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aris, 1872. La rumeur prétend que les membres d’une expédition menée par le professeur Delescluze, un éminent botaniste, se sont métamorphosés en singes. L’État français met sur pied une mission pour lui porter secours dans un Congo jusque-là oublié par les colonisateurs, mais pas pour longtemps. À sa tête, Corentin Tréguier, un fils à maman, militaire sans grande envergure. La Belgique a également des vues sur cette partie du monde et mandate l’espionne Camille de Willers, laquelle accompagne le héros en se faisant passer pour une journaliste. Chemin faisant, la petite troupe découvre le pays et sa culture.
L’incroyable expédition de Corentin Tréguier est inspirée d’un balado à succès présenté par France Culture. L’abondance des dialogues trahit d’ailleurs l’origine du projet. Adaptée par Emmanuel Suarez, l’histoire demeure celle d’un voyage initiatique. Surprotégé par sa mère, perçu comme une demi-pointure, autant par ses supérieurs que par ses subordonnés, le protagoniste doit s’affirmer. Le garçon naïf se révèle rapidement un esprit droit, prêt à défendre ses convictions anticoloniales, pacifistes, féministes et environnementales. En fait, l’humaniste n'a pas vraiment changé, c’est davantage le regard que les autres posent sur lui qui se transforme. En cela, il s’impose comme la mise en abyme du continent noir souvent regardé de haut. Le scénariste y voit plutôt une société différente, mais d’égale valeur.
La question féminine est abordée avec une stratégie similaire. Issue d’une structure patriarcale, la scribouillarde se travestit en garçon ; c’est à ce prix que l’émule de Seccotine peut espérer obtenir le respect et la confiance des hommes. Et que dire de Nzuzi Bibaki Ndanki ? Bien qu’il vive dans la jungle, le colosse, rebaptisé Christian, adopte le mode de pensée et la tenue vestimentaire des Européens. Pour tout dire, la richesse de cette entreprise repose sur la profondeur des personnages, lesquels ne sont jamais exactement ce qu’ils semblent être.
Le dessin semi-réaliste de Hamo évoque la ligne claire avec, parfois, un trait légèrement charbonneux. Alors que le bédéphile s’attendrait à une accumulation de décors rendant hommage à la nature, l’artiste présente le tout comme s’il s’agissait d'un huis clos. Les gros plans abondent dans cet album où les acteurs sont mis de l’avant, alors que les vues d’ensemble avec éléphants et girafes se font rares. La colorisation est aussi réussie, le bédéiste mise essentiellement sur des teintes sobres, bien servies par un papier mat de belle qualité.
Il serait tentant, mais trop facile, de comparer cette bande dessinée à Tintin au Congo. Près de cent ans séparent les deux œuvres et chacune traduit les préoccupations de son temps. Allez savoir ce qu’en pensera le lecteur du futur.
Bien qu’ils campent leur propos dans le XIXe siècle, les auteurs parlent avant tout de leur époque et de ses enjeux. Le message est un peu convenu, mais intéressant.
Quelle belle surprise ce volume! le scénario se tient très bien et montre très peu de temps faibles. Sans doute est-ce dû à la première version de l'histoire sous forme de feuilleton radiophonique. Les personnages principaux ont de l'épaisseur. Le héros n'est pas superman mais compense sa candeur par son énergie et sa ténacité. Le dessin est très bien adapté au récit: ni trop caricaturaux, ni trop réalistes. Et la forêt est très bien rendue, dans son aspect dense et profond.
Je me suis régalé.