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« Dessiner, c’est aussi voyager »

Entretien avec Alexandre Clérisse

Propos recueillis par L. Gianati Interview 01/07/2022 à 09:46 4507 visiteurs


Trois personnages animés par une même volonté créative, trois époques dont les contraintes sont autant d'obstacles qu'ils devront franchir, trois ambiances aux couleurs différentes qui mettent en valeur le dessin d'Alexandre Clérisse. Feuilles volantes nécessite une lecture attentive, parfois exigeante, mais qui se révèle, au final, terriblement passionnante.

Par quel personnage avez-vous commencé votre histoire ?

Alexandre Clérisse : J’ai d'abord commencé à travailler sur l’histoire du moine. Il y a presque une dizaine d’années, j’avais écrit quelque chose autour de ce personnage, plutôt dans l’idée d'en faire un portrait d'auteur, décalé dans une autre époque et confronté à une nouvelle technologie comme l’imprimerie. J’ai longtemps cherché à écrire cette histoire en essayant de donner de solides bases historiques, très documentées, mais je tournais en rond. J’ai ensuite voulu prendre un chemin plus satyrique autour de ça mais ça ne marchait pas non plus. J’ai donc mis ce projet en pause un moment parce que j’ai commencé à travailler avec Thierry Smolderen à cette époque. Nous avons fait trois albums ensemble et j’ai continué à réfléchir à tout ça en parallèle. J’ai alors commencé à écrire l’histoire du jeune garçon sans trop savoir où j’allais puis l’histoire de la fille a germé et j’ai finalement compris au bout d’un moment que le dénominateur commun était l’engouement pour une passion. J'avais enfin trouvé le fil conducteur. 

Quand vous avez écrit ces récits en parallèle, imaginiez-vous déjà une histoire commune ?

A.C. : Au départ, c’étaient vraiment des pistes séparées. J’ai d’abord essayé d’écrire des histoires uniques et puis, quand j’ai vu que chaque histoire racontait plus ou moins la même chose au final, j’ai essayé de trouver un lien qui pouvait les unir. Je me suis rendu compte que chaque personnage reflétait une partie de la vie d’un dessinateur. J’aurais pu faire une sorte de biopic d’un personnage qu’on suit au fil du temps, mais je pense qu’il aurait manqué des parties, notamment le fait d’être dans une autre époque, confronté à un autre contexte un peu plus difficile. Je voulais aussi mettre en évidence une dessinatrice. 

Avez-vous subi les mêmes contraintes que celles de Max lorsque vous étiez jeune ?

A.C. : Tout à fait. J’ai pris vraiment exemple sur mon expérience. J’ai commencé assez jeune à me focaliser sur ce métier. Il y a eu ensuite toutes les rencontres que j’ai pu faire au cours de ma vie, les professeurs, amis, autres auteurs qui m’ont donné des conseils et qui m'ont permis de me remettre en question en permanence pour que je puisse évoluer. J’ai également un peu repris la maison de famille, la forêt, le château, plein d’éléments qui ressemblent à chez moi. J’ai brouillé un peu les pistes pour ne pas que ce soit complètement une autobiographie, ce n’était pas le but.

Le père est finalement plutôt conciliant…

A.C. : Je pense que c’est une question d’époque. Fred, le fils du bourreau, n’a pas du tout le choix. Son père n’est pas du tout conciliant, c’est la loi, c’est comme ça. Selon l’époque dans laquelle on évolue, on a plus ou moins de chance d’y arriver, parfois même en fonction de la zone géographique. On n’a pas les même chances quand on est dans une époque ou une autre, mais le dessin peut faire qu’il n’y a pas de barrières. 

Inversement, pour Suzie, on a l’impression qu’elle a presque trop été guidée par son père et qu’elle a du mal à s'en détacher...

A.C. : C’est ça, elle a suivi le mouvement même si elle avait quand-même une passion. Tout lui est tombé un peu dans les mains, elle n’a pas eu le temps de se poser les bonnes questions, elle n’est pas passée par le côté difficile de l'apprentissage, et ça lui manque. Elle essaie donc de revenir un petit peu en arrière, de comprendre comment ce lien à l’enfance peut nourrir son inspiration.

Le père de Suzie a été un auteur à succès en créant un personnage célèbre... 

A.C. : J’ai longtemps essayé d’imaginer ce personnage particulier qui méritait le succès du père. J’ai essayé de développer quelque chose autour de ça mais, au final, je me suis dit que si je le trouvais, j’aurais déjà de l’or dans les mains, j’aurais vraiment un personnage à faire vivre qui serait vendeur… De plus, je me suis dit que ça pouvait laisser le soin au lecteur de l'imaginer. Avec Franquin, Hergé ou Peyo, on a des tonnes d’exemples. En écoutant les témoignages de ces grands auteurs, on sent que Franquin était très dépressif, Peyo a apparemment très mal vécu alors qu’il était la troisième fortune de Belgique et Hergé a tout fait pour essayer de devenir un artiste contemporain et de s’élever un peu plus haut que la bande dessinée. Cette rançon du succès n’est donc pas synonyme de bonheur.

Vient la question de l'héritage : doit-on reprendre un tel personnage après la disparition de son créateur ? 

A.C. : Tout à fait. Je n'ai pas la réponse même si je donne quelques clefs à la fin de l’histoire. Chaque lecteur fait vivre le héros dans sa tête. Il fait partie, au bout d’un moment, de la culture publique. Il existe plein de reprises qui sont absolument fabuleuses, dont celle d'Émile Bravo avec Spirou.

Souvent, quand on parle de ses personnages à un auteur, ce dernier nous explique qu'ils suivent leur propre chemin au fil du récit. C’est exactement ce qu’il se passe pour vos trois personnages...

A.C. : C’est un peu ce qu’il m’est arrivé au cours de l’écriture aussi. J'ai vécu avec ces personnages pendant une dizaine d'années, j'en ai fait apparaître certains dans des revues, dans de petites histoires courtes ponctuellement, dans Spirou ou autre... Au fur et à mesure, ils ont eu leur vie propre et ils ont créé eux-mêmes ce mélange d'histoires. C’est sûr qu’au bout d’un moment les personnages nous échappent un peu, c’est le lecteur qui se les approprie, qui les fait vivre aussi, ils ne sont plus dans nos mains.

Dernièrement, vous avez partagé un article où on pouvait lire qu’Umberto Eco aurait aimé lire Feuilles volantes...

A.C. : Ça, je n’en sais rien du tout. J’avais vraiment adoré le film Le Nom de la rose qui m’avait beaucoup parlé bien que je n’ai pas lu le livre. Justement, je n’ai pas voulu tomber dans ce travers-là et j'ai essayé de ne pas du tout me rapprocher de cet univers, parce que tout avait été dit dans ce film. Le coté monastère n’a vraiment rien à voir, il est coloré, on ne tombe pas dans les mêmes histoires. 

Il y a trois époques différentes et donc trois ambiances différentes. Un vrai terrain de jeu pour un dessinateur ?

A.C. : C'est l'occasion de pouvoir voyager, car dessiner c'est aussi voyager. C'est ce que j’essaye d’expliquer dans le livre. Quand on dessine de longues parties, changer d’univers permet de ne pas s’ennuyer, d’être toujours pétillant.

Les univers sont différents mais ce qui reste constant, ce sont les couleurs, même dans la façon de représenter le moyen-âge ou le futur, d'habitude beaucoup plus sombres...

A.C. : Si on regarde bien, il y a de petites subtilités. Chaque époque a sa dominante : le bleu pour Max, le rose pour Raoul et le jaune pour Suzie. C'est aussi pour guider le lecteur dans cette histoire labyrinthique, pour qu’il se raccroche chaque fois qu’on bascule d’un univers à l’autre. Effectivement, pour le moyen-âge, c'était pour faire un contre-pied à cette image sombre, sachant que les cathédrales étaient toutes peintes et colorées. Il suffit de regarder les enluminures, ces couleurs-là étaient emblématiques, elles coûtaient cher, surtout le bleu par exemple. Pour moi, il était évident que le moyen-âge devait être en couleur. Pour le futur, c'était aussi pour donner un autre aspect, une autre idée du monde qu’on a actuellement. Depuis une vingtaine d’années, nous n'avons en tête que des idées d'apocalypse, et d'un monde noir qui nous attend. Ce sont des débats que j’avais un peu écoutés lors des Utopiales de Nantes il y a quelques années où pas mal d’écrivains de science fiction essayaient de se tourner justement vers une SF plus utopique, en essayant d’inventer des mondes qui jouent avec la nature, qui soient plus bienveillants. On ne peut pas mettre de coté ce qui est noir c’est sûr, mais déjà, de donner des perspectives plus lumineuses, ça peut aussi pousser les jeunes à trouver des solutions aussi de leur coté.

Les coupes transversales permettent de voir l’architecture ainsi que les personnages qui évoluent à l'intérieur des bâtiments...

A.C. : Oui, il y a un peu de cette idée. C’est un thème qui se retrouve dans la bande dessinée depuis très longtemps. On le retrouvait déjà à l'époque du moyen-âge pendant laquelle ces coupes étaient très utilisées. En bande dessinée, il y a eu Will Eisner, et même McCay. C’est un peu comme une maison de poupée, c’est aussi parce qu'en tant que créateur, on voit un peu notre univers par dessus, on joue un peu comme avec des marionnettes, comme un petit théâtre avec des personnages que l’on anime. On le voit dans un des derniers chapitres avec Max qui joue encore avec ses Lego et son père lui dit qu’il croyait qu’il avait arrêté de jouer à ça et il lui répond qu’il travaille. La bande dessinée, c’est créer des histoires par le jeu, on prend la BD comme une façon de continuer le jeu d’une façon plus sérieuse et on se rend compte que par les dessins, on peut utiliser tout ce que l’on veut. On peut créer des tonnes de décors et on n’a besoin ni de matériel ni de jouets.

Avez-vous trouvé la couverture idéale facilement ? 

A. C. : J’ai fait pas mal de recherches différentes. J'étais parti sur des choses plus graphiques puis, ma compagne m’a donné l’idée de mettre les personnages vraiment en avant, de reprendre des cases qui pouvaient être intéressantes et de les mettre en perspective. L’œil extérieur est important quand on a la tête dans un projet. 

Selon vous, que sera la bande dessinée à l'époque de Suzie, dans trente ou quarante ans ? 

A. C. : Nous avons expérimenté le côté digital avec Thierry Smolderen à Angoulême. C’est une entreprise, Cortex productions, qui a inventé une salle de réalité virtuelle où on peut intervenir sur des éléments en 3D avec des lunettes interactives. On avait réalisé le premier contenu avec Thierry pour ce Tumulte (https://youtu.be/xxFXaXC8vA4). La première des choses qu’on avait vue avec cet objet est un logiciel de dessin et la façon de pouvoir dessiner en groupe. Les lunettes, en revanche, nous enferment dans un monde qui met tout le monde un peu à part. L’idée était au contraire d’être plus collectif, de plus vivre les choses ensemble. Depuis, je ne pense pas que ça se soit développé plus que ça. J’avais testé aussi ces lunettes en dessinant en 3D, ce n'est pas encore parfait. Je pense que ça dépend aussi des auteurs, les gens s’en emparent et, pour l’instant, il n’y a rien qui a émergé vraiment. Mais il suffit que quelqu'un de reconnu trouve sa voie et arrive à raconter ce qu’il a à dire avec émotion et humour pour que cet outil fasse des émules. Tout est possible et envisageable mais je pense que le papier, le dessin et le livre continueront à exister tant qu’on pourra en fabriquer et que ce ne sera pas un problème technique. Beaucoup de camarades qui travaillent directement à la tablette depuis pas mal de temps maintenant ont complètement lâché le papier. J’ai fait l’inverse, j’ai repris les pinceaux, j’ai retravaillé sur papier alors que j’ai débuté sur un logiciel qui s’appelle Illustrator et qui n’est pas encore celui utilisé par les autres auteurs, une sorte de logiciel mathématique un peu abscons et avec lequel j’avais trouvé un langage. 

Travailler seul sur un album ou à deux, comme avec Thierry Smolderen, est-ce vraiment différent ? 

A.C. : En travaillant avec Thierry, j’ai appris beaucoup de choses. Je l’ai observé, nous avons beaucoup discuté de ses scénarios avant de travailler ensemble, il m’a donné beaucoup de tuyaux, notamment la façon dont il concevait, organisait ses histoires. Ça m’a donc beaucoup aidé pour monter cette histoire un peu compliquée. Par ailleurs, je lui ai montré les étapes, je lui ai parlé de mon histoire, je lui ai envoyé des storyboards, il m’a donné plein de conseils donc je n’était pas non plus tout seul. C’est vrai que quand on travaille avec un scénariste, la partie « doutes » est un peu mise de coté. On fait confiance à l’histoire, donc on se concentre sur le dessin et sur la mise en scène.  Le dessin, par lui-même, va assez vite, ça se fait au fur et à mesure. C’est vraiment la conception, l’écriture, qui sont longues et laborieuses avec parfois des envies d’abandonner en cours de route.

Votre prochain projet sera en solo ou en duo ?

A.C. : On discute justement de retravailler à deux. Au mois de septembre, il y a la réédition de l’album Jazz Club, mon premier album, qui date d’il y a une quinzaine d’années. Il va ressortir un peu relooké, rafraichi, et c’est dans l’idée de refaire vivre le personnage avec Thierry justement aux manettes. L'idée est de donner un aspect de la vie du personnage à différentes époques avec ce coté un peu espionnage, polar, toutes les recettes qu’on a mises en place et qui fonctionnent bien mais dans un autre univers, plus autour du jazz. Une autre aventure.

Une quinzaine années de carrière dans la bande dessinée, et finalement peu d'albums à votre actif...

A.C. : Il faut prendre en compte la pagination. Quand on divise les trois albums que j'ai réalisés avec Smolderen, c’est comme si j'en avais fait trois de 48 pages ! C’est vrai que je prends mon temps mais le quotidien de dessinateur n’est pas évident. Je travaille donc beaucoup aussi en illustration, en graphisme à coté pour pouvoir mener à bien mes projets de bande dessinée. 

Prendre son temps, c'est aussi relever le niveau d'exigence de lecture...

A.C. : Ça peut être à double tranchant. Les gens qui manquent un poil de curiosité ou qui vont se sentir un peu déstabilisés vont plutôt se dire qu’ils n’ont rien compris et laisser tomber. L’idée est qu’il y ait de petites interrogations à la fin de la lecture et d’avoir envie de la reprendre pour vérifier si on n’est pas passé à coté de certaines choses et de revoir, de relire, de laisser l’album un peu vivant si possible. Je suis rentré dans cette optique-là. Ce n’est pas pour ça qu’on va faire ça en permanence, c’est vrai que ce genre d’album demande énormément d'énergie. On est partis pour l'instant sur des choses plus légères, pour retrouver le plaisir du dessin. 



Propos recueillis par L. Gianati

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