants, les laissés-pour-compte, ceux qui jonchent le fond de la mer, pour avoir voulu rêver un peu trop fort pour mieux se fracasser sur la réalité. Lorsqu'un navire surgit dans la tempête pour aborder une villa, l'ombre du Hollandais Volant vient directement à l'esprit.
Ce nouveau titre s'inscrit dans la continuité directe du livre précédent de l'auteur, déjà consacré à la crise migratoire et directement inspiré de la jungle de Calais. Les deux livres partagent d'ailleurs certains éléments. Si le message est limpide, il est délivré au sein d'une intrigue particulièrement efficace et haletante. Le tour de force est d'autant plus impressionnant que l'auteur de Priape reste fidèle à son style, sans le moindre texte et visuellement expressionniste, fortement influencé par Picasso et la sculpture. L'imagerie puissante multiplie les scènes marquantes, instillant un sentiment de malaise diffus. Que ce soit dans la représentation des personnages ou dans celui d'une ville fragmentée, les riches s'isolant dans des maisons insulaires, alors que les pauvres s'entassent au sein d'une cité anarchique, survolée de drones menaçants. Tout concourt à développer un point de vue assumé sur les inégalités sociales grandissantes et le retour de manivelle qui semble de plus en plus inévitable.
Définitivement, La Ville se révèle particulièrement abouti, à la fois très accessible et profondément contestataire.
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