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Quand t'es dans le désert...

Entretien avec Hugues Labiano

Propos recueillis par L. Cirade et L. Gianati (merci à Sylvestre Salin) Interview 08/02/2013 à 14:44 6140 visiteurs
Habitué à côtoyer les plus grands scénaristes du 9ème Art, de Rodolphe à Stephen Desberg, en passant par Serge Le Tendre, Hugues Labiano s'est lancé, après plus de quinze années passées devant une table à dessin, seul, dans un projet d'écriture. Un projet longuement mûri, à des lieues de l'univers moderne et aseptisé de Black Op, une aventure humaine forte et poignante qui sent bon la sueur et le sable chaud des immenses étendues désertiques du Hoggar, au sud de l'Algérie. Les Quatre Coins du Monde n'est pas seulement le premier album du dessinateur de Dixie Road en tant qu'auteur complet, c'est aussi un nouveau départ, un coup de fouet donné à une carrière dont les plus belles œuvres sont sans doute à venir.

Ce diptyque était-il en gestation depuis longtemps ?

Le sujet est une passion qui doit remonter à plus de quinze années. C’est quelque chose que j’ai découvert un peu par hasard à la suite de la lecture d’un livre. J’ai ensuite collecté chez des bouquinistes tout ce qui pouvait se rapporter à cette période, parfois des livres très rares, et en particulier au phénomène des unités méharistes. J’étais déjà passionné gamin par les films traitant du Sahara. Je me suis toujours dit que lorsque le moment sera venu d’écrire mon propre projet, c'est ce sujet-là que je traiterai.

Était-ce important pour vous de réaliser une série en tant qu’auteur complet ? Pour quelles raisons avoir attendu aussi longtemps ?

Le fait d’écrire a toujours été mon moteur. J’ai été sollicité très vite par de grands scénaristes comme Dufaux, Rodolphe, Le Tendre ou Desberg et j’ai énormément appris à leurs côtés. Après toutes ces années, le moment est venu d’écrire mon propre projet. Après le succès de Black Op, ça m’a semblé être le meilleur moment. Je n’ai pas écrit grand-chose avant de travailler concrètemement dessus, mais, pendant deux ans, j’ai rédigé l’histoire dans ma tête. Elle s’est construite de cette façon. Souvent, j’y pensais le matin à l’aube ou la nuit quand je dormais mal. Ainsi, j’ai écrit les albums très rapidement, trois semaines chacun, scénario et story-board compris. J’ai eu peur que cette facilité d’écriture ne nuise à la qualité du récit. Puis finalement, ma femme, ma première lectrice, et à mon directeur littéraire, Philippe Ostermann, m’ont rassuré sur le fait que tout ce que je voulais raconter était bien présent. Le dessin a finalement été plus long à réaliser que l’histoire elle-même.

Le récit était au départ annoncé en un seul tome. Est-ce une erreur de jeunesse d’un nouveau scénariste en devenir ? (sourire)

On peut dire ça, oui. Je ne savais pas du tout combien de pages il me faudrait. Comme j’ai travaillé d’un premier jet, les pages se sont vite accumulées. J’ai dû faire des choix drastiques. Je pensais très naïvement faire une histoire de soixante pages. Puis je me suis dit qu’il en fallait plutôt quatre-vingt. En continuant à écrire, je me trouvais à l’étroit dans ce format et je pensais alors à un format plus proches des cent vingt – cent trente pages. Puis en parlant à Dargaud et à quelques amis, dont Enrico (Marini, NDLR), ils m’ont convaincu de faire un diptyque, même si mon idée de départ était vraiment de faire un one-shot. Mais un one-shot de cent-trente pages qui traite d’un sujet réaliste… Je ne voulais surtout pas rentrer dans une série. J’ai donc taillé dans le gras tout en essayant de garder la substantifique moelle du projet en me recentrant sur l’histoire personnelle de ces hommes. J’ai donc négocié avec Dargaud deux albums de soixante-deux pages. S’est alors posée la question de la façon de couper l’histoire en deux. Il fallait un premier album qui tienne la route et qui ait de la matière, même en étant conscient que tout se jouerait dans le deuxième. Un premier album qui crée le besoin et qui donne envie d’ouvrir le deuxième. En reprenant mon scénario, je me suis rendu compte qu’il y avait une fin logique au premier et ça correspondait à peu près à soixante-deux pages.

Aviez-vous déjà écrit votre histoire comme une nouvelle qui peut se suffire à elle-même ?

Je pensais à la base à un projet d’écriture, sans faire appel à l’image. Finalement, quand j’ai commencé à écrire, je me suis rendu compte que les images s’imposaient. Je suis tellement nourri de cinéma que je n’ai pas pu m’imaginer l’histoire autrement que visuelle. Ainsi, j’ai pris deux feuilles, l’une sur laquelle j’ai fait mon découpage et l’autre sur laquelle j’ai fait mes dialogues. Images et textes ont été créés au même moment. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas mis plus de trois semaines pour écrire un album.

Le désert attire et fascine et vous semblez lui vouer une attention particulière. Pourquoi en avoir fait la toile de fond, pour ne pas dire le personnage principal ? D’où vous vient cette passion ?

Je n’ai jamais été voir le désert et j’en ressens aujourd’hui un petit manque. J’aurais aimé pouvoir ressentir les sensations qu'il procure. Quand j’ai commencé à écrire, je me suis jeté vraiment dans le projet et c’était trop tard pour me rendre dans le Sahara. De toutes façons, c’était déjà des zones dangereuses il y a trois-quatre ans. J’aurais aimé aller au contact des Touaregs, dans le sud de l’Algérie…

Comment expliquez-vous que le Sahara n’ait pas été plus souvent au cœur d’albums de bande dessinée ?

Dessiner le désert de façon intelligente est une chose très difficile. J’ai choisi le Hoggar car c’est une région très particulière, qui me permettait des échappées graphiques, passant du sable blond aux rochers basaltiques. De plus, le Hoggar est le centre du monde Touareg. Comme je souhaitais aborder le sujet dans une période de pacification, c’était le lieu idéal. Cette pacification n’a été rendue possible que par le biais des unités méharistes. Avant, le Sahara a été conquis par des colonnes d’unités militaires nombreuses, et ce fut souvent un échec, les Touaregs prenant souvent l’avantage. Dès l’instant où le Général Laperrine a décidé qu’on ne pouvait pacifier le désert qu’en vivant comme les nomades, il a créé ces unités méharistes, complètement imprégnées du pays. Du coup, j’ai senti au fil de mes lectures que cet aspect humain était très important, comment quelques officiers français ont pu vivre en osmose pendant des années avec des gens qui étaient très différents d’eux.

Avez-vous lu le premier tome de L’Homme de l’Année qui traite également de la présence française en Afrique du Nord juste avant la première guerre mondiale ?

Je l’ai feuilleté et je l’ai trouvé très bien fait. Les Sénégalais étaient des frères d’armes des tirailleurs algériens. Cela peut paraître désuet, mais cela a une résonnance terrible avec notre époque : on peut être très différent tout en pouvant néanmoins cohabiter intelligemment. Je connais beaucoup moins la problématique des troupes coloniales des tirailleurs sénégalais, et je ne sais pas si les officiers pouvaient se targuer d’être aussi impliquées dans la vie nomade que les méharistes.

Barentin semble avoir installé son autorité plus par la diplomatie que par la force…

L’histoire est vue par un homme qui vit au XXIème siècle mais malgré tout, la supériorité des français est venue d’une guerre, il ne faut pas l’oublier… Avant que les méharistes n’arrivent et qu’un nouvel état d’esprit ne naisse, il y a eu des combats. Les Touaregs sont des guerriers. Ils vivent exclusivement de razzias, de pillages. Quand les français sont arrivés, ils ne les ont pas accueillis de façon bienveillante. Mais ils ont admis, en tant que guerriers, que les français étaient supérieurs, pas intellectuellement, mais techniquement, technologiquement. Ils ont tout simplement admis leur défaite. Le discours français a été le suivant : « Déposez vos armes, arrêtez de vous battre entre vous. En échange, on vous donne une liberté absolue d’aller où vous voulez. » Ils ont accepté, le plus important pour eux étant de vivre dans leur pays de manière traditionnelle. De plus, ils ont également accepté, en échange d’un ou deux chameaux, de devenir soldats et de recevoir tout l’équipement militaire, mais aussi d’être payé. Les Chambas se sont ainsi pliés en grande majorité à l’armée française car on leur a permis d’aller se battre contre les Touaregs. Je pense que les conflits subsahariens qui se déroulent aujourd’hui viennent aussi du fait que des pays comme le Mali ou le Niger ne reconnaissent pas les Touaregs en tant que peuple, ce qui à mon sens est une erreur. Il faut donner une certaine autonomie aux Touaregs, une liberté de mouvement, un peu d’honneur qui était le leur avant. Le problème actuel était déjà présent lors de la décolonisation. L’Histoire est un éternel recommencement.

Les unions entre filles de nomades et officiers français, c’était quelque chose de courant ?

Oui, c’était assez courant. La plupart des officiers et sous-officiers des unités méharistes avaient des femmes ou des maîtresses Touaregs. Je pense que c’était plutôt bien vu, que c’était une manière de vivre ensemble complètement. Le fait que ces groupes nomades vivaient en famille et en autarcie totale a facilité tout ça.

Vous remerciez en début d’album le Lieutenant-Colonel Lahaie. Comment vous a-t-il aidé dans la conception de ce diptyque ?

Il est attaché au service historique de l’Armée. Il est basé à Saint-Maixent / Saint-Cyr. C’est un spécialiste des unités indigènes, ce qui tombait bien puisqu’il a m’a fourni pas mal d’articles là-dessus. Il ne m’a pas aidé sur le plan matériel, ni sur le désert. Par contre, il m’a apporté beaucoup sur le déroulement des faits, notamment pour le deuxième tome quand les unités méharistes partaient en France pour la guerre. Je ne savais pas si elles partaient en unités constituées et si les officiers avaient le choix, ou pas, de partir ou de rester. Croix du Sud, de Joseph Peyré, parle de ce choix pendant la deuxième Guerre Mondiale. En fait, en grande majorité, les Chambas et les Touaregs ne sont pas venus sur le sol français, en tout cas pas en unités constituées et seuls pouvaient se porter volontaires les cadres français. J’ai voulu rendre hommage aux tirailleurs algériens.

Comment avez-vous trouvé le juste équilibre entre affrontements sanglants et brutaux et les scènes beaucoup plus contemplatives illustrées par des planches quasi muettes ?

Je voulais imposer un rythme de lecture. Pour moi, le désert, c’est beaucoup d’instants de contemplation. Il amène le silence, l’introspection, la solitude. À côté de ça, dès qu’un rezzou était signalé, c’était l’excitation totale parmi les méharistes. Ils pouvaient rester des semaines, voire des mois à mener une vie très calme dans leur campement, et puis d’un coup, partir au combat avec une énergie incroyable. J’ai retranscrit tout ceci dans le rythme. Les combats étaient en général très brefs mais très sanglants. Il y avait très peu de prisonniers. D’ailleurs, dans l’album, quand le sous-officier chamba demande ce qu’on fait des prisonniers, l’officier lui dit : « Ils sont à toi. » Ça se passait comme ça.

Personnaliser chaque nomade, dont la majeure partie porte des chèches, n’a-t-il pas été trop difficile ?

Bien sûr. (sourire) J’ai essayé de le faire grâce à un jeu de couleurs, grâce aussi au fait que les chèches des Touaregs sont différents de ceux des Chambas. On me l’a d’ailleurs reproché au tout début, dans les premières pages. La mise en branle de l’identification n’a pas été simple. Puis, une fois que les lecteurs sont rentrés dans l’histoire, ça se passe beaucoup mieux. D’ailleurs, beaucoup ont trouvé dommage que j’arrête ma série au bout de deux albums, ce qui m’a donné l’idée de peut-être continuer, ce qui n’était pas du tout prévu au départ. Pas forcément faire une suite, mais reparler du désert.

Les couleurs de Jérôme Maffre sont un élément de narration au même titre que votre dessin ou vos dialogues. Comment avez-vous abordé cette dimension particulière ?

Je suis intervenu moi-même sur les couleurs puisqu’après l’encrage, je suis passé au stade du lavis. C’est moi qui ai donné globalement les couleurs que je souhaitais. Le coloriste a ensuite amené une touche numérique sur un travail très classique. Je l’ai laissé faire au maximum en lui donnant l’opportunité d’apporter son propre univers. Notre collaboration a été très facile. Jérôme Maffre a vraiment fait du très beau travail. D’ailleurs, il travaille de nouveau avec moi sur un nouveau diptyque Black Op.

Que retenez-vous de cette expérience de scénariste ? Avez-vous d’autres envies d’écriture ?

Oui, bien sûr. Quand on touche à l’écriture, quand on parvient à la maîtrise absolue de son univers, on a qu’une envie, c’est de recommencer. C’est aussi une autre manière de parler de soi, de se mettre à plat. Pour moi, cette expérience m’a beaucoup apporté sur le plan personnel. Je suis, pour la première fois depuis le début de ma carrière, satisfait de ce que j’ai fait. Ce projet ressemble à ce que j’imaginais avant. J’ai pris conscience du fait que j’avais des choses à dire et que je pouvais choisir la manière avec laquelle je pouvais les dire. Je me suis rendu compte que j’avais ma place dans le cercle des auteurs complets. Cette confiance va au-delà de mon métier, elle est désormais présente dans ma vie d’homme.

Les univers de Black Op et des Quatre Coins du Monde sont diamétralement opposés…

Stephen Desberg voulait depuis longtemps travailler avec moi, et réciproquement. C’est un privilège absolu de travailler avec lui. Il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus. Notre relation est vraiment très forte. Quand il m’a proposé d’écrire un thriller contemporain, j’ai hésité. Le contemporain, ce n’est pas mon truc. Puis, quand il m’a raconté l’histoire de Black Op, j’ai été séduit. J’ai appris énormément, même si ça a été douloureux. Ça a été très difficile d’avoir un découpage fluide sur cette histoire. C’est presque l’antithèse des Quatre Coins du Monde. Reprendre Black Op pour deux nouveaux albums, c’est plutôt difficile. D’ailleurs, à ce sujet, le fait d’avoir écrit mon propre scénario m’a rendu plus interventionniste sur le scénario de Stephen. On en a ri. Il m’a dit : « Voilà, maintenant que tu es scénariste, tu te mêles de mes histoires ! ».

Votre carrière est déjà longue. Quels sont les sujets qui vous intéressent aujourd’hui ?

J’ai deux projets. Une suite, sans l’être vraiment, des Quatre Coins du Monde, qui pourrait se dérouler quarante ans après, dans le même lieu, une Algérie plus moderne, avec des personnages qui auraient subsisté, ou des fils et des petits-fils de… J’ai également un projet plus concret qui aurait pu se faire à la place ou en même temps que Les Quatre Coins du Monde. Il s’agit de retrouver mes origines espagnoles et de parler d’un peintre qui me passionne, Goya. L’histoire se déroule en Andalousie, au XIXe siècle. Ce serait un one-shot. J’ai le désir de faire évoluer mon dessin, mais également de faire évoluer ma carrière. Se lancer constamment de nouveaux challenges, c’est très excitant et c’est ce qui permet d’avancer dans ce métier. Mais dans tous les cas, j’ai très envie de retravailler avec Stephen Desberg, peut-être en le ramenant sur mon terrain, sur une histoire dans laquelle action et psychologie se mélangent, avec de la sueur, de la poussière… Un univers très masculin.
Propos recueillis par L. Cirade et L. Gianati (merci à Sylvestre Salin)

Information sur l'album

Les quatre Coins du monde
2. Livre 2

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