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ille d'un Texas Ranger, Anabel est une enfant à part. Peu passionnée par l'école, elle préfère aider les autres grâce à ses remèdes à base de plantes. Lorsque son père rentre d'une longue mission avec une femme qui pourrait être Cynthia Ann Parker, kidnappée par les Comanches près de vingt-quatre ans plus tôt lors du massacre de Fort Parker, la jeune fille s'intéresse immédiatement à la nouvelle venue. Contrairement aux autres habitants qui ne voit en elle qu'une sauvage, la gamine va se lier d'amitié et essayer de la comprendre.
Symbole des enlèvements lors des guerres pour l'Amérique du Nord, Cynthia Ann Parker est aussi la mère du dernier chef des Comanches, Qwanah. Séverine Vidal (Magic Félix, L'Onde Dolto) et Vincent Sorel (La Revue dessinée, Les Aventures du Roi Singe) reviennent sur sa vie et ses tragédies. Mais plutôt que de verser dans la biographie tendance western avec les méchants indiens d'un côté et les courageux colons de l'autre, la scénariste - également romancière - use d'un artifice bienvenu. Elle introduit Anabel, témoin privilégié dont l'âge et la proximité avec le personnage principal permet d'opter pour un angle original. À la fois pleine d'empathie pour Cynthia Ann et fière de son père, la jeune fille joue la narratrice objective du récit. Loin des cavalcades, des duels dans la rue principale ou des parties de poker dans le saloon, l'intrigue imaginée par l'autrice du Plongeon prend le temps de développer ses atmosphères.
Pour y parvenir, le dessinateur n'hésite pas à proposer des séquences muettes, notamment pour les deux scènes de batailles. Habillées de tons rouges-orangés, elles tranchent radicalement avec la quiétude de Jacksboro (Texas) où Naduah est ramenée de force. Bien retranscrit, le bouleversement que représente ce retour pour elle est flagrant. Partie à neuf ans, elle revient mère de trente-trois ne répondant qu'au nom de Naduah contre sa volonté. Il témoigne également du peu de cas qu'il était alors fait de la volonté des femmes, dans une société patriarcale et violente. Avec son style peu académique, Vincent Sorel proposent des visages anguleux, un jeu de regards qui accentuent cette sensation. Ils renforcent la colère qui se dégage de leur héroïne, son désarroi aussi et sa grande détresse. L'impression que Cynthia-Naduah est perdue, ne se sent pas à sa place loin de ses enfants, de sa famille, des siens est parfaitement restituée. Jusqu'à son funeste chagrin.
Séverine Vidal et Vincent Sorel livrent un récit tout en pudeur, sombre et triste, sur le destin d'une femme doublement arrachée aux siens, qui se laissa dépérir plutôt que faire semblant. Une histoire lancinante et forte.
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