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aris, 1948. «Ça n’arrive qu’aux autres, moi je n’ai jamais de chance…» Pourtant, Rose va partir en voyage dans les Antilles, tous frais payés et en première classe s’il vous plaît. Juste deux-trois questions sur un formulaire et, hop, elle a été tirée au sort et va s’envoler vers le paradis ! En sa compagnie, ils sont une petite quarantaine de veinards à avoir touché le gros lot. Tous des gens modestes, sans histoire, ils sont surtout bien contents de changer d’air. Derrière ce concours, il doit évidemment y avoir des organisateurs, une entreprise qui veut faire de la publicité ou quelque chose de cet acabit. Peu importe, ne gâchons pas le plaisir des gagnants. Les dernières années ont suffisamment été pénibles. Ils ont tous droit à un peu de répit et de pouvoir lâcher prise pour de bon.
Thriller, réflexion sociale et politique, un pan historique et un petit peu de romance en passant, c’est tout un programme qu’a imaginé Jack Manini avec Bon voyage ? D’ailleurs, dès l’entame, le lecteur, à l’instar des protagonistes, se demande dans quoi il est tombé. Volontairement confuse et déconstruite, la première partie de l’album présente la distribution : multiples retours en arrière, scènes de guerre, retrouvailles pour célébrer la victoire, etc. Le tout est chronométré en fonction du départ du Latécoère, l’avion mythique dans lequel les personnages embarquent. La suite n’est pas plus limpide, alors qu’une espèce de complot (et contre-complot) se profile à propos des vraies raisons de ce vol transatlantique. Enfin, en évitant d’en dévoiler trop, la dernière partie arrive, pas plus cohérente ou moins improbable que le reste du scénario.
Sans jamais tomber dans le n’importe quoi, la lecture peine néanmoins à faire sens.
Plus que la construction narrative alambiquée, ce sont les comment et les pourquoi de cette aventure qui interpellent le plus. De quoi le scénariste parle-t-il exactement ? D’un fantasme face à la réalité de la nouvelle donne de l’après-guerre (Franquin, Morris et le clan Jijé ont bien «fui» l’Europe pour les USA à cette époque) ? D’une rêverie inspirée par l’histoire de l’aviation (cf. le dossier en fin de volume) et les romans de Ian Fleming ? Difficile de se faire une idée tant la narration ouvre de portes et suggère des interprétations possibles, sans jamais vraiment les explorer totalement, malheureusement.
Visuellement, Michel Chevereau rend une copie solide et pleine d’énergie. Trait réaliste rappelant parfois François Boucq, mise en page dynamique et des personnages très vivants, sa reconstitution de la fin des années 40 s’avère au point. Détail-bonus appréciable, les hors-textes façon gravures ou réclames d’époque qui jalonnent le récit apportent un petit supplément vintage très élégant. Un dernier mot sur les couleurs de Jack Manini himself, celles-ci emballent le tout avec efficacité en plus de poser et renforcer l’identité de chacun des mini-chapitres composant l’ouvrage.
Autant étrange dans ses fondements qu’original dans sa mise en œuvre, Bon Voyage ? est une curiosité dotée d’une réalisation soignée et d’un souci des détails certain.
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