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Entretien avec un tueur

... et son créateur, Matz

Propos recueillis par L. Gianati Interview 16/05/2011 à 10:26 4308 visiteurs
Cynique, froid, implacable… Le Tueur élimine ses cibles depuis désormais treize ans, pour le plus grand bonheur de ses lecteurs. La sortie du 9ème tome, Concurrence déloyale, est l’occasion rêvée de faire le point, en compagnie de son créateur, Matz, sur une série qui est devenue, au fil du temps, l’un des titres phare des éditions Casterman.


En 2003, vous aviez décidé de "tuer" le Tueur : pour quelles raisons ? Qu’est-ce qui vous a poussé à revenir sur cette décision et à prolonger ses aventures, quatre ans plus tard ?

Je n’ai jamais décidé de mettre fin aux aventures du Tueur en 2003 ni à aucun autre moment. Jacamon a souhaité s’arrêter, parce qu’il arrivait à saturation, ce que je peux par ailleurs comprendre. Après tout, c’est vrai que le dessinateur doit dessiner, jour après jour, mois après mois, le même personnage, sous toutes les coutures. Je peux concevoir qu’il y ait de la lassitude, voire une overdose. Toujours est-il que nous avons fait une pause. J’ai toujours été convaincu qu’il y avait d’autres choses à faire, qu’il y avait encore de la matière, beaucoup de matière, et que le personnage avait un potentiel inexploré, c’est pour cela que je dis que je n’ai jamais voulu ni pensé abandonner. Si Jacamon avait définitivement renoncé, j’aurais je pense continué avec quelqu’un d’autre. Donc je n’ai jamais eu l’impression de « revenir », puisque je n’ai jamais eu l’impression de l’avoir quitté ! C’est d’ailleurs peut-être pour cela que l’interruption de quatre années correspond à ce qui s’est passé dans la vie du Tueur… Et puis Jacamon s’est dit que le Tueur lui manquait, finalement, et il a voulu reprendre. Il est revenu gonflé à bloc, ainsi que tout le monde peut le voir, je suppose. Mais à mon avis, c’est Jacamon qui est parti et revenu, pas le Tueur !
Cette question me fait aussi penser à certains lecteurs un chouia grincheux qui parfois me disent que ça aurait été mieux de ne pas continuer, et même d’autres qui croient soupçonner ou sous-entendent que nous ne continuons « que pour l’argent »… Je dois dire que tel n’est pas du tout le cas. Et je suis persuadé qu’une lecture objective le prouve. Je crois que ceux qui ont envie de penser cela ne le verront sans doute pas, quelle que soit la qualité de la série. Je dois dire que les réactions des lecteurs sont parfois assez troublantes. Certains disent que c’est trop différent du premier cycle, d’autre que cela ne l’est pas assez. Je suppose que cela prouve que la vérité est quelque part au milieu. Pourtant, il existe à mon sens des éléments objectifs : par exemple, il y a un tome du Tueur dans lequel il ne tue absolument personne… Je trouve que cela constitue une variante et un changement sensible par rapport aux autres albums. Cela participe aussi de l’idée que dans la série Le Tueur, les contrats et l’action sont quasi secondaires. Ce qui compte, c’est le personnage, son cheminement, ses idées, sa vision du monde. La violence est plus dans ses propos, ses idées, ses pensées, que dans ce qu’il fait. Il ne faut donc pas se tromper… Malgré cela, certains pensent que ça ne change pas et qu’il n’y a pas de renouvellement. A l’inverse, d’autres disent « oui, mais alors là, il ne tue personne, il n’y a pas de baston ». Pas facile de contenter tout le monde !

Solitaire à ses débuts, le Tueur s’entoure au fil des tomes de femmes, bien sûr, mais aussi d’alliés de circonstance, jusqu’à former une association, inattendue, à la fin de Concurrence déloyale. Est-ce un nouveau tournant donné à la série ?

Oui, c’est un tournant nouveau et différent – et je l’espère intéressant - que prend la série dans ce deuxième cycle. Cela permet d’explorer de nouveaux éléments, et notamment une quête d’une certaine sécurité pour le Tueur et son ami Mariano. Ils pensent à leur retraite, à leur reconversion, et ils sont en train d’essayer quelque chose. Je pense que c’est une façon aussi d’aborder de nouvelles problématiques, voisines de celles déjà traitées, en modifiant assez substantiellement les conditions dans lesquelles le Tueur travaille, même si bien sûr son travail lui-même ne change pas beaucoup.

Il semble également se préoccuper davantage de ses cibles, notamment depuis l’assassinat de Madre Luisa dans Modus Vivendi. Même s’il s’en défend, ses convictions politiques commenceraient-elles à prendre le pas sur ses aspirations purement mercantiles ?

Non, je ne pense pas que le Tueur se soucie davantage de ses cibles, ni non plus que ses considérations politiques prennent le pas sur son professionnalisme. Principalement parce que le Tueur n’a pas de convictions politiques. Il ne croit en rien ni en personne, il ne fait confiance à personne. S’il avait un credo, ce serait celui-là. Ça, et aussi de ne pas gober les discours tout faits, les idées reçues qu’on nous force à ingurgiter. Son seul credo, c’est de réclamer le droit de penser par lui-même, de ne pas se laisser embrouiller. Ça ne le met pas à l’abri de contradictions ou même d’erreurs, mais du moins, ce sont ses erreurs !
L’épisode de Madre Luisa était assez à part, hors normes. C’est le contrat qui déclenche toute l’embrouille. Certes, le Tueur ne comprend pas pourquoi qui que ce soit voudrait supprimer cette femme qui a l’air inoffensive. Il flaire l’embrouille, la manipulation. Mais la manipulation est consubstantielle du métier de tueur professionnel… Et donc il tombe violemment dans un engrenage qui va le mener sur des chemins qu’il n’a jamais explorés. Et ce contrat est aussi la preuve que les considérations mercantiles et professionnelles prennent le pas sur les éventuelles prises de positions politiques qu’il pourrait avoir. Le Tueur descend Madre Luisa parce qu’il a été payé pour cela, exactement comme il aurait descendu Sœur Teresa ou un cadre supérieur.

Les monologues du Tueur se nourrissent des conflits dans le monde au travers des siècles, du Darfour au Rwanda, du massacre de la Saint Barthélémy au génocide arménien. Bien que le sujet soit inépuisable, comment parvenez-vous à enrichir son discours sans qu’il n’y ait de redite, d’un tome à l’autre ?

Certes, l’histoire du monde regorge de massacres, de guerres, d’assassinats, d’atrocités, de crapuleries, de crimes, de mensonges, et donne vraiment une image assez épouvantable de notre curieuse espèce. Il y a deux choses : il faut identifier les éléments historiques qui peuvent servir mon propos et s’insérer dans un des « discours » du Tueur, en fonction de ce qu’il veut dire ou illustrer. Cela nécessite de faire quelques recherches, pour ne pas dire de bêtises. J’ai toujours aimé l’histoire, donc c’est un plaisir de lire tous ces livres et d’y trouver des idées. D’ailleurs, cela fonctionne dans les deux sens. Je peux creuser un élément auquel j’ai pensé ou bien tomber sur quelque chose dont je peux me servir, ou au sujet duquel je peux me demander « comment le Tueur en parlerait-il ? ». La question de la façon dont on va traiter les données historiques est donc importante. Ensuite, effectivement, il faut éviter les redites, les redondances. Cela veut dire que je dois essayer d’être attentif à ne pas me répéter. Mais en général, j’essaie de bâtir un propos. Je ne me contente pas d’énumérations ou de citations. Et puis aussi, c’est un peu la marque de fabrique du Tueur. Même si j’essaie de ne pas multiplier ce genre d’évocation, elles contribuent je crois à communiquer la vision du monde du Tueur, à véhiculer l’idée qu’il se fait du monde, à poser l’atmosphère générale, et donc cela permet de mieux le comprendre, en même temps que cela donne à réfléchir au lecteur. Un lecteur me disait récemment qu’on n’était pas le même après avoir lu Le Tueur, évidemment, quand on écrit, c’est gratifiant de savoir que cela touche les gens.

Le Tueur dénonce fréquemment la vision imparfaite de l’Occident sur le reste du monde. Est-ce également quelque chose que vous avez ressenti lors de vos nombreux voyages ?

D’abord, je n’ai pas grandi en France métropolitaine, mais à la Martinique, et du coup, c’est vrai que cela donne une perspective un peu différente sur la vie et sur le monde. On ne voit pas l’histoire tout à fait de la même façon. Et puis aussi on relativise certaines choses, on voit des gens qui vivent avec beaucoup moins qu’ici et qui se plaignent aussi moins et voient la vie sous un jour complètement différent. Je me souviens aussi que je me disais quand j’étais petit que les héros, au cinéma, étaient des Blancs, que les poupées étaient blanches, et je me disais qu’il y avait comme un problème, que pour mes copains, ça devait être un peu bizarre de se faire tout le temps refiler des modèles blancs… Mais en même temps, les gens adoraient Clint Eastwood dans le rôle de l’Inspecteur Harry, alors qu’ici il était présenté comme un raciste réactionnaire. Les gens ne le percevaient pas comme ça, ils voyaient juste un mec intègre qui butait des truands, et ils avaient raison… Ensuite, les voyages que j’ai pu faire depuis que je vis à Paris, effectivement, contribuent à faire réfléchir et voir les choses sous des angles différents. Et puis, aussi, je m’intéresse beaucoup à l’histoire, mais pas seulement sous l’angle européocentriste. La vision des vaincus, comme dirait Nathan Wechtel, c’est aussi intéressant ! C’est ce que j’ai essayé de faire en utilisant Cuba dans cette intrigue.

Comment aurait réagi le Tueur si on lui avait proposé d’aller assassiner le leader d’Al-Qaïda ?

Il aurait demandé combien c’est payé, et aurait sans doute étudié la faisabilité d’un contrat de ce genre. Je soupçonne qu’il aurait estimé que c’était un boulot trop exposé à son goût. Plutôt une mission pour des forces spéciales, et il aurait sans doute eu raison, ainsi qu’on a pu le voir.

Le premier tome de la série est paru il y a maintenant 13 ans, en 1998. Comment a évolué votre collaboration avec Luc Jacamon ? Travaillez-vous toujours de la même façon qu’à vos débuts ?

Rien n'a changé, depuis nos débuts. J'écris un découpage dialogué, case par case, planche par planche, que j'envoie à Luc, qui réalise les planches tout en ayant une certaine latitude pour modifier le découpage. Mais bien sûr, avec les années - cela fait presque quinze ans que nous travaillons ensemble, il sait ce que je veux dire, et moi aussi, je visualise mieux ce que peut donner tel angle plutôt que tel autre, telle planche ou tel plan. Je vois mieux ce que peut donner son dessin. Ce qui fait que je peux me permettre d'être un peu moins précis dans le découpage et le détail des plans. On est comme un vieux couple, on se comprend sans avoir nécessairement besoin de tout dire. C'est agréable. J'aime beaucoup le travail de Luc, donc je suis toujours curieux de voir ce que ça va donner, parce que c'est là que réside aussi un peu de la magie de la bd. Quand j'écris une planche, je la visualise. Mais lorsque je la reçois, réalisée, il y a forcément des différences. Ce n'est pas moins bien, c'est différent, et c'est intéressant. On se dit "ah tiens il a fait ça comme ça", et après "d’accord, ça marche bien !". A la limite, en lisant les planches, j'aurais tendance à être plus sévère avec les dialogues, le découpage ou l'histoire qu'avec le le dessin !

Combien de tomes sont encore à prévoir pour la série ? À quelle fréquence ?

L’année prochaine paraitra le tome 10, qui marquera la fin de ce deuxième cycle. Après cela, j’ai une autre idée pour une nouvelle aventure, qui devrait être assez différente, que nous développerions sur trois tomes. Ce qui nous amènera au tome 13. Je pense que ce sera alors le bon moment de faire le point et de voir ce qu’on décide pour la suite. Au rythme auquel nous allons, cela devrait nous emmener jusqu’en 2014 ou dans ces eaux-là. Et puis treize, c’est un chiffre qui, je trouve, incite à la réflexion.
Propos recueillis par L. Gianati

Information sur l'album

Le tueur
9. Concurrence déloyale

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