« Ce n’était qu’un amas de cellules sorti plus tôt que prévu » et, de toute façon, « ça » n’aurait « pas pu survivre ». « Ne vous inquiétez pas, cela fera comme des grosses règles ». Banalisant l’événement, prononcés pour relativiser ou rassurer par des soignants, des proches, des connaissances, ces mots couvrent un fait pourtant vécu dans la chair et l’esprit par des milliers de femmes et de couples, privés subitement d’une grossesse débutante. Pourtant, la fausse couche est subie quotidiennement et préoccupe suffisamment pour que plus de deux millions de messages aient été postés sur le forum Doctissimo à ce sujet. Or, celles qui passent par cette épreuve l’affrontent trop souvent dans la solitude.
Avant de connaître les joies et tracas de la maternité, Mathilde Lemiesle (Grossesses plurielles : histoires de futurs parents) a elle-même traversé quatre pertes d’embryons avant le terme du troisième mois de gestation, rejoignant la cohorte des quelques deux cent mille Françaises touchées par un avortement spontané (soit une grossesse sur quatre). Dans cette bande dessinée à la fois documentaire et témoignage, publiée par Glénat, elle revient sur son expérience et questionne.
Composé de six parties (la dernière proposant une bibliographie et des ressources), l’album commence par définir ce dont il s’agit, qui est concerné et pourquoi il est utile, sinon salutaire d’en parler. Les balises du vocabulaire et de ce qu’il recouvre posées, l’autrice revient sur la vision de la fausse couche à travers l’histoire, notamment en Europe. Ainsi, elle dresse la liste des croyances culturelles d’antan et de la charge mentale autant que morale imposée par la société à celles dont les gestations tournaient court, qu’elles fussent reines ou paysannes. À travers ce prisme, les ressentis affleurent, certes succincts, esquissés, mais révélant la pluralité des vécus et leur complexité. Logiquement, cela se prolonge par un état des lieux de la fausse couche aujourd’hui, à une époque où la grossesse est idéalisée. Il en ressort le poids du silence, l’impossible deuil d’un fœtus à peine formé et d’une maternité qui ne se fera pas (ou du moins, pas cette fois-là), l’absence de réelle représentation dans les médias ou dans la littérature. Surtout, Mathilde Lemiesle interroge le désintérêt des mouvements féministes pour cette thématique, au contraire des pro-vie militant par ailleurs contre l’IVG. Enfin, le cinquième chapitre apporte des pistes de solutions suivant trois axes : informer, prendre soin et protéger. En effet, grâce aux témoignages de célébrité, la parole se libère, tandis que des campagnes, des groupes de discussion et des colloques destinés aux soignants émergent, visant à une prise en charge plus humaine. Jusqu’à une proposition de loi qui est portée en 2023 au Parlement afin d’instituer un suivi psychologique et la levée des jours de carence.
Doté d’illustrations expressives dans un style semi-caricatural, Fausse couche vraie question se révèle aussi informatif que pertinent, en mettant en lumière un sujet délicat. À lire pour mieux comprendre les réalités induites par cet événement qui marque tant de femmes et leurs conjoints.
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