T
homas, médecin, et son frère Peter, maire, sont les promoteurs de La baleine heureuse, un établissement thermal faisant la fortune de leur petite île. Lorsque le scientifique découvre que l’eau est contaminée, les financiers sont sous le choc. Si la chose est connue, ce sera la fin de la prospérité. Les villageois se lèvent pour museler l’empêcheur de tourner en rond. Un ennemi du peuple est tiré d’une pièce écrite en 1882 par Henrik Ibsen. Javi Rey en transpose l’action dans la deuxième moitié du XXe siècle.
La structure du scénario se montre linéaire et fluide. Le récit est découpé en trois chapitres, chacun dépeignant un protagoniste dont la colère est sans cesse croissante. Il se déchaine au dernier acte alors que, seul contre tous, il en vient à contester les fondements de la démocratie et à mépriser une populace portant au pouvoir des arrivistes égocentriques. La plupart des administrés apparaissent toutefois plus bêtes que réellement méchants. Chacun privilégie son intérêt personnel aux dépens de celui de la collectivité, tout simplement parce qu’il n’a pas l’envergure intellectuelle pour comprendre les enjeux éthiques, trop occupé qu’il est à prendre soin de son confort immédiat. L’emportement du lanceur d’alerte est cependant atténué par un épilogue en forme de réconciliation. Cette conclusion se révèle certes heureuse, mais perd en puissance.
Le dessin, inspiré de la ligne claire, présente une raideur un peu théâtrale qui n’est pas fondamentalement désagréable, même si la plupart des comédiens n’adoptent qu’un seul registre. La colorisation, très criarde, surprend un peu. Les décors sont pour la plupart monochromes, jaune chez le héros, vert à l’école de sa fille et rouge au journal La Voix du peuple, le ciel s’habille généralement en orange et l’herbe en bleu ; l’ensemble affiche un côté acidulé et psychédélique plutôt agréable.
La reprise de ce texte cent quarante ans après sa publication n’est pas fortuite. Pour tout dire, rien n’a changé. Pis encore, la pollution, la corruption et la désinformation se sont mondialisées, l’individualisme atteint pour sa part des sommets. Bref, la fable politique du Norvégien demeure d’une grande pertinence.
Poster un avis sur cet album