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rkin Azat est un jeune ingénieur sino-kazakh, il travaille au Kazakhstan et retourne régulièrement dans la région autonome ouïghour de Chine, le Xinjiang d’où il vient et où habite ses parents. C’est lors de l’un de ces allers-retours qu’il va subir un enfermement arbitraire et prendre pleinement conscience de la répression chinoise. Cet événement va conduire cet homme sans histoire à s’intéresser à la situation politique de son pays et devenir lanceur d’alerte au sujet des camps d’internement mis en place au Xinjiang par les autorités chinoises et visant kazakhs comme ouïghours.
Le récit, autobiographique, retrace le parcours du protagoniste en mêlant différentes strates de souvenirs enchâssées les unes dans les autres. La première partie raconte son passage en prison et son enfance. La seconde s'attache à son retour au Kazakhstan après l’enfermement, l'inscrivant en regard des luttes politiques de son grand-père. La troisième et dernière raconte comment il est devenu lanceur d’alerte et met en images plusieurs des témoignages qu’il recueille. Cela permet une variété dans le ton et les situations qui rend la lecture diversifiée, l’intérêt étant sans cesse renouvelé par une nouvelle perspective.
Toutefois, ces multiples points de vue superposés et rapportés font que le lecteur ne s’attache à aucune situation précise, chaque sujet étant traité très rapidement. Il est intéressant de noter que, malgré le titre centré sur les ouïghours (le fait que cette population est davantage connue en occident constitue probablement un argument), la lutte d’Erkin Azat se concentre en premier lieu contre les discriminations subies par les kazakhs. Ce choix a pour conséquence de rejeter le sujet des ouïghours en toute fin de livre et de ne lui réserver qu'un exposé limité.
Graphiquement, le choix a été fait de s’attarder sur les personnages avec un dessin simple qui permet de se concentrer sur les attitudes et les expressions des visages. Il en résulté une compréhension rapide des enjeux, des non-dits, des malaises des protagonistes. Ces événements étant directement liés à un territoire, il aurait été intéressant de consacrer un rôle et une exposition plus étoffé à la région, aux paysages, aux coutumes, pour faciliter l'immersion.
Erkin Azat est un récit sur la région du Xinjiang, régulièrement au cœur de l’actualité mais en définitive assez méconnue. Une bonne BD-reportage, classique et bien faite, sur un sujet important.
Le titre de l’ouvrage est quelque peu trompeur. Plutôt qu’un documentaire sur la répression des Ouïghours du Xinjiang par les autorités chinoises, nous suivrons plutôt la biographie d’un lanceur d’alerte sino-kazakh, aujourd’hui réfugié en France après qu’il ait entrepris de dénoncer auprès des médias occidentaux la situation de ses concitoyens. Erkin Azat est le pseudonyme d’un ingénieur originaire de la capitale du Xinjiang, travaillant au Kazakhstan frontalier pour une compagnie pétrolière chinoise. Eduqué et bien inséré, il doit pourtant s’occuper de ses parents suivant la tradition réservant ce rôle au dernier de la fratrie. Circulant entre les deux pays, il se trouve confronté à la surveillance de la police depuis l’arrivée d’un gouverneur particulièrement zélé. Se rappelant les persécutions vécues dès petit, il réalise progressivement l’importance de la répression et l’internement de Ouïghours de son entourage dans des camps de travail forcé et l’ethnocide à l’œuvre. Confronté à sa propre peur, à la crainte de sa femme et de sa famille, il va pourtant commencer à communiquer sur la situation de son peuple via un site web rapidement repéré par des journaux occidentaux mobilisés sur la question par les ONG. En lien avec des associations locales il va rapidement de venir un des principaux relais d’information entre l’intérieur du Xinjiang et l’extérieur de la Chine, jusqu’à devoir s’exiler face à la menace de répression en 2019.
La grande vertu de cet ouvrage écrit par le lanceur d’alerte lui-même et très joliment illustré par l’artiste chinoise installée en France Luxi, est de nous plonger à la manière d’un Joe Sacco, dans le quotidien de la répression, froide, incertaine, loin des effets hollywoodiens de certains responsables européens mobilisés sur le sujet. La construction de l’album est un peu erratique, manquant d’une mise en contexte, de rappels géographiques et historiques qui faisaient la belle réussite de l’ouvrage Ukraine, aussi l’on se concentre sur la chronique familiale de l’auteur, qui rappelle par moments le journal d’un Taïwanais. L’autre difficulté réside dans la méconnaissance que nous avons du fonctionnement et de la société chinoise et l’extrême opacité qui apparaît dans tous les ouvrages traitant de la politique chinoise. Faute d’explication sur les origines de la répression, on lis alors l’album comme une chronique qui nécessitera des recherches de mise en contexte sur Wikipedia pour mieux cerner notre lecture.
Pourtant on relève une vérité du quotidien qui ne cherche pas à débattre de sémantique (génocide? Ethnocide?…). L’évidence est celle d’un état policier où l’éloignement permet à une multitude de petits fonctionnaires ou grande gouverneurs d’abuser de leur pouvoir contre une minorité très différente (musulmane). Les principes apparaissaient dans la description des violences indienne par Sacco. Erkin Azat ne parle jamais de Xi Jinping, le dirigeant de la République Populaire pourtant pointé du doigt par les gouvernants occidentaux comme l’artisan principal de cette politique de réduction de l’identité Ouïghour. Il est un modeste témoin de l’intérieur qui ne cherche pas à expliquer mais agit sur la seule impulsion de sa révolte contre l’injustice. Loin de toute idée nationaliste voir indépendantiste, il incarne ces citoyens de seconde zone qui font tout ce qu’ils peuvent pour s’intégrer tout en étant réprimés dans leur identité. Comme chez Ersin Karabulut, il ne comprend pas pourquoi tant de méchanceté s’en prend à des gens qui se content de vivre modestement.
On réalise alors le terrible attelage d’une lâcheté d’agents d’Etat poussés pas des haines populaires primales et les invitations lointaines d’un Etat qui profite de la Guerre contre le terrorisme lancée par les Etats-Unis contre tout ce qui est musulmans après 2001 pour resserrer son étau. Un contexte en écho à bien d’autres, de l’Allemagne des années 1930 au Moyen Orient de Netanyahu. Un témoignant anti-héroïque qui nous rappelle qu’aujourd’hui plus que jamais, devant l’Abîme qui nous menace, que l’insoumission et le rejet des injustices doivent animer tout un chacun pour contrer cette atonie de la masse devant l’agenda autoritaire.
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