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Chabouté, Tout seul... face à nos questions

Propos recueillis par Alexandra. S. Choux News 27/11/2008 à 01:05 9316 visiteurs
Construire un feu pouvait donner l'impression d'être trop bavard pour son sujet, avec ses récitatifs commentant les faits et gestes d'un homme résolu à traverser le Klondike en solitaire, par un froid extrême. Dans son nouvel opus intitulé Tout Seul, Christophe Chabouté explore à nouveau les territoires de la solitude. Il ne s'agit plus du combat contre une nature hostile, mais d'une solitude volontaire, d'une retraite, de l'ermitage d'un homme isolé sur un phare qui n'a eu ni voulu avoir aucun contact avec d'autres humains depuis quinze ans. Et cet homme a pour compagnie un unique poisson dans un bocal et un livre, un seul. Quand nous l'observons, qui regarde son poisson tourner en rond, qui peut dire dans quel bocal nous nous trouvons nous-mêmes ?

Jérôme Briot





- Depuis deux albums, vous limitez les dialogues au strict minimum. Comment gérez-vous les silences ?
Christophe Chabouté: Dans Construire un feu, j’aurais aimé ne mettre aucun texte, mais il fallait que je situe un minimum l’action, le moment, l’endroit, etc. Donc, je ne pouvais pas ne pas mettre de dialogue.
Je pars du principe qu’il est plus intéressant d’avoir un silence éloquent qu’un dialogue à la con. Je ne vois pas l’intérêt de surenchérir une image qui parle d’elle-même, je ne vois pas l’intérêt d’en faire des tonnes. On me reproche souvent que mes albums se lisent vite or moi j’essaie de mettre en place des ambiances et «d’emmener » le lecteur. S’il se laisse emmener alors tant mieux c’est que j’ai gagné.

- Comment présente t-on un tel projet à une maison d’édition ? A-t-il été simple de l’imposer ?
Je n’ai pas eu de problème. Je suis régulier dans mes parutions, ce qui me permet de gagner une certaine liberté et sans doute la confiance.
J’essaie de ne pas trahir cette confiance justement. Je crois que ce genre de liberté doit se gagner mais ça reste aléatoire un peu comme un coup de poker. « Construire un feu » et « Tout seul » sont des bouquins très casse-gueule.

- Quelle est votre technique de dessin?
Encre et papier, il faut que je sente la matière, que je mette de l’encre partout. J’ai un ordinateur mais je m’en sers surtout pour récupérer des informations et de la documentation.

- Quel était le point de départ de cet album?
Il y a environ 10 ans, on m’a posé la question : « Qu’emmènerais-tu sur une ile déserte ? ». J’ai trouvé la question intéressante, j’ai mis 10 ans pour y répondre et j’ai répondu en 376 pages. C’est un album qui mijotait depuis très longtemps, j’ai rassemblé plein de notes, j’ai commencé à travaillé sur l’imagination, sur la solitude.
Et puis, je travaille tout seul, je fais mes BD, mes scenarii tout seul, le titre était tout trouvé… Je suis tout seul à ma table à dessin, dans mon atelier, devant mes feuilles blanches. Je l’ai échafaudé petit à petit jusqu’au moment où j’ai déménagé au bord de la mer. Je pense que les bouffées d’iode ont fait que ce livre a pris forme.

- Comment naissent vos albums, par le dessin ou par l'histoire ?
Il y a des bribes qui arrivent mais elles n’ont pas de liens entre elles. Ce sont des choses que je vais noter, que je vais mettre dans des dossiers mais j’ignore où cela va aller. Je prends toujours l’exemple d’une commode avec des tiroirs, dans chaque tiroir, je vais mettre des petits bouts de papiers avec des notes. De temps en temps (1 jour, 4 jours ou même 10 ans), je vais ouvrir un tiroir pour lire une note. Parfois, je referme le tiroir parce que je trouve ça stupide, et puis parfois, je trouve ça marrant et je me rends compte que certaines notes vont aller ensemble et s’imbriquer, se lier plus ou moins et se greffer à une ambiance qui me trotte dans la tête. L’histoire va alors s’échafauder. En fait cela commence souvent par une atmosphère. Je sais souvent comment commencer et comment finir, il ne me reste plus qu’à écrire entre les deux.
Là où je peux m’étonner c’est quand je fais les mises en scène dans ma tête, je vois les films qui défilent, et j’essaie d’en extirper les morceaux.

- Vous voyez en noir et blanc ou en couleur ?
C’est une bonne question … je ne sais pas. Je penserai à vous la prochaine fois.

- Qu’avez-vous eu le plus de plaisir à dessiner ?
Tout sinon je ne l’aurai pas fait. Je ne sais même pas si je prends du plaisir à dessiner. Le dessin est là pour raconter. Point. Je prends plus de plaisir à mettre une ambiance.

- Vous pourriez écrire simplement ?
Non, je ne crois pas. Ou bien j’ai trop peur pour le faire mais je ne pense pas. Ce que je ne peux pas dire, je peux le dessiner et ce que je ne peux pas dessiner je peux l’écrire. J’ai besoin de naviguer entre les deux. L’un rattrape toujours l’autre.
Je ne me pose pas de questions sur le dessin car il est souvent en place, je me pose plus de questions sur l’atmosphère.
Le rythme est en place, je vais juste donner le ton. Je vais essayer de donner une âme, ce qui est le plus difficile à mon sens.

- Vous décrivez mieux que personne la solitude et l’isolement, pourquoi ces choix ?
Parce ce que j’ai besoin de faire ma bulle quand je travaille. Je ne pourrais pas travailler en atelier parce que je ne supporte pas que l’on regarde par-dessus mon épaule quand je travaille. Je ne suis pas non plus totalement autiste comme garçon mais j’ai besoin de prendre du recul. Seul dans mon atelier avec ma musique. C’est ma manière d’avancer, c’est ma manière de bosser.



- Si vous deviez faire découvrir la bande dessinée à un ami, laquelle lui offririez-vous ?
Le dernier modèle de S. Levallois : le graphisme m’a complètement bluffé ! Il faudrait juste l’empêcher de sortir et l’empêcher de dessiner ce type, il est monstrueux ! Un tel génie, ça me déprime.
Le dernier d’Hippolyte, c’est à se taper le cul par terre. C’est super gonflé, c’est beau comme tout, l’objet est magnifique, on sent qu’il s’est fait plaisir.

Propos recueillis par Alexandra. S. Choux