A
u crépuscule de sa vie, Charles Perrault a encore un ultime conte à raconter. Une chronique noire et sanglante, une terrible histoire de rivalité entre frères jumeaux que le Destin avait fait s'affronter au lieu de s'aimer.
Plus qu'une recherche sur ses origines, Philippe Bonifay s’approprie La Barbe Bleue et l’accommode à sa manière. En effet, même si Perrault reste très présent puisqu'il en est le narrateur, le récit à proprement parler est clairement une invention du co-créateur de Zoo. Malheureusement, le scénario, au ton bien trop contemporain pour un témoignage se déroulant au XIVe siècle, n'est guère engageant et passablement embrouillé par moments. De plus, sa construction alambiquée faite d’incessants allers-retours entre les époques n'aide pas à la clarté, bien au contraire. L'idée d’enchâsser la vie du fabuliste et celle de ses créations aurait pu être intéressante, mais, mis à part la gémellité des protagonistes et de l'auteur, rien ne les relie vraiment. Résultat, pour essayer d'associer tant bien que mal les deux parties de l'histoire, le scénariste joue la surenchère, soit en ajoutant moult détails historiques sur le rival de Boileau (les scènes avec son fils), soit en mêlant violence et sexe dans la longue descente en enfer de Marc et Jean. Les quelques passages introspectifs parlant de la création artistique se retrouvent noyés dans un maelström d'épisodes boursouflés qui sonnent creux.
Stéphane Duval (Gitans des mers) illustre ces propos avec un élan certain. Grand amateur de plongée et contre-plongée, il livre des compositions qui provoquent quasiment le vertige. Même s'il abuse un peu trop de ces jeux de caméra, cette approche très cinématographique apporte beaucoup de dynamisme aux planches. Malgré tout, le trait un peu frustre (particulièrement pour les visages) du dessinateur et les couleurs sans nuances (la lumière de l'Afrique « envoûtante » ne diffère pratiquement pas de celle de Paris) de Laurent Lefeuvre finissent de donner un rendu décevant à l'album. La matière est présente, mais sans grâce ni réelle élégance.
Le lien de parenté est peut-être trop ténu, cette proto-version de La Barbe Bleue n'arrive pas à faire oublier la Mère l'Oye.
Pas mal pour un début. Série intéressante avec en toile de fond une "vraie" histoire ra(contée) ensuite par le véritable auteur du conte. Ce Barbe-Bleue n'est pas mal sans casser des briques.