D
ans la tradition juive, l'humour occupe une place particulière, mélange de tradition, de tragédie, d'autodérision et de codes précis. La préface l'énonce très justement: « Croire en Dieu ? Chacun est libre. Mais croire dans le rire, voilà un ingrédient indispensable de la judéité. »
On peut rire de tout (sauf de sa mère) se présente comme une forme d'introduction à cette culture. De fait, Constance Lagrange, qui avait jusqu'alors publié un ouvrage sur l'affaire Patrick Dils et un autre sur les souvenirs de sa grand-mère, rescapée de la Shoah, semble prendre un malin plaisir à s'approprier tous les stéréotypes associés à la judéité. Les discussions stériles des rabbins, les schmocks, les shlimazels, ces loosers malchanceux fréquents dans la tradition Yiddish et les mères juives, surinvesties, castratrices, bruyantes se partagent les pages de cette anthologie. Cette dernière mélange également blagues typiques et d'autres, simplement transposées (à titre d'exemple, celle dans laquelle un couple âgé qui désire divorcer justifie cette décision tardive par le fait qu'ils attendaient que les enfants soient morts). Mais lorsque vous racontez une blague à un juif, il prétendra toujours qu'il la connaît déjà, dans une meilleure version. Et comment ignorer l'influence durable sur la comédie de Goscinny, Gotlib, Mel Brooks, Jerry Seinfeld, Pierre Dac, Woody Allen et tant d'autres ? Ils sont partout et qu'est-ce qu'ils nous font marrer.
Graphiquement, l'autrice allie un trait qui évoque celui des dessins de presse à l'ancienne avec un procédé de répétition graphique qui n'est pas sans rappeler celui utilisé par Fabcaro. Mais le trait est précis, les expressions justes et l'efficacité est indéniablement au rendez-vous.
Reste qu'il est difficile de ne pas voir l'éléphant au milieu de la pièce. Dans son préambule, Ivan Jablonka évoque brièvement l'histoire juive et rappelle à quel point elle n'a rien de drôle. Il considère ce recueil comme un retour aux sources, pare qu'il est plus que jamais essentiel d'avoir envie de rire. À quelles sources fait-il allusion ? Celle de l'identité israélite, comme pour rappeler qu'il ne faut pas tout mélanger. Le rire brise les certitudes. Il rapproche les peuples. Il jette des ponts et pas des bombes. Il en devient presque moyen de résistance, aussi dérisoire qu'essentiel. Il ouvre la voie au dialogue. Indirectement, à force de clichés complètement assumés, l'autrice tente de ramener un peu de légèreté à une période qui en manque désespérément, que l'on pourrait interpréter comme une prise de distance avec la politique guerrière jusqu'au boutiste menée par l'État Hébreu au nom de tout un peuple, alors que tous n'avaient peut-être pas envie d'y être associé .
Rions ensemble, comme ce prêtre, cet imam et ce rabbin qui discutent sur un banc comme trois êtres humains, différents mais semblables.
Rien ne semble plus urgent, comme un pied de nez aux extrémistes de tous les bords, aux inhumains, aux antisémites, aux islamophobes et tous les autres "phobes".
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