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Thierry Smolderen, interview dans la quatrième dimension

BDGest (J. Briot) News 15/06/2006 à 10:41 2391 visiteurs
Professeur à l'Ecole de l'Image d'Angoulême, théoricien et essayiste de bande dessinée parmi les plus audacieux, Thierry Smolderen est également auteur d'une vingtaine de séries. Parmi celles-ci, McCay, dessinée par Jean-Philippe Bramanti, est une biographie inventée l'auteur de Little Nemo, dans laquelle réalisme et fantastique se confondent. Malgré la présence de postfaces très documentées dans chaque tome, nous avons voulu en savoir plus sur la démarche et les intentions de l'auteur...


BDGest : 2005 était l'année du centenaire de la création de Little Nemo par Winsor McCay. Qu'est-ce que cette oeuvre représente pour vous ?

Thierry Smolderen : Difficile de reprendre tout l'historique de ma relation à Little Nemo : c'est une bande dessinée que j'ai rencontrée très tôt, vers l'âge de dix ou douze ans. Ses origines me sont longtemps restées mystérieuses, jusqu'à la parution d'une anthologie aux éditions Horay, une véritable révélation. Puis j'ai découvert une biographie de McCay, parue dans les années 1980 aux Etats-Unis et toujours inédite en France. On y trouve de nombreux éléments sur la vie de l'auteur : son rapport avec les parcs d'attraction, sa vie de forain... Tous ces éléments m'ont permis de constituer mon imaginaire.

En préface du tome 1 de McCay, vous expliquez que les recherches autour du "Wonderland" de Detroit, découvert sur une photo d'époque, ont retardé le démarrage de l'album de plusieurs mois... C'était si important ?

Bramanti a un style très onirique, et en même temps, il a besoin de beaucoup de précisions photographiques et de sources authentiques, pour faire ce qu'il fait. Il a besoin de sentir que les images qu'il produit sont pleines de sens. Etant son collaborateur, je ne suis pas le mieux placé pour dire toutes les qualités de Jean-Philippe Bramanti... Quand même, c'est un gars qui a une véritable poétique de l'image. Tout ce qu'il produit a de multiple sens, de multiples niveaux de lecture. Il y a un côté extrêmement structuré dans son travail.

Comment avez vous "découvert" Jean-Philippe Bramanti ? A l'Ecole de l'Image d'Angoulême ?

Non, il est sorti avant que je sois professeur à Angoulême. C'est Thierry Groensteen qui a fait le lien. Je lui avais fait lire mon scénario en 1992, et comme il savait que cet étudiant brillant s'intéressait à McCay, il le lui a montré.

Avec cette série, on a vraiment l'impression que vous utilisez Bramanti et McCay pour expérimenter des théories personnelles !

Oui, c'est vrai (rires). Quelque part, toutes les histoires sur McCay (mais je ne sais pas s'il faut raconter ça !), viennent d'une théorie que j'ai à propos de Moebius. J'ai écrit, il y a des années, un article sur Moebius dans lequel j'analysais son rapport à la quatrième dimension, sa façon de se retourner sur lui-même dans le dessin. Jean Giraud a choisi son pseudonyme Moebius dans une nouvelle parue en 1958, qui racontait l'histoire d'un personnage qui se contorsionnait dans la quatrième dimension. Mon analyse établit de façon incontournable que cette histoire l'a tant marqué, qu'elle est devenue une sorte de principe inconscient, un lapsus spatio que Giraud a introduit dans ses livres. J'ai appliqué à Blueberry et au Garage hermétique cette analyse à travers l'idée du retournement sur soi, en observant la façon dont le ruban de Möbius est appliqué au rapport du dessinateur avec son oeuvre.
Il y a selon moi un un rapport évident entre Moebius et McCay : ce sont probablement les deux dessinateurs qui ont le cerveau le plus spatialisé. En deux-trois traits, il n'y a qu'eux deux pour offrir une telle immersion dans l'image. J'ai donc commencé à me dire que certains dessinateurs ont une capacité cognitive visuelle et spatiale extrêmement développée, et qu'ils adoptent parfois un principe topologique inconscient, comme le ruban de Möbius dans le cas de Giraud.
Je me suis demandé si cela ne pouvait pas être le cas aussi de McCay, qui était le contemporain d'un mathématicien génial du nom de Hinton. Charles Hinton a écrit des bouquins sur la quatrième dimension, où il essayait de trouver une manière intuitive d'appréhender cet espace. Selon lui, le fait que le cerveau soit capable d'intuitionner la quatrième dimension et d'y faire des opérations imaginaires, comme faire tourner un hyper-cube, signifie que notre cerveau a une perception spatiale quadri-dimensionnelle. En d'autre termes, une partie de notre cerveau pourrait bien être branchée sur cet espace.


Vous disiez que JP Bramanti a besoin de beaucoup de documentation pour son travail. Cela signifie que vous avez dû l'ouvrir à cela ?

Jean-Philippe n'a pas l'esprit très mathématique. Mais à force d'en discuter, je crois qu'il a bien compris. La meilleure façon de parler de la quatrième dimension, c'est de faire un parallèle avec les rapports entre la seconde et la troisième. Or, les dessinateurs sont justement des spécialistes de la retranscription des images réelles sur papier !

Comment expliqueriez-vous ce qu'est cette quatrième dimension ?

L'idée est d'essayer d'imaginer une dimension spatiale supplémentaire, qui soit orthogonale aux trois autres que nous connaissons dans le monde physique. Le temps, pour sa part, n'est pas une dimension spatiale, mais plutôt un axe qui permet d'introduire la notion de mouvement.
La quatrième dimension est une construction imaginée par des mathématiciens. Avec des ordinateurs, on peut y faire tourner des objets, en observant leurs intersections avec le mode en 3D... D'où l'idée dans le quatrième album, que McCay qui essaie de retourner dans la 4e dimension pour les raisons de l'intrigue, adopte le principe du dessin animé, en créant un hypercube.

Vous avez utilisé un pseudonyme de McCay, Silas, pour incarner son rival. Peut-on considérer Silas comme un alter ego de McCay, qui serait passé au travers d'un miroir quadri-dimensionnel ?

Silas est le seul personnage inventé de l'histoire. Il y a une naïveté profonde chez McCay. Ce dessinateur prodige était capable de rester quinze heures par jour sur sa table à dessin, mais il n'avait pas une conscience politique très aiguë. Il s'est laissé capturer et embarquer par William Randolf Hearst (le grand magnat de la presse américaine qui a servi de modèle au Citizen Kane d'Orson Welles), qui a poussé la bande dessinée dans les années 1890. C'est lui qui a développé les fameuses pages du dimanche. McCay travaillait dans un journal qui n'appartenait ni à Hearst ni à Pullitzer, les deux grands patrons de presse de l'époque. Il était dans un groupe beaucoup plus petit, celui du Herald Tribune. A un moment, Hearst est venu le chercher, lui a fait un pont en or pour finalement lui couper les ailes. Little Nemo chez Hearst n'a pas eu autant de succès qu'il pouvait en avoir dans l'autre journal, et McCay a abandonné Little Nemo pour faire du dessin animé. Hearst l'a forcé à abandonner cette discipline pour lui imposer de se consacrer à l'illustration politique, durant quinze ans.
Silas est la mauvaise conscience de cette période, brillante au niveau industrielle, une période à laquelle nombre de Républicains d'aujourd'hui rêveraient de retourner : à l'époque, tout contrat signé entre deux parties était valable, quel qu'en soit le contenu. D'où une exploitation incroyable des ouvriers...

Quand McCay rencontre Silas qui lui semble plus brillant que lui, cela lui coupe toute envie de dessiner. Vous pensez que McCay avait un tel besoin de pouvoir se considérer comme le meilleur dans sa discipline ?

On voit souvent cela à l'école d'Angoulême : des jeunes gens arrivent, qui étaient les meilleurs dans leur environnement. Quand ils tombent sur dix fois meilleurs qu'eux, cela leur cause un choc terrible. Cette idée m'est venue d'une discussion avec Milton Caniff, qui décrivait sa rencontre avec Noel Sickles, un dessinateur de la même période dont les dessins lui avaient paru bien supérieurs aux siens... "Aussi bon qu'on soit, on trouve toujours meilleur que soi", disait Caniff. C'est en partant de cette phrase qu'est venue l'idée de faire de Silas pas simplement un opposant politique ou un rebelle un peu cinglé, mais quelqu'un qui serait un double de McCay donc aussi bon que lui, et même meilleur dessinateur.

Propos recueillis en janvier 2006


Pour en savoir plus :
>> Bibliographie de Thierry Smolderen sur bedetheque.com
>> Chronique du tome 4
>> Forum consacré à la série

BDGest (J. Briot)