L
a planète était déserte, inhabitée. Un dieu prit une graine et l’enfonça dans le sol. Le premier homme est né. Puis un deuxième. Et rapidement, la violence fit rage. Une déesse décida d’y mettre un terme et d’imposer la paix. Une héroïne fut envoyée. Par la force, elle soumit les hommes. Elle leur enseigna le langage, leur apprit l’artisanat et régna sans partage. Jusqu’à ce que l’esprit de vengeance ne vienne perturber le cours des choses.
Une vraie claque : voilà comment résumer le plus simplement possible l’album proposé par Jesse Lonergan. L’auteur américain développe ce qui peut s’apparenter à un mythe fondateur, où premiers hommes, bêtes indomptables et interventions divines se mêlent. À la manière des récits mythologiques ou religieux, l’histoire est traversée par un souffle héroïque évident et divertissant qui accroche le lecteur, avec des personnages charismatiques et bien campés. Combats acharnés, trahisons et coups bas, relations amoureuses : les ingrédients classiques de l’épopée sont réunis.
Mais les péripéties ne sont ni vaines ni gratuites. Elles sont le support d’un propos bien plus profond sur l’origine du monde. Attentif, le bédéphile y verra aussi de nombreux questionnements et partis pris sur les fondements des sociétés organisées, l’essentialisme, la foi ou la nature humaine. Les niveaux de lecture semblent se multiplier, se croiser, se chevaucher pour finalement, irrémédiablement, converger et constituer un tout cohérent et bien plus structuré qu’il peut y paraître à première vue. Car Drome est de ces livres exigeants, qui se révèlent progressivement, qu’il faut lire, puis relire, pour en appréhender toutes les subtilités et en apprécier la complexité.
L’ouvrage est un bel objet – comme savent les proposer les éditions 404 – et, surtout, une pépite graphique. Les phylactères sont rares et l’aventure avant tout visuelle. Avec son style reconnaissable, notamment dans les traits des personnages, le dessinateur d’Arca ou la nouvelle Eden s’accorde une liberté totale. Il renouvelle les mises en pages originales, jeux avec les espaces inter-iconiques initiés dans Hedra (paru en France en 2025 mais il y a déjà plusieurs années en version originale). Le résultat ne ressemble pas à une expérimentation balbutiante mais relève, plutôt, de l’appropriation absolue du medium, de la compréhension parfaite de ce qui est le cœur du Neuvième Art. Tout comme les choix de composition, celui des couleurs est au service de ce que ce comic book a à raconter. Leur rôle est évident et assumé, dès l’ouverture, le bleu, le rouge et le jaune (les couleurs primaires) donnant même leur nom aux trois premiers chapitres (sur cinq). Merveilleusement appliquées, les teintes achèvent l’immersion dans cet univers si particulier.
Avec Drome, Jesse Lonergan signe une œuvre magistrale. Indispensable.
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