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L'éveil de la bête

22/10/2007 26 planches


Entretien avec Anne Renaud qui revient sur la préparation et la réalisation du 1er tome de cette série et qui nous ouvre sa boîte à souvenir avec, au menu : des crayonnés, des études, des croquis, des dessins préparatoires, des storyboards et des notes extraites d'un carnet de notes. En bonus, les pages publiées dans le numéro de février-mars 2002 de Pavillon rouge dans lequel Hel est apparue pour la première fois et d'autres dessins indépendants.

INTERVIEW
  Anne, la découverte du premier tome de Hel figure parmi les bonnes surprises de la rentrée BD 2007 et naturellement, nous aimerions en savoir davantage sur les étapes de la création de cet album et sur votre travail. Une première question : Un mois après la sortie de L’éveil de la bête qui est votre 1er album, comment vous sentez-vous ?
 

Je pourrais dire que je vis un état de dépression post natale. Plaisanterie mise à part, je ne réalise pas vraiment que cet album existe ne l’ayant vu en librairie qu’une seule fois depuis sa sortie. J’ai une vision très réduite de la nouvelle vie de Hel en dehors de ma table à dessin, mes priorités actuelles ne me permettant pas vraiment de profiter de cette expérience inédite. L’accueil des critiques et des lecteurs semble favorable, ce qui tend à apaiser mon inquiétude au regard de l’investissement et des vicissitudes qui ont jalonné la réalisation de ce livre. Je tiens à les remercier en passant. Quand vous avez participé au concours Delcourt destiné à découvrir de jeunes talents, quelle était votre motivation principale ? Et votre réaction lorsque votre projet a été retenu ?
 


Yannick Beaupuis et Anne Renaud
A l’époque, je travaillais sur un second long métrage d’animation en tant que conceptrice visuelle et layoutiste. Mon expérience sur le premier film n’avait pas été très positive d’un point de vue humain et créatif. J’avais donc tiré parti du temps mort entre les deux productions pour m’atteler à un projet de bande dessinée qui me tenait à cœur depuis longtemps - qui n’était pas HEL – pour me concentrer sur mes propres histoires et non plus me mettre au service de celles des autres. Le concours organisé dans le premier numéro de Pavillon Rouge m’a paru une excellente occasion de franchir le pas, tout en tirant parti de la contrainte de temps et du règlement.   En discutant avec mon superviseur, Hervé Leblan, et mon mari, j’ai abandonné mon projet pour explorer quelque chose de nouveau. Un dessin unique, une couverture d’album « pour rire », déjà réalisée, représentant une femme tatouée qui ne s’appelait pas encore Hel a servi de point de départ. Au même moment, je venais de découvrir le travail de Daniel et Geo Fuchs, deux photographes allemands, à travers leur trilogie « Conserving » .   Je me suis donnée le temps de la réflexion, car tout cela me semblait très loin de mon centre d’intérêt initial. La question était : comment trouver un sujet suffisamment prégnant pour être développé pendant des années ? La bande dessinée, telle que je l’aime, impose des durées de gestation longues qui mettent à rude épreuve la motivation. J’ai commencé à réfléchir et à dessiner autour de ces éléments en essayant de les marier avec mes propres préoccupations. J’ai réalisé le découpage de deux pages représentant le début d’une histoire qui ont été, plus tard, refondues et redessinées pour l’album (les planches 2 et 3). Je suis partie en vacances et à mon retour je n’imaginais plus les achever. Avant la date limite d’envoi des pages, sur l’insistance de mon mari, je les ai terminées en catastrophe. Il s’en est  fallu de peu pour qu’elles n’arrivent jamais chez Delcourt. Peu importe, l’élan était donné et lorsque j’ai reçu un coup de téléphone de Thierry Joor, presque trois mois après, le projet était déjà lancé. Il m’a semblé naturel et loyal de le concrétiser avec lui aux éditions Delcourt.   Le dessin en ce qui vous concerne c’est une vocation ou une révélation tardive ?
 


C’est intéressant que vous posiez cette question car j’entretiens un rapport assez ambigu au dessin. Il me suit depuis toujours mais je n’arrive pas à le considérer comme une fin en soi d’un point de vue graphique et artistique. Il faut bien reconnaître que mon dessin est assez classique et ne présente pas encore, à mon sens, une grande originalité. J’aspire à ce qu’il ait une certaine élégance car j’aime bien les belles choses et les dessinateurs comme Ingres ou Prud’hon.
  En revanche, je m’ennuie assez rapidement à dessiner si cela ne sert pas directement de support à une histoire. Le récit est ma motivation de passer à l’acte, et je dessine parce que je suis plutôt visuelle. L’exercice du roman ne me déplairait pas mais, à mon sens, il représente l’absolu en matière d’expression du récit. Avec seulement les 26 lettres de l’alphabet on peut tout dire, tout exprimer, les compositions sont infinies et font appel largement à l’imagination du lecteur (je vous renvoie à la magnifique nouvelle de Borges, « la bibliothèque de Babel » !). Je ne crois pas malheureusement  posséder ce talent.

Votre carrière d’athlète de haut niveau influe-t-elle sur votre approche de la bande dessinée ?
 
Le sport de haut niveau fut encore une rencontre de hasard, j’y suis venue sur le tard et jamais je n’aurais imaginé parvenir à ce résultat (NDLR Anne Renaud a été trois championne de France du 400m haies de 1995 à 1997). En revanche, si on ne possède pas une certaine de dose de masochisme et de persévérance, il est inutile d’y songer, même avec toutes les qualités physiques possibles. Même si les corps, à force d’entrainement, sont « shootés » aux endorphines, les douleurs physiques, elles, restent bien réelles et on recherche le dépassement de soi « dans un effort ignoré du commun des mortels » pour citer un entraîneur que je connais.
  En bande dessinée je retrouve un peu ce sentiment dans la mesure où c’est un travail proche du sacerdoce, très ingrat (et très mal rémunéré pour la majorité des auteurs, surtout les débutants). D’un autre côté, il requiert un niveau de compétences exceptionnelles, toutes condensées en un seul individu s’il est auteur « complet ». La liberté intellectuelle impose en contrepartie un sacré sacrifice en termes de niveau de vie si on n’est pas un auteur « productif ». Pour ce livre, je n’ai pas compté mon temps, ayant à l’esprit qu’il fallait que le lecteur en ait pour son argent.
Explique-t-elle, d'une façon ou d'une autre, le fait que le personnage-titre, outre le fait d’être une femme, accomplisse des prouesses physiques ?

Je dirais que Hel, s’est imposée en tant que personnage féminin naturellement. Dans mon enfance, les héroïnes de bande dessinées modernes et dynamiques auxquelles je pouvais m’identifier étaient rares. Depuis, les choses ont sacrément changé, mais pas l’envie de m’identifier au personnage de l’histoire que je dessine. Maintenant, pour ce qui est des capacités physiques de Hel, je ne crois pas qu’on puisse y voir un lien avec mon expérience athlétique, à moins peut-être, d’en revenir à la petite phrase de cet entraineur.   Du côté du lecteur, qui n’est jamais un modèle de patience, plus de cinq ans pour façonner un album c’est une éternité. Qu’est-ce qui manquait entre le projet découvert dans Pavillon rouge et l’album que nous avons entre les mains ?   Comme je l’évoquais avant, j’étais à l’époque encore sous contrat, au milieu d’une production et donc dans l’impossibilité de me consacrer pleinement à Hel. Il m’a fallu patienter plusieurs mois avant de m’atteler concrètement à la tâche. Ajoutons à cela que je n’avais jamais fait de bandes dessinées, ni vraiment écrit d’histoires ou de dialogues à part quelques planches dans mon adolescence. J’ai donc appris sur le tas et chaque problème rencontré était inédit. Il y a un monde entre lire de la bande dessinée et la créer. Ce qui paraît évident à la lecture est réalisé dans le noir total, sans aucun recul. Ce fut une source de doutes et d’angoisses permanentes qui a ralenti considérablement l’avancement de l’album. Passé ce cap – et d’autres plus personnels - je me suis remise au travail et j’ai terminé L’éveil de la bête. Pour en revenir à l’impatience du lecteur, il devra attendre un peu quand même avant de découvrir le prochain tome. Je rêvasse beaucoup et j’aime aller à la rencontre des sujets que j’aborde. Je laisse le temps aux idées de mûrir.   Vous avez cité François Bourgeon parmi les auteurs qui vous ont marqué. Y en a-t-il d’autres ? Oui, j’ai un respect immense pour l’œuvre de François Bourgeon qui a fait passer, à mon sens le 9e art au niveau de la littérature. J’ai le plaisir de pouvoir échanger des idées avec lui et rarement nous évoquons l’aspect du dessin. Je me sens très proche de son processus de création, toutes proportions gardées. Il a cette capacité incroyable de sauter d’un univers à l’autre tout en conservant une personnalité unique. Lire ses textes est un délice toujours intact !

Je découvre petit à petit en m’intégrant dans le cercle des auteurs que j’ai des affinités avec les scénaristes… Peut-être parce que je suis bavarde et eux aussi ! Mais ma préférence va surtout aux auteurs complets. Je connais presque par cœur les albums de Yoko Tsuno. Roger Leloup m’a et me fait toujours rêver avec son héroïne pour qui j’ai vraiment une affection particulière. C’est quelqu’un d’extrêmement sensible et de totalement investi sur son personnage. L’an dernier, lors d’une rencontre, François Boucq m’a donnée des clefs de compréhension de son œuvre. C’est un dessinateur de génie qui, en plus, sait raconter des histoires drôlissimes tout en concevant des livres comme « La femme du magicien » (Casterman). Je ne peux pas, non plus, ne pas évoquer un dernier François (je collectionne les François de la bande dessinée !) qui s’impose quand on aime un peu l’architecture, François Shuiten. Il m’a sûrement inspirée sur ce plan. « La tour » est un chef d’œuvre !
  Grâce à un ami scénariste, j’ai découvert Emmanuel Roudier qui creuse un beau sillon dans un terrain encore en friche avec son cycle préhistorique. J’apprécie son investissement et son goût pour l’écriture alors que la bande dessinée est aujourd’hui de mon point de vue trop peu « bavarde » et souvent tape à l’œil. Il a un beau talent, et en plus j’adore la période qu’il aborde.
  Pour autant, la réalisation de Hel s’est déroulée tout à fait librement, sous le regard d’amis intimes, de mon mari. Thierry Joor, mon directeur éditorial n’est quasiment jamais intervenu durant l’avancée du livre. On ne peut pas dire que nous ayons été, Yannick et moi, brimés, influencés ou dirigés : on nous a foutu une paix royale !
 

Yannick Beaupuis est-il associé au projet Hel depuis son origine ? Qui a imaginé le point de départ de la série ?

J’ai proposé à Yannick de participer à l’écriture du scénario après que les deux pages du concours aient été envoyées à Delcourt. Il y avait donc un personnage sans nom, un embryon d’univers narratif, des idées, des envies, quelques certitudes mais pas encore une histoire proprement dite. Yannick est un passionné de bande dessinée et l’envie de passer de l’autre côté du miroir, celui des auteurs, le taraudait. Notre collaboration s’est imposée sur la base de notre amitié, de nos affinités communes et complémentaires.
 
Le scénario est-il réalisé en duo ou Yannick est-il seul aux commandes ?
  J’aborde l’histoire en faisant appel à ma sensibilité et mes émotions tandis que Yannick le fait de manière plus cartésienne, scientifique. Il possède une qualité essentielle : celle d’être conciliant. Cela lui permet de supporter mon caractère de cochon, têtu et intransigeant. Il faut une bonne dose de persuasion pour parvenir à me faire accepter une idée qui ne me convient pas. Mais si la suggestion me plait, alors j’adhère, comme ce fut le cas pour sa description de la rencontre musclée entre Hel et le minotaure (qui m’a enthousiasmée et terrifiée à dessiner !). Nous avons parlé des séquences ensemble, évoqué nos envies respectives, j’ai évacué d’emblée ce que je n’aimais pas et alors a commencé un travail d’écriture succinct. Nous avons joué une partie de ping-pong jusqu'à être satisfaits. Le rôle de Yannick a été prépondérant à ce stade, c’est là qu’il a apporté des éléments décisifs. Cependant, je me suis rendue compte en commençant la mise en scène et le découpage que les dialogues étaient intimement liés et qu’ils ne pouvaient être écrits sans support visuel. Ainsi, c’est recluse et seule que j’ai écrit les textes tout en mettant en image. C’est un acte intime. A cette étape, je pense avoir apporté une touche de sensibilité au récit qui m’était chère.   Hel fait partie des personnages qui ont un don, elle est solitaire et semble vivre ce don comme une malédiction. Ces caractéristiques la rapprochent de héros ou d’héroïnes qu’on retrouve plus souvent dans les comics que dans les créations européennes. S’agit-il du résultat d’une influence particulière ? Ou cette vision est-elle totalement erronée ? (rires)   Si Hel a été au départ un jeu, elle a vite acquis une importance dans ma vie et j’y ai insufflé, sans m’en rendre compte immédiatement, une bonne part de ma  personnalité, de mes expériences. Ainsi, nous partageons un fort sentiment de solitude. Mais, je n’irai pas jusqu’à paraphraser Flaubert en disant que « Hel, c’est moi » ! Hel possède effectivement des pouvoirs qui l’assimilent aux super-héros, pas par analogie mais parce que l’idée d’aborder un sujet contemporain sans élément fantastique me rebutait. Reproduire mon environnement de tous les jours m’ennuierait au plus au point et c’est cette contrainte qui a vraiment orienté mes choix. Par exemple, je déteste dessiner les voitures et j’ai tout fait pour qu’on en voit le moins possible. Je n’ai pas de culture Comics et je suis certaine que le rapprochement est principalement dû aux décors de gratte-ciel. Avant d’entamer cette série, mon envie était d’évoluer dans un environnement médiéval et la ville d’Antès n’est que le prolongement de ce désir. Les gratte-ciel sont les cathédrales modernes et s’il y en a une à la fin du livre, c’est vraiment un clin d’œil à ce désir initial.   Par ailleurs, l’idée du don/malédiction, n’appartient pas à Stan Lee qui a bâti son succès sur ce concept.
 

Carte de voeux 2004
L’introduction d’éléments liés à la mythologie est-elle destinée à prendre le contre-pied de cette tentation de classification trop rapide ?   Tous les mythes, toutes les légendes, les sagas, la littérature sont habités par ce genre de personnages, comme Cassandre qui voit l’avenir sans être crue ou bien Tirésias qui a été superbement adapté en bande dessinée (Le Tendre-Rossi, Casterman).
  Les supers-héros sont devenus les dépositaires de la mythologie moderne…de la  mythologie américaine mais ils ne sont que les héritiers de leurs lointains ancêtres antiques ! A-t-on inventé quelque chose de nouveau depuis qu’Homère a écrit l’Odyssée ?
  Je me souviens très bien de la discussion que j’avais eue avec mon mari au sujet de l’usage du mythe. Le propos était de trouver un  socle commun à chacun pour pouvoir communiquer : le mythe est la réponse. Il est ce qui reste quand tout a disparu. Il parle à tous. Ainsi, importer des figures mythiques dans le monde moderne d’Antès revient à utiliser des symboles forts auxquels le lecteur peut se raccrocher dans cette traversée liée au destin de Hel qui est et sera tourmentée.
La précision, tant verbale que graphique, est probablement l’une des caractéristiques principales de ce premier tome. Qu’elle concerne l’architecture, ou la description des actes de médecine légale, d’éléments relatifs à la génétique ou du milieu de l’art. Pour ces différents domaines, quelles sont vos méthodes de travail?   Ma culture est plutôt littéraire et quand il a fallu écrire les textes du livre, je pense m’être engouffrée dans cette voie. Peut-être les dialogues sont-ils un peu « écrits », mais je préfère ça à l’inverse. Yannick avait une approche du dialogue différente mais qui, malheureusement, ne me convenait pas à l’oreille. Quand nous avons commencé à écrire l’histoire, Yannick et moi, nous savions que la science et l’univers médical occuperaient une grande place dans la série. Adolescente, j’avais le désir de m’orienter dans une carrière médicale et après un rond dans l’eau de plus de quinze années, j’y suis revenue par le biais de la bande dessinée.   Documentation, relevés in situ, rencontres avec des professionnels ? D’autres secrets qu’il est possible de révéler ?   J’ai eu l’opportunité peu après la mise en chantier de HEL, de rencontrer le professeur Michel Merle, au moment où s’achevait la construction de l’hôpital Kirchberg de Luxembourg qui est probablement l’hôpital le plus moderne d’Europe à l’heure actuelle. Il m’a accueillie, laissée assister aux interventions en me les commentant de manière très pédagogique. J’y suis restée presque deux ans ! Cette expérience m’a beaucoup enrichie. J’ai apprécié l’esprit de compagnonnage des chirurgiens, la diffusion et le partage des connaissances. Etre restée aussi longtemps m’a également permis de devenir invisible et de faire partie des « meubles » pour observer et m’imprégner en profondeur des rapports humains. Le tome 2 va bénéficier directement de cette aventure que je poursuis avec d’autres unités, là-bas et ailleurs, de façon plus ponctuelle.   Cela m’a permis également d’assouvir mon goût presque pathologique pour l’exactitude. Par exemple, j’ai noté régulièrement que des auteurs représentaient dans des séquences médicales le scalpel du chirurgien sous la forme du X-ACTO que les dessinateurs connaissent bien. Mais les deux outils n’ont rien à voir dans leur fonction propre et dans leur design même s’ils « coupent » très, très bien tous les deux ! Dans un livre qui n’était pas encore paru, j’avais osé faire la remarque à l’auteur (connu) que l’on ne débutait  pas l’autopsie d’un corps de la manière qu’il l’avait représentée dans ses pages. Ce genre de détails me fait perdre un temps fou, mais ils participent à ce que, moi, je crois en l’histoire que je dessine. Alors je me dis que si j’y crois, c’est forcément au bénéfice du lecteur ! Dans ce premier tome, j’ai fait  quelques concessions honteuses au niveau de la représentation médicale. Les Angelisti ne sont ni vraiment chirurgiens, ni médecins légistes. Mais dans le second tome, qui approfondira ce sujet, il ne sera plus question de transiger et j’essaierai de toucher au plus près la réalité, même si on reste dans une fiction pure. C’est une façon de plonger, sans danger, le lecteur dans un milieu qu’on ne découvre pas forcément du bon côté et aussi de respecter le travail des gens qui m’ouvrent leur porte! Cela a  presque été un bonheur de représenter le geste des sutures dans la planche 35, en  sachant qu’il était exact, dans la façon de tenir le porte-aiguille et la pince à griffes ! J’ai eu l’opportunité de l’expérimenter sur cadavre : on comprend immédiatement pourquoi on doit tenir les instruments de cette manière pour pouvoir les contrôler de manière précise. Mes mains ont tremblé d’émotion pendant dix minutes, pourtant au bout de deux heures j’étais tout à fait à l’aise, absorbée dans ma tâche ! Comment ne pas se sentir un peu Léonard de Vinci ?
 

Antès
L’architecture d’Antès est sans conteste nourrie de mes voyages outre-Atlantique et quelques bâtiments essaimés dans l’album sont tirés de projets d’architectures non réalisées. Antès est une sorte de condensé de ce qui aurait pu être, une utopie des architectes de la première moitié du XXème siècle. Sa géographie commence à m’être mieux connue et je vais, je pense commencer à en tirer un plan qui risque d’être utile par la suite.   A l’instar de François Bourgeon et de ses maquettes, j’ai entrepris la conception schématique en 3D de certains décors tels que la tour Damanos. J’aurais bien aimé le faire en volume mais je ne suis hélas pas très manuelle. Les avantages  de dresser un plan et un volume font qu’on peut laisser aller son imagination, enrichir la mise en scène et « faire son cinéma » en variant et en expérimentant de nouveaux points de vue. En revanche, reprendre directement la 3D ne me satisfait pas. Le résultat est rarement probant et convient mieux au 7e art. Je n’ai jamais aimé les déformations forcées induites par les focales. La perspective 3D « brute » est à réadapter au dessin, autrement elle se voit de suite. J’ai réalisé également un rapide modelage en terre du buste du Minotaure pour mieux en comprendre la forme. Je pense réaliser d’autres modelages de personnages pour la suite, et même s’ils ne servent pas toujours directement de référence, ils permettent de s’interroger sur leur volume.
 
Le passage où Damanos arrive dans sa bibliothèque anéantie et interroge un pompier est assez cocasse. Pour réaliser cette petite séquence, j’ai appelé la caserne des pompiers pour obtenir un rendez-vous afin de recueillir des informations. L’adjudant, qui m’a aimablement reçue, ne comprenait pas vraiment mes besoins. Finalement, en orientant mes questions, il m’a suffit de l’écouter parler pour obtenir presque dans son intégralité le petit texte du livre sans y faire une retouche. Je n’aurais pas pu mieux l’inventer ! Les tonalités employées pour les couleurs sortent de l’ordinaire et donnent un ton, une identité particulière à l’album. Expliquez-nous ce choix qui fait la part belle aux teintes violettes et vertes pour planter le décor de cette action nocturne.   Figurez-vous que j’ai failli ne pas prendre en charge la couleur moi-même. Mes premiers essais n’étaient pas si probants et Thierry Joor a évoqué du bout des lèvres l’idée de faire appel à un coloriste. Il s’agissait également de me soulager du poids supplémentaire de cette tâche. Mais, têtue et déjà trop engagée dans la réalisation du livre, je ne me voyais pas laisser intervenir une tierce personne, parachutée au milieu d’une histoire que je vivais intensément au quotidien depuis si longtemps. N’étant jamais aussi bien servi que par soi-même, j’ai donc persévéré jusqu'à obtenir un résultat convenable et cohérent avec le dessin. Qui d’autre, mieux que le dessinateur, peut appliquer le modelé des ombres sur ses personnages ?
  Le choix de la couleur informatique semblait idéal, pour sa plasticité. Elle convenait également par son côté froid et un peu lisse au sujet. Il restait à déterminer les teintes pour un album dont la majeure partie de l’action se déroule la nuit. La couleur violette des ambiances extérieures s’est imposée comme une alternative au « bleu nuit » trop évident et que j’ai réservé aux intérieurs de la tour de Damanos. Le violet est aussi une couleur d’apaisement, de secret et de mort. Autant de passerelles avec le récit, le silence de la ville la nuit, son mystère, et une odeur de mort flotte sur la totalité de l’album. Le vert, je l’ai associé aux monstres et aux Angelisti. Il évoque dans son aspect négatif, l’eau morte et la putréfaction, mais surtout il m’a accompagnée pour les scènes médicales. Le sang tranche très bien dessus, c’est bien sûr sa couleur complémentaire.
  Un ami et auteur, Benjamin Lacombe, m’a beaucoup soutenue et accompagnée dans cette étape, je lui dois mes progrès dans ce domaine que je maîtrise mal encore. Donc, si vous trouvez une certaine originalité dans la mise en couleur, elle peut venir directement de mes lacunes !   Vous avez annoncé que le tome 2 était en cours d’écriture et que le format classique des 46 planches devrait être trop étroit pour montrer et dire ce dont vous avez envie. Pouvez-vous nous en dire plus ?   Effectivement, le premier opus compte déjà cinquante-quatre planches, mais nous aurions aimés approfondir certains aspects de l’histoire et du contexte. D’ores et déjà, il semble évident que nous allons nous acheminer vers un soixante-dix pages tout en sachant qu’il  faudra encore élaguer. Le deuxième tome introduit de nouveaux personnages et des aspects psychologiques qui ne peuvent être développés que dans la longueur. Et l’action occupera toujours une place importante. Il faut un bon chausse-pied pour arriver à tout faire rentrer dans ce carcan et cela se traduit parfois par un nombre de case conséquent. En ce qui me concerne, j’ai toujours préféré les bandes dessinées denses.   Existe-t-il une bible pour le scénario de Hel ? L’issue de l’aventure est-elle définie depuis l’origine ?   Depuis le début, nous savons que Hel serait une trilogie et que chaque tome développerait un aspect particulier à l’histoire et du décor d’Antès. En revanche, nous n’imaginions pas qu’il y aurait tant de sujets à développer. Nous sommes dans l’impossibilité d’ajouter un tome, notre seule latitude c’est de jouer sur la pagination. Pour palier à la frustration de ne pas avoir pu tout exposer dans le premier tome, rien n’empêcherait de revenir sur le passé de Hel à travers un album unique si l’envie est intacte à la fin de ce triptyque. Quant à l’issue, si nous en connaissons les grandes lignes, notre approche est opposée : Yannick est partisan de connaître la fin, mais moi qui dessine et réalise, je considère qu’il faut se ménager des surprises pour entretenir la motivation quotidienne. On ne sait jamais, de nouvelles idées peuvent surgir en cours de route et tout chambouler.   Qu’est-ce qui selon vous va vous demander le plus de travail ?   Parler de ce qui demandera le plus de travail c’est déjà révéler un peu le contenu : que la surprise soit laissée au lecteur des prochains tomes !