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Tronchet - Les damnés de la terre associés

C'est la lutte finale...

Fabrice Mayaud Webzine 18/03/2014 à 13:30 13822 visiteurs

Un article qui introduit l’intégrale des trois premiers tomes des Damnés de la terre associés se conclut sur ces quelques mots concernant Didier tronchet : « Gageons que sa vie est maintenant faite d’une succession de cocktails mondains et de virées nocturnes avec les vedettes du show-biz parisien. Et quand il alignera bons mots sur bons mots, entouré des plus belles filles de la capitale, souhaitons-lui de toujours garder une pensée pour les minables journalistes restés en province qui croupissent dans leur feuille de choux misérable, entourés de secrétaires qui sentent le savon ». Voire…


Peu de gens savent que Didier Tronchet fut un amateur éclairé de football (1), fervent supporter des « sang et or » dans sa jeunesse. Aussi est-il deux fois puni quand, lors de la finale de la coupe de la ligue opposant Lens au Paris-Saint-Germain en 2008, des ultras pro-parisiens déploient une banderole qui a défrayé la chronique en son temps (pour mémoire : "Pédophiles, chômeurs, consanguins : bienvenue chez les Ch'tis"). Le sort est facétieux, voire cruel : cette anecdote du monde merveilleux des stades fait très précisément écho à une planche de jeunesse de l’auteur, initialement non publiée, mais qu’il a ressortie des cartons pour illustrer le sixième chapitre de ses
Carnets intimes, intitulé Nord ou vif. La planche narre l’histoire d’un pauvre hère qui s’est égaré dans cette région et arrive au constat suivant : « Des mineurs désœuvrés, des sidérurgistes aigris et abrutis par l’alcool. Toute une faune d’épaves ravalées au rang de la bête, des violeurs de petites filles surpris dans leur basse besogne, des débiles congénitaux, produits de croisements incestueux misérables. Bref, un échantillon assez représentatif de la population du Nord-Pas de Calais ». Certains ont annoncé à travers leurs travaux le 11 septembre 2001, lui, il a prédit le 29 mars 2008 (en plus, le RCL a perdu…).

Les Damnés de Tronchet, c’est l’époque dont le sillon a notamment été creusé par le journal Hara-Kiri et qui précède celle des Deschiens, la création de Macha Makeïeff et Jérôme Deschamps, une période qui voit la naissance du controversé Hitler = SS du duo Vuillemin et Gourio. Voilà pour l’esprit, le ton. Mais ce qui interroge l'auteur, quand il rédige ses Carnets intimes au début des années 2000, c’est l’impact sur son travail de l’environnement dans lequel il a grandi : « Est-ce le ciel bas et lourd de mon Nord qui pesait ainsi sur mes histoires d’alors, comme un couvercle ? Quand je vois les dessins d’un ami et néanmoins collègue, Jacques Ferrandez, originaire de Nice, je mesure à quel point les paysages d’enfance nous façonnent ». De fait, son œuvre, tout du moins pour l’époque qui précède son diptyque Houppeland dans lequel il s’extirpe de son territoire connu, est profondément marquée par son rapport à ce passé. Un peu à la manière de Baru, mais avec une approche qui diffère profondément. Baru est dans le concret, le vrai. Tronchet, lui, déforme la réalité pour en suggérer l’idée. 

Toujours sur le parallèle qu’il opère avec Ferrandez, il poursuit : « Chez lui, les atmosphères sont définitivement solaires. Couleurs lumineuses et personnages, tout ça pue terriblement l’insouciance méditerranéenne ». Cette dernière remarque, qui constitue ni plus ni moins une pirouette, est symptomatique de la manière qu’il a de faire supporter à ses protagonistes leurs tourments : la dérision pour mieux fuir la réalité. Une manie qui évoque les pensées qui hantent les personnages des romans noirs de l’américain Jim Thompson (1906 – 1977). Michael McCauley, auteur de la biographie Jim Thompson - Coucher avec le diable, écrit : « Jim Thompson ne manqua pas de remarquer la façon dont son père réagissait à l’échec et devait utiliser plus tard, à de nombreuses reprises, cette jovialité simulée, volontiers blagueuse, pour masquer la « volonté brisée » de certains des personnages qu’il campait ». Les perdants y gagnent en splendeur ! 


Des perdants magnifiques, Dieu sait qu’il y en a dans cette première période de Tronchet marquée par trois séries, chronologiquement : Raymond Calbuth, Les damnés de la terre associés et Jean-Claude Tergal. Des trois, Les damnés de la terre associés est sans doute la plus confidentielle, d’une part, parce qu’elle n’est pas centrée sur un personnage principal - elle est un condensé de comédie humaine - et, d’autre part, parce que ce qu’elle donne à voir est profondément sombre, pour ne pas dire désespérant. Même si l’auteur évoque des « penchants coupables pour la satire sociale et le mauvais goût », il n’en reste pas moins qu’il touche juste. « Debout les damnés de la terre », c’est aussi l’intitulé de l’exposition consacrée au président du Festival International de la Bande Dessinée 2011, Baru, auteur engagé s’il en est. C’est aussi, de manière plus prosaïque, avec ces mots que s’ouvre L’Internationale. 


Aujourd’hui, la lecture de cette série amène un éclairage singulier sur son créateur. Ce dernier a toujours admis qu’il y avait une part de lui-même dans son personnage fétiche : Jean-Claude Tergal - ainsi qu’une bonne part de son lectorat, à son corps défendant. De même, n’a-t-il pas la totale paternité des propos de son vieux baroudeur, Raymond Calbuth : « Si tu veux changer le monde, change d’abord ton regard » ? Mais il ne se doutait probablement pas qu’en narrant la navrante destinée des damnés de la terre, il pratiquait ni plus ni moins qu’une séance d'exorcisme qui allait libérer chez lui bien des choses...


La feuille de choux locale qui introduit l’intégrale des trois premiers tomes s’ouvre sur ces mots : « Qu’entend-on autour de nous ? Ce ne sont que plaintes et vitupérations. Certes la mondialisation de l’économie et la soumission aux lois du marché ont jeté dans la rue des millions de chômeurs et de sans-abris, attisé la remontée des haines raciales, provoqué partout la guerre dans un tiers-monde affamé, dévasté les ressources naturelles et enfermé dans des ghettos urbains une jeunesse désabusée qui n’a plus d’avenir que la drogue et la violence, certes !

Mais faut-il pour autant afficher une pareille MAUVAISE HUMEUR ? Faut-il pour autant se départir d’une jovialité de bon aloi ? Ne peut-on malgré tout voir LE BON CÔTÉ DE LA VIE ? Ne peut-on ? »

Affirmer que Didier Tronchet ne livre pas une vision très réjouissante du Nord dans sa série Les damnés de la terre associés, c’est être très en deçà de la vérité. Ces lieux qui l’ont vu grandir y sont dépeints de manière fort sordide, mais la palme revient sans aucun doute au portrait qu’il dresse de ses autochtones : affreux, sales et méchants… pour ceux qui ne sont pas d’une bêtise qui n’a d’égal que leur indécrottable optimisme. Ce dernier trait est celui qui caractérise le mieux Monsieur Poissart, père d’une famille mise à l’honneur dès le premier tome, dans une séquence intitulée « Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs : la misère » que n’aurait pas reniée Jean-Pierre Pernaut. Ces damnés de la terre au sens premier du terme s’imposeront avec le temps au centre de la série, notamment à travers les échanges de bons procédés qu’ils entretiennent avec les Landry, les nantis. Voir s'indigner ces derniers, dont la vie n’est que détachement, ironie et frivolité, constitue un amusant clin d’œil à notre présent - quel visionnaire, ce Tronchet ! -, tandis que voir espérer les premiers, tout du moins le père qui s’évertue à voir le verre plein alors qu’il a tout du tonneau des Danaïdes, ne lasse jamais. Cette alliance des contraires, sans doute un peu facile, apporte une légèreté bienvenue à la part plus sombre de ce qui est raconté. Toutefois, le dernier tome exclusivement consacré à ce numéro de duettistes en révèle la limite et apparaît comme le plus convenu. Le propos reste très sombre, mais la forme est sans doute moins abrupte. 


Cet ultime album, plus sage, peut aussi être considéré comme celui de l'apaisement. Paru en 2000, Pauvres mais fiers s’ouvre sur un clin d’œil appuyé à celle qui partage sa vie, la romancière Anne Sibran, et tourne autour de la vie des deux couples et de l’éducation de leur progéniture. Cela n’a rien d’anodin pour l’auteur, devenu papa deux ans auparavant, alors que l’absence de père, évoquée par effleurements dans son œuvre, a hanté son existence. Il s’offrira même, sans rien céder à la sagacité qui le caractérise, de conclure sur une note joyeuse. C’est dire le chemin parcouru ! En effet, le premier tome, Stars d’un jour, est d’une extrême noirceur. À l’époque, les contours de ce que deviendra Les damnés de la terre associés n’étaient pas encore clairement définis. Tronchet tâtonne, cherche et enchaîne des séquences d’une à quatre planches où il met en place un univers et des protagonistes. Au passage, il recycle quelques scènes savoureuses de l’album confidentiel par lequel tout commença, Les aventures de Raymond Calbuth, qu’il retravaille en redistribuant certains rôles. L’être abject n’est plus un, mais plusieurs. 


C’est à l’épicier Grobert, aigri parmi les aigris, qu’est confiée la charge d’ouvrir le bal. Vociférant sur une place vide, il constate que « T’façon, vous vous en foutez, hein, c’est ça ? » et interpelle les badauds « Vous croyez que j’vous vois pas calfeutrés derrières vos f’nêtres ???? ». À qui s’adresse Tronchet à travers son personnage ? Pour préciser sa pensée, quelques cases plus loin, il s’invite chez ceux qui se repaissent du spectacle et offre un final en forme de pirouette où il place son ami lecteur au centre de la scène. Il lui rappelle ainsi deux choses : d’une part, que la réalité dépasse bien souvent la fiction et, d’autre part, que s’il est aisé de repérer la paille dans l’œil de l’autre, il l’est moins de voir la poutre qui obture le sien. Il a par la suite utilisé un procédé similaire de retournement de situation, sur scène, lors de son one-man-show consacré à Jean-Claude Tergal, quand il émettait à voix haute et intelligible l’idée de désigner quelqu’un dans l’assistance pour le faire monter sur scène et l’humilier. Le rire se tait alors au profit d’une silencieuse et solitaire supplication. 

Tronchet se lâche et frappe sur tout ce qui bouge avec la précision et l'assurance de celui qui sait. N’a-t-il pas écumé le Nord-Pas-de-Calais alors qu’il était jeune journaliste ? Statut qui lui a permis de « pénétrer partout » et de rencontrer « une foule de personnages, saisis dans leur quotidien, leurs intérieurs, leur vérité ». Plus largement, sur cette période de sa vie, il explique : « Le journalisme n’est pas fait pour moi (ou plutôt l’inverse). Au strict respect des faits, je suis toujours tenté de substituer une extrapolation fictive, une re-mise en scène. Quelque chose de reconstruit à partir de la réalité, mais qui finalement je le crois, en rend mieux compte, et qu’on appelle la fiction. Et ça, théoriquement, on ne peut pas dans la presse (ça se saurait). » (Carnets intimes). C’est à partir de ce contact avec cette réalité, dont il remodèle la substantifique moelle, qu’il façonne Les damnés de la terre associés.

Ce que Tronchet fait sans doute moins consciemment, et de manière de plus en plus prégnante au fur et à mesure des tomes, c’est briser les chaînes qui pourraient l’empêcher de s’épanouir, telles celles qui figent le jeune Jean-Claude Tergal « dans une posture de crapaud qui s’excuse d'exister » (cette phrase assassine tirée du 5e tome des Damnés de la terre associés est en fait adressée à Monsieur Poissard). Avec, en ligne de mire, le danger qui guette, que ce soit sous la forme d‘un Raymond Calbuth, héroïque et pathétique vieillard d’appartement, ou parmi la pléthore de pauvres hères qui hantent les pages des Damnés de la terre associés et se rendent compte, trop tard, de ce qu’ils auraient pu faire et n’ont pas fait ; Éternels regrets… Un personnage, toutefois, dénote un peu dans ce triste spectacle. Monsieur Paintex se rêve acteur, il sera celui de son quotidien - c’est déjà ça -, justement parce qu’il se bat avec l’énergie du diable pour que son désir devienne réalité. Excepté un bisou volé, il ne sera guère remercié par l’auteur qui déchaîne un flot de refus et de désillusions sur les espérances de son pantin. 

À travers cette série, Didier Tronchet s’est confronté aux occasions manquées, aux échecs, à l’acceptation polie de la fatalité et de la prédestination de l’être. Les années qui ont suivi semblent témoigner de l’impact qu’a pu avoir sur l’homme cette réflexion qui relève ni plus ni moins de la condition humaine. Depuis, il s’est éloigné de la bande dessinée (pas totalement, mais un petit peu…), tout en laissant de magnifiques et inattendus albums dans son sillage (Là-bas notamment), pour varier les plaisirs et goûter à d’autres saveurs. Parmi elles, figurent en bonne place l’écriture, le théâtre, le cinéma, les voyages et, comme une évidence, les siens. L’exorcisme semble réussi.

(1) Il s’en explique dans un livre - un « vrai », sans image ! (sic) - témoignage poignant : Petit traité de footballistique




Fabrice Mayaud

Bibliographie contextuelle :

Les damnés de la terre associés
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Hitler=SS

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Houppeland

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Raymond Calbuth
0. Raymond Calbuth - Ma vie est une jungle !

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Là-bas (Sibran/Tronchet)
Là-bas

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