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FREDERIK PEETERS

22/05/2006 27 planches

Le succès des Pilules Bleues a permis à Frédérik Peeters d'accéder à une notoriété méritée, mettant en lumière pour beaucoup un auteur réservé resté dans l'ombre. On a ainsi redécouvert des petits chef-d'oeuvres comme Constellation ou suivre le superbe Lupus, dont le quatrième et dernier tome est paru en avril. Avec la série Koma, Pierre Wazem et lui ont su toucher le coeur des jeunes lecteurs. Frédérik Peeters a ainsi bien voulu nous présenter ses carnets de croquis qui nous montrent l'autre face de son travail. Coup de projecteur sur un auteur prolifique mais toujours discret.

BDGest' : Les images présentées dans l'exposition sont très différentes de ce que l'on peut voir habituellement. Travaillez-vous beaucoup avec des carnets ? Pour griffoner, pour préparer les albums ?
 
Frédérik Peeters : Bien sûr que c'est très différent des albums. Ce n'est pas du tout le même exercice, ni le même plaisir. Dans les albums, le dessin doit être lisible et servir l'histoire ou l'atmosphère. Le dessin est alors plus un outil.  Dans les carnets, je me ballade entre les expérimentations formelles, sans pression, juste pour moi, et la prise en notes du monde, que ce soit en dessins ou en textes. Pour cela, il faut aller très vite, laisser courir le stylo presque sans faire attention, en écoutant ce qui se passe autour. Je peux discuter en dessinant de la sorte, je suis souvent plus attentif qu'en ne faisant rien. Et puis il y a une dimension "album souvenir", puisqu'avec des années de recul, je replonge dans des ambiances fortes en retombant sur des croquis. Ceux des enfants qui grandissent, notamment.  
 
BDGest' : Quel matériel utilisez-vous dans ces carnets ?

Autoportrait
Frédérik Peeters : Vous voyez là des recherches à la plume et au pinceau-brosse, ou à la pipette. Avec de l'encre de chine ou du brou de noix. Les dessins-notes se font eux au stylo, avec une pointe métallique, qui donne un trait rigoureusement uniforme. De manière à ne pas se laisser emporter par les effets de style, qui permettent de dissimuler les faiblesses, comme avec des pinceaux ou des crayons gras. Un trait fin et précis est sans concession, il oblige à comprendre davantage comment fonctionnent les reliefs ou les mouvements. C'est une étape que je voulais aborder. Et puis c'est l'outil le plus rapide que je connaisse.
Mais des passages entiers sont également remplis de textes, des bouts de scénarios, des dialogues, des descriptions qui complètent des croquis. Tout et n'importe quoi, en fait.
 

Koma T.4
BDGest' : Ces carnets sont plus des cahiers d'exercices, alors ?
 
Frédérik Peeters : Cahier d'exercices, ça fait un peu scolaire, mais c'est assez ça. Mais il y a aussi une volonté d'appropriation du monde. BDGest' : Dans la description de ces carnets, on a l'impression que vous ne vous accordez aucune concession, aucune solution de facilité. Le dessin est-il resté un plaisir, l'a-t'il été un jour, ou n'est-il qu'une méthode de travail, un moyen d'arriver à un autre objectif, à une narration "parfaite" ? Frédérik Peeters : Bien sûr que c'est du plaisir. Je ne fonctionne que par plaisir. Il m'est arrivé de devoir faire des illustrations, notamment pour la presse ou la pub, qui ne me procuraient aucun plaisir. J'ai vite abandonné cet exercice, surtout que le résultat était rarement concluant. Et bien sûr, la plupart du temps, mon dessin est au service d'une narration et doit s'y adapter, mais il y a des moments où je n'ai pas envie de me plier à ces contraintes, et juste de dessiner pour dessiner, pour avancer, pour mettre au point une idée, pour me sentir bien, m'évader, me concentrer, ou surtout saisir un moment.
 
BDGest' : Dans vos albums, entre par exemple Friture, Onomatopées ou Lupus, on voit des changements de matériel. Est-ce une envie du moment, ou le besoin d'adapter le trait à l'histoire ?
 
Frédérik Peeters : Je n'intellectualise pas trop les changements d'outils. Je désire juste ne pas m'ennuyer, m'amuser, chercher, ma faire plaisir. Mais je ne verrais pas Koma, par exemple, dessiné autrement qu'au pinceau, avec un trait rond et chaud. Mon nouveau projet, qui doit être ancré dans une réalité contemporaine, nécessite en revanche un trait plus dur, plus précis. J'ai donc opté pour une plume et du lavis. Mais tout cela se fait en douceur, sans que j'y réflechisse forcément.
 
BDGest' : Maintenant que Lupus est terminé, allez vous repartir sur une série ou continuer des one-shot ?
 
Frédérik Peeters : Je sais que ce sera un polar contemporain et réaliste basé sur des faits réels, dans la collection Bayou chez Gallimard. Mais je ne sais pas encore si ce sera une série ou un coup unique. Et puis je dois finir Koma aussi. 6 tomes en tout.
 
BDGest' : La fin de Lupus a surpris, pour ne pas dire choqué. Elle est particulièrement brutale, après une série relativement douce... Que souhaitiez-vous montrer ?
Frédérik Peeters : Que la fin de Lupus ait surpris ou choqué est la meilleure des nouvelles pour moi. Je voulais un récit atypique, et donc une fin atypique. Et en même temps, certains artifices sont très classiques (boucler la boucle avec la mère de Tony..), et avec le recul, je ne vois pas d'autre manière cohérente de terminer cette histoire par rapport à ce que sont les personnages. Je n'ai jamais vu ça comme une histoire d'amour ou un récit initiatique, mais simplement comme la chronique du passage à l'âge adulte d'un homme très commun, qui pourrait avoir les mêmes rêves, les mêmes peurs , les mêmes lâchetés et la même bonté coupable qu'un trentenaire urbain et transparent d'aujourd'hui. Le problème, c'est que, surtout dans un cadre SF défini par le cinéma américain, nous sommes habitués à ce que les histoires transforment les protagonistes. Nous voulons croire que de grands évènements éveillent de grands sentiments, des élans de courage, qui finalement amènent à une amélioration, quand ce n'est pas une rédemption teintée de messianisme. Nous aimons le sentiment d'accomplissement qu'apportent les récits héroïques, et qui compensent peut-être nos propres frustrations.

Et bien non, dans Lupus, le personnage est petit, terriblement normal, et il est obligé de se rendre compte qu'il n'est pas à la hauteur de ses rêves, qu'il n'échappera pas à la médiocrité du système (même les vieux rebelles du tome 2 s'en sont rendus compte..), et surtout que, malgré sa lucidité, il y a toutes les chances qu'il reproduise les mêmes erreurs névrotiques jusqu'à la mort. C'est une fin apaisée, résignée, mais également assez désespérée. Je précise que ce n'est pas forcément ma vision de la vie, mais bien une expérience. Et je trouvais intéressant de laisser une empreinte gustative inhabituelle au final. Ces quatre volumes ne forment pas un objet lisse et carré. J'espère qu'ils perturbent un minimum, qu'ils sont un peu long en bouche. BDGest' : On a plus l'habitude de vous voir en auteur complet. Comment vous partagez-vous le travail avec Pierre Wazem sur Koma ? Très strict, il scénarise vous dessinez, ou vous autorisez-vous des "accrocs" au contrat ?
 
Frédérik Peeters : Il écrit le scénario tome par tome, avec tous les dialogues ciselés, et il me laisse le soin de découper, d'installer mon rythme, et bien sûr, de dessiner. Il lui est arrivé de me faire un croquis pour m'expliquer ce qu'il avait en tête, et moi de lui suggérer la suppression de quelques lignes, mais en général les tâches sont très séparées. Je crois que nous aimons être surpris par le travail de l'autre.
 

BDGest' : Les Pilules Bleues vous ont fait connaître du grand public. Comment en arrive t'on à raconter ainsi, sans fard, sa vie privée ? Car même si "il faut montrer aux gens", ce n'est pas

 évident...Frédérik Peeters : Si j'avais su qu'il se vendrait de la sorte, je me serais peut-être posé la question (et encore, c'est loin d'être sûr..). Mais d'une part, je n'avais pas l'intention d'en faire un livre quand j'ai commencé, c'était une sorte d'exercice personnel, et d'autre part, à l'époque, je vendais 700 livres et Atrabile était inconnu, je ne voyais donc pas de raison que cela change. Et quand vous voyez ce qui a été fait avant par les Américains et depuis par d'autres personnes, franchement, ce n'est pas un gros déballage. Avec le recul, je trouve ce livre très organisé, structuré par des systèmes de fiction, et absolument pas impudique. Ce n'est pas une autobiographie frontale ou un exercice exhibitionniste. Je n'aurais pas fait un récit autobiographique sans une raison exceptionnelle. Je ne voulais pas raconter ma vie, mais me mettre moi-même en scène face à des évènements qui m'échappaient. Encore une tentative d'appropriation du réel.
BDGest : Quel est votre rapport à la fiction? Vous créez des histoires intimistes comme Koma ou Lupus dans des univers de fiction, pourquoi ne pas rester dans le réalisme des Pilules Bleues ?
 
Frédérik Peeters : L'histoire de Koma ne vient pas de moi, et je ne vois d'ailleurs pas en quoi elle est intimiste. Parce que cela parle des gens? A ce moment-là, Matrix est un film intimiste, mauvais, soit, mais intimiste tout de même. Et je ne cherche pas à définir un rapport à la fiction. Je fais les livres de manière assez simple, les uns après les autres. Au gré de l'envie et des circonstances. Et j'ai compris que chaque livre rebondit sur le pécédent, comme un écho. Les gens doivent avoir l'impression que je ne fais que des histoires "intimistes", mais c'est un hasard, à cause de Pilules bleues et de Lupus, qui m'a pris trois ans mais qui n'est en fait qu'une histoire. Et Pilules Bleues n'est pas un récit réaliste selon moi. Il n'y aurait pas de mammouth, de rhinocéros, et d'allégories oniriques dans un récit réaliste. Je ne cherche pas à décrire le réel, mais plutôt à rendre une impression de vie, c'est très différent. Et il faut regarder toutes mes petites histoires dans Bile Noire, par exemple, pour se rendre compte que j'essaie simplement de m'amuser dans tous les genre. L'important, c'est de faire passer un ton, une vision du monde et des gens. Mais cela peut se faire au travers d'un récit de guerre, sur la Rome antique ou sur les zombies.
 
BDGest' : Vous aimez jouer avec les codes de narration : première personne dans Pilules Bleues, mise en abyme dans Friture, points de vue multiples dans Constellation... Est-ce un jeu avec le lecteur, ou une nécessité absolue quant à l'histoire ? Frédérik Peeters : Là encore, c'est une question de plaisir avant tout. C'est comme en cuisine, je n'ai pas envie de manger tous les jours des trucs qui ont le même goût. En même temps, je trouve que je ne change pas assez, et je dois faire attention à ne pas rester fasciné par mes propres tics. J'aimerais dans l'avenir faire plus d'expériences étranges voire abstraites. Ce n'est que de la BD, il faut savoir prendre le risque de se planter quelquefois. L'ennui, c'est que je dois aussi songer à gagner de l'argent. Et puis je prends aussi tous ces essais comme des moyens de progression. La BD et le dessin constituent la majeure partie de ma vie. Si je veux sentir que ma vie avance, je dois faire avancer mon travail. Je vous dis tout ça parce que vos questions me forcent à formuler des pensées et à intellectualiser cette démarche, mais au fond, c'est une histoire d'envie et d'instinct.
 
BDGest' : Quelle a été la démarche d'Onomatopées ? Un album très intime à tirage confidentiel, carnet de dessins plus que bande dessinée, pourquoi ?
 
Frédérik Peeters : Cadrat éditions, c'est une typographiste genevoise, qui, à titre de hobby, publie un livre par an, chacun rigoureusement différent du précédent (photo, art contemporain, poésie..), tiré à 500 exemplaires, et non rééditable.. Elle voulait faire une BD avec moi, j'ai dit que je préférais faire une sorte de carnet hybride, ma compagne est tombée enceinte à ce moment-là, et voilà.

 
BDGest' : Les similitudes sont grandes entre votre travail et celui de Jean-Claude Forest. Avez-vous été inspiré par lui ? D'ailleurs, quelles sont vos "sources d'inspiration" ?
 
Frédérik Peeters : J'aime beaucoup Forest, mais je ne crois pas qu'il m'ait vraiment influencé. D'ailleurs, on peut voir des similitudes dans le dessin (ce qui serait flatteur..), mais honnêtement, je ne me sens pas proche de ses scénarii, très marqués par une époque que je n'ai pas vécue. Et encore, les similitudes de dessins tiennent surtout au pinceau utilisé depuis Pilules Bleues. Mais j'ai commencé à la plume, à laquelle je retourne actuellement, et je défie quiconque de trouver du Forest dans mes dessins à la plume. Quant aux sources d'inspiration, j'ai renoncé à donner des listes de noms. Mais mon enfance a tourné autour de Tintin, puis mon adolescence autour des premiers mangas et des imports underground américains au début des années 90. Et beaucoup beaucoup de films des toutes époques et tous pays, et des romans, de préférence américains ou asiatiques. Et puis la peinture et la photo contemporaine.
 
BDGest' : Lisez-vous de la bande dessinée ? Avez-vous des auteurs fétiches, des séries indispensables ?
 
Frédérik Peeters : Je ne suis pas fétichiste. Et je ne lis que les livres sélectionnés par un ami libraire comme étant indispensables. Et les livres de l'Asso parce qu'ils me les envoient. Quasiment pas de série. Ah si, Isaac le Pirate. Et puis tout Killofer, mais c'est facile, y en a pas des tonnes. Et de l'asiatique, et de l'américain. Il m'arrive souvent de détester des livres que tout le monde adore, et vice-versa.  
 
BDGest' : Comment votre famille a t'elle réagi aux Pilules Bleues, puis à Onomatopées ?
 
Frédérik Peeters : Euh, bien. Pourquoi auraient-ils mal réagi? C'est ma vie, j'en fais ce que je veux, et je ne fais de mal à personne.  
Interview réalisée par Nina Stavisky