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epuis le décès tragique de son père dans un accident, Augustin fait des cauchemars qu’il dessine ensuite. Ces sombres images mettant en scène une créature humanoïde ont été remarqués par son instituteur qui convoque sa mère. «C’est un bon garçon, mais essayez d’avoir un œil sur lui», lui recommande le pédagogue. Les années passent et, petit à petit, Augustin arrive à se construire et est désormais étudiant en paléontologie. Sa fascination traumatisante pour le monstre nocturne de son enfance s’est déplacée vers les hominidés, les néandertaliens tout particulièrement. Ayant mis la main sur un essai soviétique relatant une expédition en Asie Centrale sur les traces d’un tel fossile vivant, il décide, au grand dam de sa fiancée, de se rendre sur place afin de trouver et confronter cet obsédant totem. Débute alors une odyssée de tous les instants, sise à la frontière de la science et des traditions séculaires, le tout à l’ombre des sommets himalayens.
Seulement une année après Tant que nous sommes vivants, Frédéric Bihel revient déjà avec À la recherche de l’homme sauvage, une bande dessinée dense et ambitieuse mêlant quête existentielle et pur récit d’aventure, sans oublier un hommage généreux et appuyé au Tintin d’Hergé. La barque, la cordée plutôt, est bien chargée, peut-être un peu trop sur la longueur. Logiquement très centré sur Augustin et son obsession, le scénario laisse malheureusement de côté le reste de la distribution, dont les rôles oscillent entre l’invisible (sa mère) ou le prétexte et l’entendu (Judith, André). Si cela renforce le sentiment de solitude et de renfermement intérieur ressenti par le jeune homme, ça rend surtout la lecture monolithique. Autre travers, lors de la seconde partie de l’ouvrage, l’apparition et l’intégration maladroite au récit d’Atesh, le gardien des légendes, ajoute une distance supplémentaire vis-à-vis de la narration. Ni guide, ni passeur ou simplement ami comme Tchang l’était pour Tintin, il n’est pas non plus une image miroir du héros. Très limité, il ne joue qu’une fonction purement explicative et descriptive. L’accumulation de ces petits défauts, ainsi qu’un certain flottement autour des réels objectifs d’Augustin (Quête pour le père ? Vers une forme de vérité ou de rédemption ?) empêchent l’album de former un tout cohérent et réellement convaincant.
Visuellement, le résultat se montre plus enthousiasmant, malgré un lettrage fluctuant. Lax et Nicolas De Crécy viennent immédiatement à l’esprit au premier regard. Bihel est bien accompagné et, mieux encore, il ne fait absolument pas pâle figure face à ces deux influences potentiellement écrasantes. Paris et ses pavés, l’Hindou Kouch et ses pentes minérales : le dessinateur se démarque et offre de superbes planches riches et détaillées. Dans le même temps, il sait laisser la poésie et le souffle des montagnes pénétrer ses compositions. L’ambiance, toujours à la limite de l’introspection, est renforcée par une mise en couleurs forte et pénétrante. Pas de blanc immaculé ou d’air cristallin, à la place des nuances grisonnantes ou brunâtres. Le monde d’Augustin semble être uniquement composé d’aubes et de crépuscules, comme autant d’espoirs et de déceptions.
Très fort graphiquement, un peu moins narrativement, À la recherche de l’homme sauvage en fait peut-être un peu trop et finit par s’égarer en suivant un sentier mal balisé. Dommage, le voyage méritait vraiment le détour.
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