Enfin de la bonne Auto-biographie Carnation de Xavier Mussat

[bdmetrique.com]

Depuis quelques années, je ressens une grande réticence face aux récits autobiographiques en bédé. Certes, ce genre a été le fer de lance de la « nouvelle bande dessinée » dans les années 1990 et au tournant des années 2000. J’ai été renversé par des séries comme L’ascension du Haut mal (David B) et Persépolis (Marjane Satrapi), ou un album comme Les Pilules bleues (Fredérik Peeters); autant de réalisations qui m’ont persuadé d’adhérer à ce courant.

Or, aucune œuvre de cette qualité — ou presque — ne nous a été proposée depuis au moins dix ans. Jusqu’à ce qu’un vétéran du genre, Xavier Mussat, nous offre chez Casterman un travail digne des belles années de L’Association.
http://bdmetrique.wordpress.com/?p=725&preview=true

[onehmouninehl]

Le "T1", du même auteur :

est très bien, aussi.
Par contre, le début se cherche et on sent qu'il hésite entre David B. et Fabrice Neaud, puis trouve sa propre voie.

[Riusma]

Génial, merci du partage!

J'adore le genre autobiographique à l'américaine.

Si c'est aussi bien que tu le dis en plus...!

Je vais tenter de me le procurer, je donnerai mon avis sur ce sujet.

[edgarmint]

La chronique Carnation par F. Mayaud

[chris24]

J'ai commencé la lecture. Déjà c'est un très beau bouquin, merci Casterman ! Les gaufrages rehaussés de dorure sont du plus bel effet et se marient parfaitement au travail graphique de Xavier Mussat qui me fait penser à de la gravure...

[bdmetrique.com]

@ chris24 C'est vrai, j'adore aussi ces belles éditions et les signets à ruban Casterman nous offre effectivement un beau contenant pour un bon contenu. Évidement les belles éditions se payent, mais en même temps pourquoi pas lorsque l'on est amoureux de l'objet livre comme tel Un peut fétichiste? En regardant la dizaine de volume de la pléiade dans ma bibliothèque je me dis peut-être

[chris24]

D'un autre côté, entre la présentation soignée et les 240 planches c'est normal que le bouquin coûte plus cher...
J'aime bien les belles présentations aussi, ça participe au plaisir de lecture.

Bon je n'en suis qu'à la page 80, il va me falloir quelques jours avant de pouvoir donner mon avis...

[chris24]

Bon, enfin fini. Je n'ai pas pris la claque attendue. C'est bien mais je reproche une chose : le procédé narratif. Carnation m'a plus donné l'impression d'un journal intime illustré, j'ai trouvé que les dialogues manquait beaucoup. Il y a énormément de récitatif, trop à mon goût, ce qui fait qu'on est souvent dans la tête de l'auteur exorcisant son passé plutôt que dans le vécu direct de la scène narrée. Cette distanciation m'a à force un peu gênée. On ne rentre pas dans la vie des personnages comme on rentrait dans celles de Pilules bleues, ou de Une vie de couple pour ne citer que deux exemples mais dont les dialogues créent justement cette intimité. Ici le récit est très souvent en voix off et les scènes passent assez vite. C'est un peu un immense puzzle de moments, de tranches de vie, de leur relation (celle de Xavier et Sylvia donc principalement) assemblés sans qu'il y ait cette fluidité narrative et de mise en scène, laissant le temps aux choses d'être faites, plutôt que seulement dites. Par exemple, pour être plus clair si besoin, quand les deux personnages s'engueulent, Xavier Mussat les représentent vociférant sur quelques cases et nous décrit leur engueulade plutôt que de la mettre en scène avec les dialogues directs. C'est ça que je lui reproche et qui manque à mon sens. Cela provoque une distance entre le lecteur et les personnages.

Graphiquement c'est vraiment superbe par contre, on en prend plein les yeux à chaque page.

Au final une œuvre intimiste au graphisme fort avec laquelle Xavier Mussat aurait pu aller plus loin encore en nous impliquant davantage grâce à des "dialogues et à une mise en scène directs", à une "narration directe", plus souvent ON plutôt que OFF donc...

[bdmetrique.com]

Chris24 Le point que tu soulèves ne m'avait pas frappé de prime abord, mais je dois avouer que je suis en partie en accord avec toi. Il est évident que si j'ai aimé Carnation, si on le compare à Pilule Bleue au point de vu narratif cela aurait été une plus valu certe intéressante d'intégrer d'avantage le dialogue. Toutefois ces vraisemblablement une voie dans laquelle Mussat ne tenait pas à s'engager. Selon moi c'est un choix conscient de sa part. Il a voulu aller d'avantage dans l'intériorité de son histoire. Selon mon humble avis.

[edgarmint]

Cette démarche me semble précisément celle voulue par l'auteur : il ne raconte pas à proprement parler, mais il analyse son parcours, essaye de comprendre le pourquoi du comment. Après, le rendu plaît plus ou moins que le souvenir de lecture que l'on peut avoir de Pilules bleues - gné, je n'arrive plus à remettre la main dessus, ai dû le prêter... - ou du plus récent Histoire d'un couple qui sont aussi, de mémoire, un retour sur du vécu, mais en fin de compte la démarche n'est pas la même. Carnation est le fruit d'un long travail d'introspection, on sent que Xavier Mussat a véritablement trituré sa matière première, il me semble, de mémoire, qu'il y a plus de naturel, plus de légèreté dans les deux autres ouvrages cités. En caricaturant un rien, tel que c'est narré, on peut presque parler de personnages auxquels il est possible de s'identifier pour le lecteur, que ce soit dans Les pilules bleues et Histoire d'un couple, or je ne suis pas certain que l'on puisse transposer cette idée avec autant de force avec Carnation. Il n'est pour ainsi dire pas possible de s'identifier au personnage "Xavier Mussat", peut-être ponctuellement, c'est possible pour une anecdote, une idée qu'il développe, mais pas au-delà. Son cheminement à travers sa voix off va tellement dans le détail - le texte est précisément travaillé - qu'il est impossible de lire ce livre sans être conscient qu'il s'agit du cheminement d'un autre, et exclusivement de ce cheminement ; et ça demande pas mal d'attention !

J'ai comparé dans ma chronique la narration de Carnation avec celle des bandes dessinées de Fabrice Neaud, je parle là du Journal qui est aussi à caractère auto-biographique, et de Philippe Squarzoni qui sont, elles, à dominante militante (l'auteur s'y met aussi en scène, mais pas à des fins identiques). Pour ce dernier, on peux s'amuser à faire un rapprochement proche de celui que tu fais plus haut, avec un album comme Les ignorants d'Etienne Davodeau, sans doute narré d'une manière plus conventionnelle. La manière de raconter est littéralement différente, le résultat est une réussite dans les deux cas.

[edgarmint]

J'ai retrouvé mes Pilules bleues... en parcourant rapidement cette bande dessinée, s'est aussi imposé à moi que Frederik Peeters laisse beaucoup plus la main à son lecteur que ne le fait Xavier Mussat, le cheminement de Xavier Mussat est tordu, mais balisé, celui de Frederik Peeters laisse beaucoup plus la possibilité de s'approprier l'histoire, tout du moins au cours de la lecture ; sur le long terme, je ne suis pas aussi convaincu, mais c'est peut-être mon sentiment parce que ma lecture de Carnation est encore récente..

[edgarmint]

Un très bon article à propos de Carnation : http://par-la-bande.blogspot.be/2014/06 ... -2014.html

[edgarmint]

La maison d'édition Ego comme X annonce la réédition de Sainte famille : http://www.ego-comme-x.com/spip.php?article93

[Tofi]

Je rejoins ton avis Edgarmint. Après avoir lu Carnation, je me suis replongée dans le Journal de F. Neaud. On y trouve la même narration quasiment "psychanalytique".

Je me suis d'ailleurs souvent fait la réflexion, en lisant Mussat, que Neaud et David B. étaient sans doute des influences.

Pour moi le Journal de Neaud reste au-dessus, parce qu'il est désarmant de franchise, intelligent, honnête. L'autobiographie la plus entière que j'aie lue. Parfois jusqu'à l'impudeur assumée, qui m'avait gênée à la première lecture.

Enfin je me dis tout d'un coup, à côté de ce Journal, n'importe quelle autobiographie passe pour romancée.

En tous cas Carnation est l'une de mes meilleures lectures cette année. J'ai tourné la dernière page en voulant en lire vingt de plus.

Je vais lire ta chronique Edgarmint, ça va encore me rendre plus intelligente.

[Thierry_2]

très bonne interview dans le numéro 4 ou 5 de Kaboom, très éclairante sur cet excellent livre

[onehmouninehl]

Tout comme tu es d'accord avec moi, Tofi, (

que Neaud et David B. étaient sans doute des influences

), je suis d'accord avec toi concernant le journal de Fabrice Neaud. Et on peut rajouter l'intelligence de l'utilisation du medium BD pour raconter son histoire qui est sans précédent à mon avis.

[alain-alain]

La réédition de Sainte Famille est disponible, auprès de votre libraire ou sur le site d'ego comme x

http://www.ego-comme-x.com/spip.php?article93

[Thierry_2]

en fait, ce qui m'a frappé en lisant Carnation (impression confirmée par l'entretien entre Menu et Mussat dans Kaboom), c'est à quel point j'avais l'impression de lire un livre de la fin des années 90 ou du début des années 2000. Il y a quelque chose dans le ton, dans l'atmosphère, dans l'approche visuelle que j'ai du mal à définir mais qui me semblait "daté" (sans que ce soir péjoratif, je précise).
Dans l'entretien de Kaboom, Mussat et Menu expliquent très bien la raison de cette impression (la flemme de rechercher le passage et trop précis dans les mots pour que je hasarde à essayer d'expliquer moi-même), et Mussat assume complètement, égratignant au passage pas mal de récit autobio de ces dernières années.
En tout cas, c'est un des livres les plus intéressants de ces derniers mois.

[unrefractaire]

On y trouve la même narration quasiment "psychanalytique". Pour moi le Journal de Neaud reste au-dessus, parce qu'il est désarmant de franchise, intelligent, honnête. L'autobiographie la plus entière que j'aie lue. Parfois jusqu'à l'impudeur assumée, qui m'avait gênée à la première lecture.

Ces analyses du travail de Xavier Mussat et Fabrice Neaud me rappellent American Splendor de Harvey Pekar: une des toutes premières autobiographies.
Pour avoir lu les deux premiers tomes des anthologies chez çà et là, j'ai été scotché par l'incroyable précision des réactions et des sentiments de l'auteur. Le détail des causes et des effets, une analyse psy effectivement. Ne connaissant Pekar que de réputation, j'imaginais plutôt de la diatribe à la Crumb (que je suis loin d'avoir lu entièrement donc première impression) et il s'avère que pas du tout: on a un texte d'une grande finesse d'analyse. Et la narration est très bien menée.
J'avais lu Sainte famille de Mussat que j'avais bien aimé sans être enthousiasmé. J'irai lire Carnation et le journal de Neaud.