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Un avion sans elle

28/05/2021 30 planches

Adapter le roman de Michel Bussi, Un avion sans elle, n'était pas gagné d'avance et ce, même si Fred Duval avait déjà réussi le tour de force d'offrir aux lecteurs de BD une formidable version de Nymphéas noirs. Une enquête protéiforme, une succession de lieux hétéroclites, des époques différentes, une ambiance de polar... les embûches ne manquaient pas. Pourtant, il faut bien avouer qu'une fois ce gros pavé de 176 planches refermé, le pari est largement réussi. Un succès que l'on doit aussi en grande partie à l'entente des trois auteurs - il ne faut pas oublier l'admirable travail de Nicolaï Pinheiro - qui transparait dans ces échanges.



INTERVIEW DE MICHEL BUSSI, FRED DUVAL ET NICOLAÏ PINHEIRO

Michel, qu’est-ce qui est venu en premier, le titre ou l’histoire ?

Michel Bussi : Ce titre a été un long débat… Au tout départ, le roman tournait autour de Libellule, c'était quelque chose comme « Sauvez Libellule » et mon éditeur n’aimait pas trop libellule, ça ne faisait pas assez polar. Ensuite, j’ai opté pour le titre de la chanson tel quel, Comme un avion sans elle et pour l’éditeur, ce n’était pas assez autonome. Finalement, un commercial a proposé ce titre et nous sommes partis là-dessus. Ça a été un long processus parce qu’à l’époque je n’étais pas un écrivain qui avait suffisamment de poids pour imposer mon titre à mon éditeur. Au final, ça a évidemment plutôt bien collé.

Vous dites justement que c’est avec ce bouquin-là que vous avez connu le succès, et pourtant ça n’a pas été votre premier album adapté en BD… Pourquoi d’après-vous ?

M.B. : Déjà, je pense que les adaptations BD sont venues après que mes romans connaissent le succès ou que moi-même soit un peu plus connu. L'adaptation des romans en BD n'est pas quelque chose de spontané et c’est vrai qu’avec Fred nous sommes tout de suite partis sur Nymphéas noirs qui était un véritable challenge. Un Avion sans elle était beaucoup plus un polar, sans doute plus difficile à adapter parce qu’il y avait beaucoup d’informations à donner. Peut-être aussi qu'Un Avion sans elle étant un best seller se vendant très bien sur plusieurs années, il y avait ce sentiment d’ouvrage très connu et que l'adapter était forcément plus compliqué. Ça peut paraitre comme une opération commerciale mais je suis très content qu’on ait pris le temps et que l’on ne se soit pas précipités dessus en se disant que c'était celui qui serait attendu par les fans. Il y a d’autres BD qui sont sorties avant et ça a vraiment permis de faire quelque chose qui a pris son temps et qui a bien maturé. Je trouve que c’est très bien de ne pas avoir fait un coup comme font les américains quand sort un best seller avec, l’année suivante, toutes les déclinaisons possible, en BD, en cinéma, en série…

Nymphéas noirs était déjà réputé inadaptable…

M.B. : Je ne pense pas qu’Un avion sans elle était inadaptable, c'était juste une problématique différente. Dans Nymphéas noirs, il y avait un défi qui consistait à ne pas voir à l’image l’astuce qu’on ne voyait pas non plus dans le roman, un vrai défi stylistique. Soit c'était complètement réussi soit c'était raté, on ne pouvait pas faire un entre-deux. Pour Un avion sans elle, le défi était de simplifier une histoire extrêmement dense et touffue. C'est un récit d’ambiance donc on est plus proche d’un polar, il fallait trouver tout de suite un angle. Le risque était de faire une BD banale, un énième polar, alors que s’il a connu le succès c’est sûrement que le roman contenait certains ingrédients indispensables. Après une adaptation télé qui, à mon sens, est passée complètement à coté, le travail de Fred me semble parfaitement réussi.

[Attention, SPOILER Nymphéas noirs]

Fred, qu’est-ce qui vous a attiré dans l’adaptation des romans de Michel Bussi ?

Fred Duval : Tout est parti d'une rencontre avec Michel. Nous habitons la même ville et, à l’époque, il y avait également un éditeur de chez Dupuis. Michel avait envie de voir ses romans adaptés et ils m’ont appelé alors que je n’avais jamais lu un seul de ses bouquins. J’ai alors lu Nymphéas noirs et j’avais trouvé très pertinent de choisir cette espèce d’Everest, celui qui n’avait pas du tout trouvé de débouchés audiovisuels et que personne ne voulait toucher. C’est là le coté « inadaptable ». Nous nous sommes rencontrés avec Michel et je lui ai dit que l'adaptation en BD allait être corsés mais pas impossible. Grâce à l'ellipse, on allait pouvoir dans une même planche passer d’une époque à une autre sans que les gens ne s’en rendent compte. Au cinéma ça aurait été l’enfer, il y a le problème des actrices et du casting. Là, la difficulté était de trouver le bon dessinateur. Quand Didier Cassegrain est arrivé, c'était sûr qu’on avait le bon équipage. Mon but n’était pas de bénéficier de la notoriété du best seller pour faire de la vente. Quand j’ai rencontré Michel, je lui ai dit qu’on allait le faire mais qu’on allait prendre le temps, c’est la même chose pour Un Avion sans elle. J’aime bien avoir Michel sous la main, il relit tout, on discute. Je fais l’adaptation, il relit, notamment les dialogues parce que j’y tiens, ce sont ses dialogues que je malaxe et dont je fais de la BD mais je veux quand-même qu’il ait le dernier mot. C’est une chance… La première fois, j’avais déjà quelques solutions sur les petits pièges des Nymphéas et nous nous sommes vite bien entendus. On a vite parlé d’Un Avion sans elle parce que c'était le roman du succès. Quand je l’ai lu je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup plus de boulot. On ne pouvait pas faire ça en 120 planches. J’ai immédiatement senti les 150 parce qu’il y a beaucoup de personnages, quatre ou cinq lieux, plus encore si on prend en compte les transports en commun. Il y avait aussi une grosse recherche Dieppoise qui m’intéressait énormément. Bien sûr, il fallait aussi un dessinateur. C’est Mathieu Ménage (Emem, NDLR) qui, quand on a commencé tout ça il y a à peu près trois ans, m’avait offert Lapa la nuit de Nicolaï Pinheiro. Il m'avait dit : « Pour Un Avion sans elle ce serait super… » Je ne connaissais pas du tout le travail de Nicolaï et quand j’ai lu Lapa la nuit, j’ai trouvé ça vraiment génial. Tout ce que fait Sarbacane m’intéresse de toute façon, je trouve que c’est un éditeur qui défriche énormément. Quand j’ai appelé Nicolaï il m’a dit non au début parce qu’il avait d’autres projets et puis au bout d’une semaine il m’a rappelé pour savoir si l’offre était toujours valable…

[Fin SPOILER]

Pour Nicolaï c’est un vrai défi : plusieurs époques différentes avec des changements de mode, d’architecture mais aussi beaucoup de lieux…

F.D. : Il y avait quelque chose que je pensais simple à trouver et finalement... Michel et moi sommes Normands donc nous connaissons Dieppe. C’est une ville qui a beaucoup changé ces trente dernières années. Ce que l’on voit dans la BD avec le train, tout ça n’existe plus… À l’époque, le terminal des croisières était dans ce qui est actuellement le port de plaisance. On ne pouvait pas dessiner Dieppe en 1981 en dessinant le port de plaisance, les dieppois nous auraient dit que ça ne marchait pas. Il y a eu un gros travail de documentation. Sur Paris, c'était plus simple parce que Paris bouge moins, la Butte aux Cailles n’a pas beaucoup évolué, le métro non plus. Il y a eu un travail sur les trains aussi, je prends le Paris-Rouen depuis trente-cinq ans donc je me souviens parfaitement de comment était la gare Saint Lazare il y a trente ans et on ne pouvait pas se permettre de faire la gare actuelle parce qu’elle n’a que dix ans. Je trouve ça hyper marrant à faire. J’ai quand-même aidé un peu Nicolaï parce qu’il y avait un gros boulot de documentation. Nous avons fait un vrai repérage. Avec Nicolaï et un ami, nous sommes allés visiter Le Pollet, nous y avons passé du temps, on lui a expliqué ce qu'était ce quartier de pêcheurs, toute cette tradition populaire très présente dans le roman. Ce sont des scènes que j’adore parce qu’elles sont vachement bien décrites et qu'il fallait réussir à adapter. Encore une fois, ça passait par le dessin et je trouve que c’est très réussi.

Nicolaï Pinheiro : C'était plaisant à faire et c'était aussi un tour de force. En tant que dessinateur, on est content de se lancer dans un défi pareil et en tant qu’être humain on peut flipper un peu et se demander si on va être à la hauteur. Mais c'était plutôt une partie de plaisir. Concernant le passage du temps, effectivement, c’est quelque chose de très difficile de faire vieillir des personnages tout en leur faisant garder leur essence. Ici, c’est d’autant plus difficile car certains changent aussi. Pour la diversité des lieux, c’est pareil. Nous avons pris le parti d’un certain réalisme dans la représentation des lieux donc il s’agissait vraiment qu’un parisien puisse reconnaître le métro, qu’un dieppois puisse reconnaître le front de mer de Dieppe, etc. C’est vraiment la pari que nous avions fait donc il s’agissait d’être à la hauteur.

F.D. : C’est super important parce que quand on adapte Michel qui est géographe, la géographie fait intégralement partie du projet, toujours. Je n’ai pas lu toutes ses œuvres mais dans celles que j'ai lues, la géographie est toujours déterminante. Le choix de l’adaptation c’est un peu comme quand on présente un personnage historique, on ne peut pas lui faire faire des choses qu’il n’a pas faites… On peut extrapoler un peu, on peut un peu mentir, mais quand on adapte un géographe qui lui a observé les lieux et les restitue avec ses mots, la moindre des choses c’est d’essayer de donner une espèce de vérité, que les gens retrouvent les vrais lieux. Si on avait dessiné Le Havre à la place de Dieppe ça n’aurait pas fonctionné.

La série télé avait d'ailleurs été tournée à Dunkerque...

M.B. : Tout ce que disent Nicolaï et Fred est vrai. L’une des qualités de la BD est vraiment de retrouver cette atmosphère qui était dans le roman et qui est un point récurrent de mes romans en général. Je pense que ça participe beaucoup à l’atmosphère et à la réussite, ce que justement n’avait pas su faire la série télé. Pour croire à ces deux familles, celle parisienne des bords de Marne et l’autre dieppoise, le réalisme du trait joue pour beaucoup. Ça participe au fait que l’on sente cette différence très forte de lieux et donc de famille et de statut social. C’est la même chose sur le road-movie de Marc : quand on a des choses très réalistes sur le métro, la salle des pas perdus de Saint Lazare, le train jusqu’à Dieppe, ça donne quelque chose qui rend cette atmosphère du train corail des années 1980… Tout ceci est essentiel. Pour faire croire à une histoire un peu abracadabrantesque comme l’est Un Avion sans elle, je parsème mes romans de beaucoup de détails réalistes pour qu'on puisse y croire. Il y a ainsi une poésie qui s’en dégage, une mélancolie. On y croit toujours parce qu’on a une série de planches qui sont superbes, avec ce sens du détail. Ce que j’aime beaucoup dans ce que fait Nicolaï, c’est qu'effectivement il y a ce coté très réaliste mais avec à chaque fois un cadrage qui restitue parfaitement les émotions. Qu’on soit en Turquie ou ailleurs, il y a toujours ce sens du détail qui fait qu’on est vraiment dedans. Dans mon roman, on est en Turquie, à Dieppe, dans les forêts du Jura, c’est vraiment un tour de force de le faire et je pense que si la série télé est un peu ratée c’est qu’ils n’ont pas eu les moyens de le faire, ils n’ont pas pu tourner dans dix endroits différents. La BD a en revanche les moyens de mettre le paquet pour que ça ait de la gueule, que les décors soient vraiment là.

Si on essaie de pitcher en quelques lignes Un avion sans elle, personne n’y croit. Pourtant, au fur et à mesure des pages, on se surprend à être complètement immergé dans le récit…

F.D. : C’est le principe des films de Hitchcock. Pour prendre un exemple que tout le monde connaît, Hitchcock disait qu’on a le droit de mettre un truc un peu gros une fois par histoire. Le lecteur l’accepte une fois, c’est la règle du jeu. Effectivement, si quelqu'un commence la BD en se disant qu'un bébé éjecté d’un avion, ce n'est pas possible, il referme le livre. Pourtant, la plupart des gens aiment se faire embarquer. Là, il y a un postulat de départ qui est énorme mais l’intérêt du récit n’est pas là. L’intérêt est dans la confrontation de ces deux familles, l'histoire du pot de terre contre le pot de fer. Le pot de terre gagne à la page douze mais il en reste cent-trente-huit après... Le roman s’amuse à décortiquer tout ça, dont le pouvoir de l’argent qui n'aura finalement que peu d'impact sur Lylie. Ce sont les grandes lignes du roman. On s’est bien amusés, on dit toujours que plus on doit mentir plus il faut que le mensonge soit gros. On démarre avec un crash d’avion, on dégomme les sapins et ensuite on n'en parle plus…

M.B. : La base de l’histoire d’Un Avion sans elle est un fait divers complètement fictif. On est dans le fait divers avec le crash d’avion, le survivant... Je n’ai jamais utilisé de vrai fait divers dans mes romans mais j'en utilise le ressort. L'idée de départ était celle-ci : utiliser les médias, comment allaient-ils s’en emparer, comment les rebondissement allaient-ils être relayés… Puis j'ai pensé à placer un enfant au milieu de toute cette tourmente. C'était difficile parce que dans le roman on a le temps alors que dans la BD il ne fallait pas se perdre dans une foule de détails techniques d’une enquête, d’un procès… Fred a bien galéré pour élaguer de manière à conserver cette crédibilité. Il y a une double enquête à laquelle on ne peut échapper pour que Lylie soit remise aux Vitral. Cette phase technique est intéressante parce qu’elle crédibilise l’ensemble mais il ne faut surtout pas qu’elle soit roborative pour que le lecteur n’ait pas envie de lâcher le bouquin. Techniquement, ce n’était pas facile à écrire, ni pour le roman ni pour la BD.

F.D. : Pour toute cette première partie, il ne fallait surtout pas essayer d’économiser de la place. Comme c’est très démonstratif, je m’en suis servi pour vraiment rendre les personnages attachants. Se débarrasser de cette partie aurait fait décrocher les lecteurs. En BD, on n’a pas l’indulgence qu’ont les romanciers. Les lecteurs acceptent en romans de galérer trente ou quarante page en se disant que le récit s’installe. En BD, on sait que si on n’a pas ferré le lecteur à la page cinq, c’est généralement perdu. C’est pour ça que cette page où on n’a que l’explosion, elle ne sert pas à grand chose sauf qu’elle permet de respirer. Ensuite, on repart et on présente les personnages un par un mais avec beaucoup de petites anecdotes que j’ai gardées pour les rendre sympas. Ça, c'était le défi de la première partie. Après on est plus dans une mécanique de polar, de course poursuite. Pour l’adaptateur, la première partie était la plus passionnante à réaliser.

Il y a deux enquêtes, celle de Crédule et celle de Marc, avec des cartouches de différentes couleurs pour bien les différencier...

N.P. : Je ne suis plus très sûr mais il me semble c’est né comme beaucoup de choses, de discussions et d’un choix commun. C’était particulièrement important de faire ressortir le journal de Crédule parce que ce n’est pas une voix-off comme une autre, c’est un narrateur peu fiable comme on pourrait le dire en littérature. C’est bien que le lecteur s’en souvienne. C’est un être humain qui parle et ça peut jouer des tours. On a trouvé l’artifice de lui donner une texture de papier qui évoque le papier d’un journal et qui l’encre un peu plus dans le réel, là où les cartouches en bleu ou rose sont quelque chose d’un peu plus classique, plus dans l’esthétique des BD traditionnelles. C’est intéressant de mêler les deux justement parce que c’est une BD où on passe d’un récit à l’autre d’une manière assez acrobatique. Il fallait penser au lecteur et se demander comment on allait rendre ça lisible, dynamique et clair.

F.D. : Au départ, je me suis dit qu’il ne fallait qu’une seule voix-off et que ce soit le journal, sans qu’il y ait une bulle. Cédric Illand, notre éditeur, a beaucoup participé à ces mises au point. On a eu aussi beaucoup d’allers-retours avec Nicolas. Mine de rien, ça fait quand-même 172 pages et pour tout bien baliser, il fallait jouer avec ça. Adapter un livre, c’est ramener tous les outils de la BD au roman initial. Le roman, on l’oublie, au revoir Michel (rires) ! On ne s’adresse pas aux lecteurs qui ont lu le roman. Certains lecteurs du roman, la moitié j’espère, vont acheter cette BD, ça nous en fera 750.000 de vendus (rires).

Quand Mathilde vient voir Nicole dans sa baraque à frites, le rapport de force entre les deux femmes est parfaitement mis en scène notamment grâce à un jeu de postures...

N.P. : Ce sont des choix de mise en scène. Dans une scène comme celle-là, c’est de l’horlogerie fine. Je Me souviens que Fred insistait sur le fait que Mathilde ait un carré Hermès car c’est un signe ostentatoire de richesse. Tout est codé et la posture des deux, effectivement, je suis à peu près sûr que c’est Michel qui en a eu l'idée. Ce visuel est né dès le moment du storyboard.

M.B. : Ce qui est assez fascinant quand on écrit le roman et après qu’on voit la BD, c’est de réaliser qu’en quelques planches, on arrive à restituer toute une série de choses qui nécessitent beaucoup de mots : il fallait décrire ce front de mer de Dieppe avec cette ambiance particulière, le fait que Mathilde va presque venir s’acoquiner dans un quartier qui n’est pas le sien, elle n’est sans doute jamais venue commander des frites et se retrouve en position de défense... Beaucoup de choses se jouent là. Le dessin rend immédiatement ça dans une espèce de scène de western entre les deux grand-mères. La scène au départ a quelque chose de fort que le dessin et le storyboard parviennent à rendre parfaitement. Je trouve que dans cette BD il y a beaucoup de scènes très fortes, d’affrontements qui sont très bien mis en scène. J’apprécie beaucoup parce qu’il y a quelque chose d’assez curieux : il n’y a plus de mots mais je ressens vraiment l’intention que j’avais voulu donner à cette scène et à beaucoup de scènes dans le roman. Par exemple quand Lylie est toute seule et qu’elle se retrouve face aux jumelles dans le parc Montsouris, le dessin parvient à faire ressentir encore plus le côté étrange que j'avais mis dans mes mots. Quand Marc et Malvina arrivent en haut du Jura, sur la partie dégagée où il y a eu le crash, c’est un moment fort du roman. Là, le dessin est magnifique, nous avons l'impression d'être avec eux face à l’inconnu, face au pèlerinage. C’est là que je m’aperçois que la BD est extrêmement puissante parce qu'en une planche, trois ou quatre cases, on les voit partir, grimper, arriver… Et quand on écrit le roman on prend quatre ou cinq pages pour arriver à créer une espèce d’effet d’émotion pour le lecteur quand la BD permet de le faire comme ça. C'est impressionnant.

F.D. : Je la compare à la scène de rupture dans les Nymphéas. Quand Stéphanie largue son mari, j’avais dit à Michel, tu verras, il n’y aura pas de texte, on va tout enlever, il y aura juste « je te quitte ». Et ça marche. Pour en revenir à l’adaptation de la scène de ces deux femmes, j’ai essayé de faire en sorte que ce ne soient pas que deux femmes qui se parlent. Pour la mise en scène, j’avais pris comme axe la victoire de Mitterrand, celle d'une revanche. Il y a toute cette ambiance qu’on a connue en 1981. Cette histoire était dans le roman. Quand Mathilde arrive à Dieppe, ville ô combien populaire, on est au lendemain de la fête et il y avait cette affiche de Mitterrand qui traine par terre et elle la piétine avec son talon en lui crevant un œil… Mathilde est le personnage que je préfère dans l’adaptation, je l’adore. Elle est méchante, manipulatrice, elle est tout ce qu’on veut mais c’est aussi une femme des années 1970. Je me suis pris d’affection pour elle mais il fallait la montrer impitoyable, prête à écraser le peuple et donc j'étais bien content de cette petite idée visuelle de l’affiche de Mitterrand qui traine… Elle lui crève un œil et il devint Le Pen (rires).

Sur la double page 88-89 on retrouve chez Nicole et chez Mathilde les mêmes expressions, avec l'impression de demander au lecteur de prendre parti...

F.D. : Pas vraiment, c’est Nico qui a fait ça, je ne l’ai pas forcément mis en scène comme ça.

N.P. : Non, je serais tenté de vous dire que c'était voulu dès le départ mais je ne m’en rends compte que maintenant quand vous montrez ces planches. En toute sincérité, je ne m’en étais pas rendu compte. On a des techniques de dessinateur quand on veut créer de l’attention, en général on fait en sorte que ça ne se trouve pas dans des pages qui se suivent mais ici ça fait un effet écho. Ce n’était pas voulu à moins de croire que l’on puisse faire les choses inconsciemment.

F.D. : Parfois on peut faire un effet miroir, comme en page 93 qui commence par un verre qui se casse chez les Vitral dans la première case et une tasse qui se casse dans la dernière. Ça fait une parenthèse et cet effet-là, lui, est voulu.

Nicolaï, nous avons pu voir dans les épreuves que vous faisiez beaucoup de suggestions à Fred au niveau de la mise en scène…

N.P. : C’est une sorte de ping pong. J’ai pris le parti de jouer le jeu, c’est à dire de faire confiance aux choix de Fred et de mettre mes dessins au service de ce récit, de cette ambiance, de ce rythme qui étaient les siens. Je pense que si on essaye à chaque fois de donner son avis ça peut entraver le travail plus qu’autre chose. Cependant, sur certains points très précis, quand je me dis que là vraiment il y a un truc qui pourrait servir le récit de manière objective, je le proposais et en général c'était accepté ou en tout cas on en discutait et on arrivait à une décision collective.

F.D. : Faire 172 pages avec quelqu'un avec qui on n’a jamais travaillé, qui est un peu plus jeune, c'était une vraie aventure. Et quand ça fonctionne c’est génial. Au départ, on a eu beaucoup de discussions sur la mise en scène parce qu’il y avait un truc qui était très impressionnant pour moi : quand j’ai lu Lapa la nuit, je me suis dit que Nico était fort en dessin mais aussi très fort en scénario et ce n’est pas souvent que je travaille avec des dessinateurs qui sont eux-mêmes scénaristes. Généralement, ils font eux-mêmes leurs scénarios donc ils n’ont pas besoin d’un gars comme moi. Quand un dessinateur accepte de collaborer avec un scénariste, ça peut très bien mal se passer parce qu’il peut avoir ses réflexes de scénariste qui ressortent et du coup créer une espèce de conflit dans l’adaptation. Ici pas du tout, ça s’est vraiment bien passé. Pareil pour l’auteur, là j’ai la chance d’avoir Michel Bussi, parce que des copains m’ont raconté qu’avec d’autres auteurs on ne pouvait pas discuter parce qu’ils veulent qu’il y ait tout. Michel, j’ai tout de suite vu pendant les Nymphéas que c’est quelqu'un qui a confiance et ça c’est déterminant. Quand la confiance est là, ça permet d’enrichir énormément le travail parce qu'il est disponible pour discuter. Il relit et c’est du ressenti presque de premier lecteur finalement. C’est intéressant et je pense, Michel, que ça doit être marrant pour toi ?

M.B. : Oui et je trouve que sur cette BD, plus que sur Nymphéas noirs, on a vraiment travaillé à quatre avec Cédric. Toutes les étapes étaient discutées ensemble avec des synthèses. J’ai beaucoup appris, notamment à lire Cédric et Fred qui réagissaient au dessin de Nicolaï. Je regardais et à force je me sentais de plus en plus à l’aise pour réagir aussi sur des choses comme du montage ou des effets de répétition. Même chose sur le texte où je me sentais à l’aise pour rajouter, pour couper, pour suggérer. Il n’y a pas eu de problèmes parce qu’on tombait assez facilement d’accord sur de petites choses qu’un seul des quatre avait vues mais qui amélioraient l’ensemble. Ce n’est pas un secret, je suis un gros lecteur de BD, ça l’a toujours été et mon écriture est très influencée par ça. Tout de suite je me sens à l’aise sur le texte que l’on travaille avec Fred. Évidemment, c’est lui qui fait 90% du travail mais quand je relis ce qu’il me propose ça m’arrive plus souvent de couper que de rajouter. Je me sens à l’aise dans mon rôle d’écrivain et je pense avoir intégré le réflexe de la BD qui consiste à dire : là il n’y a pas besoin, on peut être plus percutant. C’est une chouette expérience. Je n’ai pas de souvenir où on n’ait pas réussi à se mettre d’accord, généralement l’idée était acceptée. Ce que j’aime beaucoup dans cette BD c’est qu’elle est fluide car souvent dans les BD policières où les histoires sont un peu touffues, il y a des moments où ça peut être compliqué à suivre. Par exemple, quand il y a la révélation des deux tests ADN, l’histoire devient un peu compliquée, il y a un test puis une second... Il fallait que ce soit hyper fluide. Le fait qu’il y ait plusieurs lectures nous a permis de nous dire que c'était bon, on suivait l’affaire. Je fais partie des lecteurs qui ne supportent pas quand il faut relire trois fois la case parce qu’il y a un petit détail qu’on n’a pas vu et auquel il fallait faire gaffe… Je fais partie des lecteurs qu’il faut prendre par la main et qui regarde où on nous dit de regarder. La lecture à quatre était très riche parce que sur un certain nombre de points comme ça, on a essayé de trouver LA case juste.

[Attention, risques de SPOILER]

On apprécie particulièrement le rythme narratif, l’équilibre entre la voix-off, les dialogues, les silences…

F.D. : Cette semaine, (fin avril 2021, NDLR) je vais attaquer l’adaptation de Maman à tort de Michel qui se fera chez Glénat, je n’ai pas encore de dessinateur. J’espère rendre une première copie d’ici un mois… C’est vrai que tout passe par les dialogues, il faut réussir à garder l’essence tout en réduisant énormément le descriptif. Pour le moment, on n’a pas encore eu de réactions sur Un Avion sans elle outre les vôtres mais sur les Nymphéas c’est arrivé qu’on me dise « c’est super, vous avez gardé tous les dialogues de Michel Bussi » et ça c’est un beau compliment parce qu’en fait ce n’est pas le cas mais c’est un bel hommage. Ça veut dire qu’on a à peu près bien bossé Cassegrain et moi… Dans Un Avion sans elle, ça a été un peu plus délicat. Pour Nymphéas noirs, j’ai quasiment tout gardé sauf des scènes qui étaient vraiment trop anachroniques. Il a fallu bricoler parce qu'on ne pouvait pas faire croire aux gens qu’on était à l’an deux mille. Dans le roman, il y a toute une séquence que j’adore où Sylvio montre sa collection de barbecues et je trouve l’idée carrément géniale. C’était un crève-cœur de retirer ça mais le barbecue c’est visuel, et je pensais que ça allait desservir la BD. Quand on a un peu d’expérience dans le scénario, le plus difficile n’est pas d’avoir les idées mais de retirer ce qui ne va pas. Sur Un Avion sans elle c'était encore plus délicat parce que c’est carrément un personnage qui a sauté. Nazim a une épouse qui mène une enquête parallèle et qui fait une boucle dans l’histoire avec un meurtre de plus et ça nous faisait arriver à 200 planches. Ce n'était pas possible. Dans le rythme de la BD je ne trouve pas ça gênant qu’elle n’y soit pas, on garde un truc un peu plus centré sur la cavale de Marc et cette course-poursuite.

[Fin SPOILER]

Vous avez trouvé la couverture rapidement ?

F.D. : Trois minutes (rires) ! Non, ça a été le plus fastidieux. C’est comme ça… On a vu assez vite Cédric, Nicolaï et moi que ça allait être compliqué. Pas parce qu’on n’avait pas la capacité de la penser mais parce que le roman est très compliqué… Il y a une héroïne qu’on ne voit quasiment jamais, un personnage central qui n’est pas le héros, un détective qui parle en voix-off, un bébé, un crash d’avion, et il y avait comme ça tout un tas d’éléments… On a mis un peu Michel de coté pour avoir un avis parce qu’on savait qu’on allait ramer, on voulait voir un peu sa réaction. Je vous passe les détails, c'était intéressant, les graphistes Glénat ont beaucoup contribué.

N.P. : Hommage soit rendu aux graphistes qui ont vraiment joué un rôle, particulièrement dans cette dernière mouture qui a été retenue et dont nous sommes tous assez contents je pense. C’est une vraie couv’ de graphiste si on peut dire. C’est quelque chose d’assez épuré, d’assez classieux je trouve, et je le dis d’autant plus tranquillement sans avoir peur de sembler immodeste que c’est vraiment un travail collectif et l’idée n’était pas du tout de moi. Comme le disait Fred, ça a été particulièrement long et je n’ai pas le souvenir que ça m’ait déjà pris autant de temps même si les couvertures c’est souvent compliqué. Ça a vraiment pris des mois et c’est rigolo parce qu’on essaye plein de trucs et ça peut parfois être un peu désespérant. Concernant la position de Lylie sur la couverture, c’est marrant parce que depuis j’ai pu la montrer à quelques personnes, je récolte des avis pour mes statistiques personnelles (sourire), certains voient ça comme une position enfantine, peut-être qu’elle imite une libellule, peut-être qu’elle se tient en équilibre entre deux familles, tout ça marche mais l’idée c’est qu’elle était en train d’imiter un avion. Il y a une multitude de possibilités, chacun choisira la sienne.

M.B. : Donc moi, vous l’aurez compris, ils m’ont complètement mis hors du coup (rires)… Je suis nul sur les couvertures. Sur Nymphéas noirs je n’étais pas content… Donc ils m’ont complètement éjecté de l’affaire et ils m’ont juste montré le produit fini. Quand je l’ai découverte je me suis dit waw. C’est vrai que je n’ai pas eu d’hésitation, quand je l’ai vue je l’ai trouvée sublime. Je n’ai rien eu a redire, on a juste un peu discuté des couleurs mais je me suis tout de suite dit : bien joué les gars.

F.D. : La couv’ des Nymphéas avait été compliquée aussi parce que Michel, Didier et moi, ça nous semblait tellement logique de mettre Stéphanie en couverture... Le souci qui nous est vite apparu à José-Louis Bocquet et moi, moins aux deux autres, c’est que ça ne marchait pas. On a fait Stéphanie à vélo mais il n’y avait pas l’impact polar du roman. Nymphéas noirs, c’est un roman presque plus dur qu’Un Avion sans elle, le meurtre est quand-même terrible, cet assassinat à l’hôpital par cette vieille dame, il y a vraiment des séquences très polar. C’est pareil, c’est en discutant avec le maquettiste, le directeur artistique Dupuis qui a dit qu’on pourrait peut-être y aller a fond dans le polar et mettre un cadavre dans les nymphéas… Finalement, je trouve qu’elle fonctionne vachement bien, ce n’est pas une couv’ glamour mais il fallait prendre le risque. Une couv’, ça tient à pas grand chose mais celle de Un Avion sans elle a été la plus dure de ma carrière. Ça vaut le coup par moments, tout a été tellement assez fluide dans la réalisation de ce bouquin, il fallait quand-même les dessiner ces 172 pages et ça a été assez long, mais il fallait bien qu’on se heurte à quelque chose et quand c'est la couv’ ça va… C'est un moindre mal. Je ne sais pas quel impact ça va avoir chez les libraires mais je l’aime bien. Je trouve qu'on est dans le compromis entre le cinéma, la BD, le roman et je trouve qu’elle va vraiment se détacher visuellement. C'est difficile, chez les libraires aujourd'hui il faut vraiment avoir une existence dans la pile…

Michel, l’idée d’une création originale pour la BD c’est quelque chose qui vous fait envie ?

M.B. : Oui, même plus que ça puisqu’on y travaille avec Fred, on est dessus. Je ne sais pas jusqu’où on peut en parler mais on est en train de créer une BD originale qui s’appelle Avril. C’est plutôt une BD historique. Nous avons bien avancé l’épisode un, ce sera une saga en plusieurs tomes. On s’éclate !

F.D. : Ce sera chez Dupuis.

Dossier mitonné par L. Gianati, C. Gayout et S. Farinaud

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Un avion sans elle

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