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CULTURE MANGA

28/01/2007 28 planches


Avec NonNonBâ de Shigeru Mizuki (éditions Cornélius), pour la première fois un manga a été sacré "meilleur album" à Angoulême. Cette distinction intervient à une époque où près d'une bande dessinée sur deux publiée en France est un manga. L'envie nous prenant de radioscoper ce domaine, nous nous sommes adressés à un spécialiste du genre : Fabien Tillon, journaliste à Phosphore et à BoDoï, qui vient de publier Culture Manga. Dans cet ouvrage richement illustré, l'auteur ne s'en tient pas à « initier » ceux que la bande dessinée japonaise intrigue. Son ambition est plus vaste, il se livre à une analyse de la place et de l'influence du manga sur l'histoire de l'Art au Japon et dans le monde.



Culture Manga - Fabien Tillon
« Culture manga » pointe notamment le fait que le manga, contrairement à ses homologues occidentaux, ne souffre pas d'un complexe d'infériorité par rapport aux autres arts. Une des hypothèses de ce "meilleur statut" tient au goût immémorial des Japonais pour le dessin, qui s'explique peut-être par le fait que l'écriture japonaise elle-même est dessinée : elle est donc à la fois à lire et à contempler, comme la bande dessinée peut l'être. Dans les cultures occidentales, l'Art officiel n'a longtemps éprouvé pour la bande dessinée que de l'ignorance ou, au mieux, de la dérision. Dans le cas du Pop Art, la référence à la BD est avant tout le moyen d'exprimer la futilité des choses ou de blâmer leur industrialisation. Au contraire, de nombreux artistes et plasticiens japonais, comme Takashi Murakami ou Akino Kondoh, voient dans le manga une sorte d'art idéal et un modèle esthétique, ce que Fabien Tillon analyse dans un chapitre consacré au « Mang'Art ».
 
Que de chemin parcouru, en quelques années à peine ! On se souvient que le manga, il y a quinze ans, était encore assimilé au seul registre de la pornographie ; il y a cinq ans, il était considéré sous le seul angle du shônen... le voici aujourd'hui exposé dans les galeries, et admis en tant que culture mondiale. Un parcours aussi fulgurant méritait bien un coup de projecteur !

Fabien Tillon, pourquoi cet intérêt particulier pour le manga ?
 
Ma formation initiale, c'est plutôt la BD franco-belge et le comics de super-héros américain. La franco-belge plutôt pendant l'enfance et les comics surtout durant l'adolescence. Je me suis remis à la franco-belge de manière intense depuis que je suis journaliste de BD, cela fait six ans. Je n'avais jamais touché au manga (dit comme ça, on dirait une drogue !!) avant que, par "obligation professionnelle", il y a quelques années, je commence à m'y intéresser. Le déclic est venu avec quelques lectures choc, comme la série Gantz ou MW de Tezuka. J'ai compris brusquement les enjeux narratifs du manga, la manière dont la BD japonaise traite le temps et l'espace, le temps très rapidement ou très lentement, et l'espace en privilégiant le personnage et le premier plan au détriment du décor et de la profondeur de champ. Après, j'ai approfondi cette conversion en étant fasciné par la fenêtre sur le Japon ( et même sur l'Asie en général) qu'offre le manga, sur sa culture, ses moeurs, son histoire. Le manga a été mon tremplin pour plonger dans la piscine de la culture nipponne, et depuis j'y fais des brasses...
 
La part éditoriale du manga n'a pas cessé de croître au cours des dernières années. A quel équilibre penses-tu que nous arriverons à terme sur le marché français ?
 
Il y a des peurs qui se font jour en ce moment, c'est un peu étrange. Peur d'un impérialisme de la BD japonaise, qui mangerait tout l'espace. J'ai le sentiment qu'il s'agit là d'un réflexe typique de notre modernité européenne, toujours un peu peureuse, un peu sur le qui-vive. Le manga représente actuellement 44 % des nouveautés annuelles en France, et c'est vrai sa part s'est accrue très vite malgré une récente décélération en 2006. Première question que cela pose : est-ce que cela bride par ailleurs la créativité sur le front de la franco-belge, est-ce que cela empêche des créateurs ou des éditeurs franco-belge d'exister ? Franchement, je ne le crois pas. Est-ce que cela détourne des lecteurs actuels d'un intérêt futur pour la BD franco-belge ? C'est difficile à dire dès maintenant, ou alors il faudrait jouer les Cassandre. Ce que je constate, c'est que :   1- jamais l'intérêt dans les années 60 à 80 pour les comics de 

super-héros américains et les petits formats (Swing, Akim, Zembla, etc) n'a été une vraie menace pour la BD franco-belge, qui a continué à développer ses traits propres : préférence marquée pour l'approche graphique, développement de la BD adulte et du roman graphique, des expériences novatrices, etc. C'est vrai que les comics de super-héros et les petits formats n'ont jamais autant vendu que les mangas aujourd'hui, mais peut-être est-ce aussi parce qu'à l'époque ces BD populaires étaient vraiment considérées comme la lie de la culture, alors qu'aujourd'hui le manga jouit d'une plus grande reconnaissance même si elle a été difficilement acquise.  
 
2 - l'apport d'une tradition étrangère a toujours été bénéfique à la BD européenne : Morris s'inspire de Walt Disney pour créer Lucky Luke, Goscinny se forme à son métier dans les ateliers de BD de New York, Moebius, Mézières, une grande partie de la génération "SF/Rock" des années 1970-80 a été nourrie aux graphismes de Kubert ou de Corben, Crumb est une influence déterminante pour la génération des auteurs indépendants actuels...  
 
3 - il y aurait des questions à se poser sur la forme prise par l'industrie de la BD, au niveau du prix des albums par exemple, au niveau des formats, mais aussi dans le domaine d'une certain "blocage" narratif, qui force les scénaristes - ou peut-être est-ce la faute des éditeurs ? - à placer leurs histoires sous le signe d'un genre unique : comique, polar, SF, HF, etc. L'une des grandes forces du manga vient de là : une grande liberté narrative et un mépris des enfermements dans un style, même lorsqu'on se place dans un moule créatif commercial. Tezuka, par exemple, passe facilement du comique au conte philosophique, au policier, au gore, à l'érotisme - et tout cela parfois dans la même scène, voire dans la même case ! Je recommande à cet égard Avaler la terre, que je suis en train de lire, et qui une nouvelle fois est remarquable. Il y a des leçons, notamment narratives (et pas tellement graphiques, finalement) à prendre dans la BD japonaise... Pour répondre autrement à la question, il me semble que l'une des raisons de l'inflation des titres actuels vient tout naturellement du fait que le public adulte s'y est mis aussi. L'offre (et la demande) de manga seinen ou de gekiga s'est fortement accrue ces dernières années, en plus de l'offre des shonen plus commerciaux, du type Naruto. Et c'est normal étant donné la richesse du patrimoine nippon. Lorsque nous aurons lu tous les chefs d'oeuvre au moins une fois, il y a fort à parier que l'offre sera moins dynamique ! Pour l'instant, nous sommes avides !!
 

Pour beaucoup, le terme "Manga" est une appellation d'origine, synonyme de "bande dessinée japonaise". La notion de "culture manga" que tu développes dans ton livre, veut au contraire montrer que le manga est une notion qui dépasse à la fois les frontières du Japon et le domaine de la bande dessinée... Peux-tu expliquer l'origine de cette réflexion ?
 
C'est une simple constatation : le manga est le coeur battant et le moteur d'une culture populaire qui dépasse allégrement les frontières de la seule bande dessinée (et les frontières nationales et culturelles par la même occasion). La "culture manga", comme je l'appelle, c'est originellement la bande dessinée qui l'a nourrie, mais il n'y a qu'à jeter un oeil sur notre monde pour voir tout ce qui brille autour et posséde son éclat propre. Le phénomène du Cosplay est à cet égard très intéressant : de nombreux cosplayers s'intéressent peu à la bande dessinée en tant que telle, voire pas du tout !... Nombre d'entre eux ne lisent pas de mangas, ne voient pas d'anime. Mais il y a un style, à la fois enfantin et sexy, théatral et moderniste, modeste et narcissique : le style créé par le manga.  
Ce style plaît, il y a quelque chose en lui qui parle à notre modernité, qui est en phase avec notre besoin de fête, de carnaval, de mélange entre réalité et fiction - mêlange fantasmatique dont les jeux vidéos sont une autre incarnation... Au festival Game in Paris, où l'association Clan Takeda avait eu la gentillesse de m'inviter, j'ai eu l'occasion de discuter avec deux filles faisant du cosplay. L'une était chimiste, et toutes deux ne lisaient pas de BD mais elles dépensaient pas mal d'argent et de temps à se fabriquer des costumes fabuleux, le week end... Nous sommes frustrés de rêve, de conquête des étoiles, de mythologies politiques et de lendemains qui chantent...  - Quoi de plus normal que les gens aient un besoin vital de rêver "concrètement" ?... Pour en revenir à la culture manga, il me semble qu'il s'agit là d'une mythologie populaire extrêmement puissante, qui signale dès à présent la place centrale que prend l'Asie dans la culture mondiale et qui est la seule mythologie populaire vraiment nouvelle et vraiment féconde de ce début de siècle. Ce qui change pas mal de perspectives pour le futur, y compris géopolitiquement, je crois. La culture populaire mondialisée sera beaucoup moins américaine dans ce siècle, c'est certain. Toute la question est de savoir qui saura imposer sa longueur d'avance : la créativité japonaise ou les gros rouleaux compresseurs chinois et indien ?
 
Les Humanos ont lancé en octobre 2006 Shogun Magazine, un magazine de "mangas français". Qu'en as-tu pensé ?
 
L'initiative est sympathique et donne un petit coup de fouet à la presse populaire BD, reprenant un peu la place perdue par les petits formats du passé. Mais je reste assez réservé. J'aime bien prendre comme exemple, généralement, celui du mouvement cinématographique qui a été appelé, assez piétrement d'ailleurs, le western-spaghetti. Il s'agissait bien d'une arrivée massive d'un art étranger, le western, en Italie, de l'après-guerre aux années 1960. L'arrivée du cinéma américain pouvait représenter une menace pour la création italienne, mais en réalité c'est le contraire qui s'est passé : cela a été une chance. Les Italiens se sont mis à introduire une grosse dose de culture européenne - le sens de la tragédie grecque, par exemple, ou la perversité sadienne, ou l'exigence graphique de notre tradition picturale -, dans la trame de la culture populaire américaine. Moralité : Leone, Corbucci, Damiani, Solima, etc. ont crée un style à part, loué aujourd'hui pour représenter l'une des apogées du cinéma de mise en scène, d'un certain cinéma baroque et puissant (surtout Leone).

 
C'est, ce que j'espère, ce qui devrait arriver au manga européen, pour qu'il puisse s'envoler vraiment. Pour l'instant, je trouve que l'on essaie simplement de singer le style de Tokyo, sans même se poser les questions que se posent au même moment les coréens et le chinois dans leur manwha et leur manhua : plus de couleur dans le manga, plus de dessin, un autre rapport au temps et au personnage ? Certains traits particuliers du manga devraient être conservés - les dynamiques expressionistes de la représentation des émotions, par exemple, et surtout la primauté donnée au scénario - mais on devrait les mélanger avec notre propre culture, nos thématiques, notre identité. Sinon, cela risque d'être peu intéressant. Pourquoi refaire, en moins bien, ce que les japonais font eux-mêmes excellemment ?




Quels sont les trois mangas édités en 2006 qu'il faut absolument découvrir ?
 
Je dirais le Best of Golgo 13 de Takao Saito (Glénat), qui est un classique policier qui dure depuis longtemps. Golgo 13 est un dur de dur, un tueur au service de qui veut bien le payer, un grand cynique et un grand solitaire aussi. Saito profite de son personnage pour évoquer de nombreuses questions politiques ou sociales importantes pour le Japon moderne. Un épisode que je recommande est celui où des militaires d'Okinawa fomentent un complot envers le gouvernement central et les troupes US en stationnement dans l'archipel. Cela en dit beaucoup sur l'ambiguité des relations entre les Etats-Unis et le Japon. 

J'en profite pour glisser que Le survivant du même Saito (actuellement publié chez Kanko) est une autre série remarquable.
 
Ensuite, au rayon fantastique-poétique, j'ai adoré les éditions de Shigeru Mizuki réalisées par les éditions Cornélius. Les bouquins sont superbes et Mizuki charme son lecteur avec ses histoires de diables et de fantômes typiquement nippons. 3, rue des Mystères, notamment, est très bon. J'attends la sortie en 2007 du classique de Mizuki, Kitaro.

Au rayon contemporain, je suis littéralement halluciné par la série Homunculus de Yamamoto (Tonkam), où un SDF, suite à une trépanation, commence à voir ce qu'il y a à l'intérieur des êtres, en quelque sorte la forme primale de leurs âmes. A la fois flippant, érotique, et profond.
 
Et puis il faudrait citer toutes les bonnes séries qui continuent, 20th century boys, Berserk, Gantz, Zipang... Sans compter les pépites de Tezuka, qu'on découvre toujours plus profondément... Ah, et un petit dernier, qu'il serait criminel d'oublier : Journal d'une disparition d'Azuma (Kana), qui montre avec un humour cruel l'envers du décor du métier de mangaka... Voilà : on avait dit trois mangas au maximum, mmmhh ?
 
 
Propos recueillis par Jérôme Briot
 
Dossier préparé par Stéphane Farinaud et Jérôme Briot