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ienvenue au cour de théâtre de John Smith. Il est ouvert à tous et les quatre premières séances sont gratuites. Aucune expérience n'est exigée. Le professeur lui-même confesse compter plus sur sa longue expérience que sur une véritable carrière d'acteur pour animer cet atelier.
Une dizaine de personnes sont présentes pour ce premier soir. Elles n'ont pas grand-chose en commun, même si certaines se connaissent. Mais elles partagent toutes et tous une forme de malaise social. Elles se débattent dans un quotidien oppressant dont elles se sentent exclues. La promesse est séduisante, même si elle ne repose que sur des ouïes dires : chacun a eu vent de cet atelier qui aurait eu un impact fondamental sur la connaissance d'une connaissance. C'est donc avec un mélange de curiosité, d'appréhension et d'espoir que tous abordent cette première soirée.
Les exercices commencent rapidement, sous la forme de courtes improvisations et de jeux de rôles. Au fil des exercices, les frontières entre la réalité et l'imaginaire commencent à s'estomper. Les participants plongent dans les tréfonds de leur inconscient et se retrouvent malgré eux confrontés à leurs désirs et leurs angoisses. Si certains se laissent complètement emporter, d'autres développent une méfiance grandissante lorsqu'ils constatent que certains élèves semblent ne pas reprendre pleinement pied dans la réalité lorsque le jeu s'arrête.
Dans une lente progression, Nick Drnaso illustre le lâcher-prise qui commence à saisir les participants, s'enfonçant de plus en plus loin dans... quoi exactement ? Quel est le but réel de ce cours, s'il en possède un ?
L'auteur continue d'explorer les recoins les plus déstabilisants de la société, sans recourir à la facilité ou au spectaculaire. Il compose des scènes qui installent lentement et méthodiquement un sentiment de malaise diffus et intense. Le procédé implique de longues scènes de dialogues découpées en successions de champ / contre-champ sur des visages subtilement expressifs et sur les changements de décors qui signalent le glissement vers les exercices scéniques qui happent les participants vers un ailleurs à la fois réconfortant et inquiétant.
Acting Class place le lecteur dans une position inconfortable, comme installé dans l'obscurité d'une salle de spectacle, assistant secrètement aux répétitions d'une pièce de théâtre. L'auteur lui fait pénétrer l'intimité des personnages, dans toute leur complexité et leurs zones d'ombre. L'effet est étrange et déroutant. Après Beverly et Sabrina, ce nouveau livre confirme tout le bien que certains clament au sujet de l'auteur (tandis que d'autres continuent de crier à la supercherie). En tout cas, personne n'en sort intact.
Rosie, Dennis, Angel, Gloria, Beth, Rayanne, Thomas, Neil, Danielle, Lou... Dix personnes étrangères entre elles pour la plupart. Dix personnes vivant un quotidien angoissant, oppressant et précaire. Dix personnes qui espèrent trouver un échappatoire en s'inscrivant au cours de théâtre de John Smith. Le topo est simple : les 4 premiers cours hebdomadaires sont gratuits et les élèves choisiront de continuer ou non.
Pour les exercices, le professeur donne quelques thèmes et directives et laissent ses élèves amateur.ice.s improviser. Les élèves ne sont pas tou.te.s convaincu.e.s de ce qu'apportent ces cours à l'issue des premières séances, mais l'opportunité de la gratuité leur suggèrent d'aller au bout de ces 3 semaines...
Le début sonne comme du Drnaso classique mais la suite d'Acting Class s'éloigne des concrets Beverly et Sabrina pour établir un espace trouble entre performance scénique, imaginaire et réalité, tout en mettant en exergue le biais cognitif de l'escalade de l'engagement.
Les performances d'acteurs se signalent par un changement de décor, d'une case à l'autre. C'est absolument sans artifice, à l'image de la patte graphique de Drnaso. On peut noter une évolutions des expressions faciales, mais sinon trait coupé au cordeau, aplats de couleurs, pas besoin de plus. Je trouve même que le découpage de séquences va plus à l'essentiel que dans ses bouquins précédents, faisant la part belle aux échanges entre personnages, puis au délitement des unités de lieux et de temps.
Car c'est un des autres points du bouquin, la perte de points de repère des protagonistes qui rompent avec leurs environnements respectifs pour en suivre un autre.