S
on autocar ayant rencontré un problème technique, Manuel préfère finir à pied les derniers kilomètres qui le séparent de sa destination. Se dégourdir un peu les jambes avant ce séminaire, ça ne peut faire que du bien. Le plafond est bas et les nuages approchent, mais le temps a l’air de se maintenir. En chemin, il s’arrête dans un village pour se rafraîchir et observe les gens du cru. C’est la campagne, les habitants ne sont vraiment pas comme ceux de la ville remarque-t-il au passage. Une fois reparti, il est finalement surpris par une averse et demande refuge à une de ces belles villas qui bordent le lac. Bon gré, mal gré, le couple qui lui répond accepte qu’il attende la fin de la pluie. Là aussi, pas facile de lier une conversation avec des inconnus…
Faux-semblant, références de haut niveau et élégance, Marino Neri puise profondément au cœur de la psyché de la société avec La tempête. Évoquant William Shakespeare évidemment, citant aussi Arthur Rimbaud et avec d’innombrables clins d’œil à l’art moderne, le récit se classe immédiatement au rayon des œuvres cérébrales à forte teneur psychologique. Trame épurée à l’extrême, rapports humains montrés à l’os, quelques ancrages indispensables pour situer l’histoire dans l’époque actuelle, le scénario présente une tranche de vie animée par une poignée de personnages perdue au milieu d’un quotidien figé par les habitudes.
Le calme avant l’orage ?
Oui et non. Dans les faits, le scénariste a finement préparé sa partition et les germes des fracas à venir sont bien là, sous les yeux du lecteur. L’acuité de la narration tient dans la manière discrète et malicieuse dont Néri a fait preuve pour composer sa fable. Mise en abîme magistrale, indices visuels ou verbaux, tout est présent dès les premières pages. Pourtant, les rebondissements et les réactions surprennent en permanence. La qualité d’écriture et de construction est tout bonnement phénoménale.
Autre coup de force, aussi désincarnés qu’ils puissent paraître, les protagonistes ne sont pas vides ou transparents. Personnalités, bons et mauvais côtés, ils «vivent» réellement et sont dotés de psychologies des plus fouillées. Résultat, même s’ils restent des archétypes (le mari, la femme, l’intrus, le fou, etc.), ils ont suffisamment de chair afin d’exister et de rester cohérents sur la longueur. Là aussi, le talent et le sens de l’observation de l’auteur sont à relever.
Étude de cas, relecture contemporaine des classiques et véritable savoir faire pour décrypter les non-dits et les errances des comportements, La tempête est une œuvre dense et exigeante, mais ô combien satisfaisante et percutante.
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