C
e troisième volet des aventures des Lulus commence alors que leur ami allemand Hans vient d’être tué et qu’ils reprennent leur errance, pour fuir la guerre. L’histoire se situe en 1916, en Picardie. Les quatre orphelins, accompagnés par la jolie Luce, trouvent un peu de réconfort dans une cabane perdue dans la forêt. Puis, ils intègrent le « tas de briques », où ils connaîtront des situations périlleuses.
Bien que le postulat puisse paraître dramatique (des orphelins jetés dans la Première Guerre mondiale), Régis Hautière choisit d’éviter tout pathos et construit son récit sur l’aventure, les rebondissements et l’humour. En ceci, il s’inscrit pleinement dans la tradition de la bande dessinée franco-belge classique. Les disputes entre les protagonistes, leur naïveté et leur spontanéité font souvent sourire et les rendent attachants. Dans l’esprit de La Guerre des boutons et de Titeuf, cette série présente le monde vu par des enfants, avec toute la confusion et toute la poésie qui peuvent naître de la confrontation entre la brutalité des adultes et la candeur de la jeunesse. À ce titre, la discussion surréaliste, qui occupe les pages 16 à 18, sur la Tour Eiffel et un livre « qui parlait de types qui allaient sur la Lune grâce à un canon » est un régal. Autre point fort, Gustave, qui aide les Lulus à entrer dans le « tas de briques », et son patois mi-picard mi-ch’ti, illuminant les pages de sa bouille bienveillante et de son parler fleuri.
Au-delà de ce niveau de lecture, Régis Hautière glisse des idées, des dialogues ou des situations qui donnent de l’épaisseur aux personnages et au récit. Les cinq enfants deviennent des adolescents et ressentent les premiers émois. Les Allemands, très présents et conversant dans leur langue natale, ce qui est appréciable (traduction en bas de pages pour ceux qui ne sont pas germanophones), ne sont pas caricaturés. Ils ne sont ni idiots, ni assoiffés de sang. Même si l’un d’eux est ridiculisé par des hallucinations récurrentes qui n’en sont pas, nos ennemis teutons doutent du bien-fondé du conflit, pensent aux pères de famille qui ne reviendront pas et traînent leurs traumatismes du front et des tranchées.
Et puis il y a ce « tas de briques », lieu utopique, « palais social », incarnation du rêve socialiste du XIXe siècle, qui abrite « l’aristocratie du prolétariat », déjà mis en scène par l'auteur dans l'album De Briques et de sang (2010). Les cinq enfants se retrouvent entre France et Allemagne, ouvriers et bourgeois, enfance et âge adulte, et se heurtent à tous les conflits d’intérêt pour y répondre par un rire salvateur.
Cet épisode est une réussite. La série ne s’essouffle pas. Le découpage est dynamique, les situations de tension sont prenantes. Le dessin, entre atmosphère et expressivité, embarque le lecteur vers l’aventure. La fin de l’album promet un tome 4 haletant et plein de surprises. La Déchirure est, d’ores et déjà, attendue.
Les lulus débarquent au fameux familistère (à visiter absolument) du visionnaire Godin réquisitionné en partie par les troupes allemandes. La solidarité est le maître mot de cet album ainsi que les courses poursuites avec l’occupant. Hautière et Hardoc nous offrent encore une histoire pleine de surprises et la dernière est de taille.
Des personnages très attachants et une histoire que l'on a envie de suivre. Je déplore cependant l'usage (maintenant automatique hélàs) d'une BD grand format (plus chère) pour un dessin qui ne le justifie pas!