D
eux ados regardent passer les voitures sur un pont qui enjambe l'autoroute. Et s'ils provoquaient un accident, juste pour voir ?
La mère de l'un d'eux, aide à domicile, est contrainte de prendre le bus parce que sa voiture est en panne. Elle croise un drôle de type qui n'a pas l'air d'avoir toute sa tête, même s'il semble doux comme un agneau.
Lui se rend à son travail, dans une grande surface de meubles d'inspiration suédoise. Il y règne des frictions entre le responsable de la sécurité, qui se plaint de sous-effectifs, et la représentante de la direction, qui ne veut rien entendre. Tout cela se déroule sous les yeux d'une vendeuse qui s'ennuie et s'amuse à titiller un client, un brave type qui se surprend à rêver d'un peu d'imprévu pour pimenter sa petite vie bien rangée.
Toutes ces trajectoires insignifiantes s'entrecroisent, répondant plus ou moins aux lois de la gravité. Elles dessinent un réseau fragile dans lequel les quelques interactions ne permettent pas de contrecarrer une étrange forme de solitude à plusieurs. Dehors, l'hiver a tout recouvert d'un manteau qui retient ce microcosme dans une étreinte engourdie. Ce monde semble se mouvoir au ralenti, comme animé d'une énergie déclinante. Hollie, Elijah, Floyd, Don, Casey et les autres n'ont pas grand-chose et n'espèrent guère plus. Ils survivent dans une torpeur morne. Ils ignorent encore que l'apocalypse pourrait les frapper. Un météore vient d'être détecté par la NASA. Les chances qu'il s'écrase sur la Terre sont grandes, et vont en augmentant.
Peuvent-ils y faire quelque chose ? Leur seule option n'est-elle pas de simplement continuer comme si de rien n'était ? Ils comptent pour du beurre. Ils le savent pertinemment. La fin du monde ? De quel monde ? Ils ne font que passer, particules négligeables sur une scène qui les dépasse. Que restera-t-il d'eux, si tout s'arrête ? Ni histoires, ni souvenirs.
Les auteurs se livrent à un étonnant exercice d'équilibristes. Un corps céleste menace notre planète chérie. Convoquez Michael Bay, le champion des effets pyrotechniques, des panoramiques de destructions dantesques. Engagez un héros à la mâchoire carrée et au sourire en coin pour sauver le monde entre deux punchlines bien senties. Ce serait plutôt du côté de Jim Jarmush qu'il faut chercher une correspondance pour Les Météores. La galerie de personnages, losers touchants et sensibles, se révèle étonnamment marquante et le récit en devient bizarrement chaleureux. La neige omniprésente conjuguée à une palette chromatique assez froide suggérait pourtant le contraire. Le trait fin et le travail sur le clair-obscur créent des ambiances intimes, renforcée par la virtuosité de Tommy Redolfi à exprimer les variations de sentiments les plus fugaces. Le scénario de Jean-Christophe Deveney, quant à lui, réussit, dans cette succession de scènes d'apparence banale, à développer de véritables tranches de vie, laissant suffisamment de place au lecteur pour deviner ce qu'il ne montre pas explicitement.
Cette succession d'instants aussi éphémères qu'inutiles compose progressivement une constellation complexe et hypnotisante. Ces histoires de ceux qui ne font que passer finissent par composer une fresque simple mais jamais simpliste. Si ce type de récit risque d'en désarçonner plus d'un, il mérite pourtant de s'y attarder. Il s'en dégage une vraie tendresse, beaucoup de douceur, de finesse et de subtilité.
Un album-choral avec des tranches de vies qui se déroulent devant nous, se croisent et s’éloignent, avant l’inéluctable… ça fait réfléchir, provoque des sentiments, ravive des souvenirs … pari réussi