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DENIS BAJRAM

27/06/2006 28 planches

En ce mois de juin, Denis Bajram additionne les actualités : sortie de l'ultime album d'Universal War One, présentation de sa technique de conception d'une BD entièrement par ordinateur, et lancement de sa maison d'édition au sein du Groupe Soleil : Quadrant Solaire. L'occasion était trop belle pour passer à côté d'un tel sujet, BDGest' vous présente une interview et une expositions qui ne sont pas vraiment comme les autres.

Sur la proposition de Denis Bajram, nous avons tout d'abord posé nos questions à certains de ses proches avant que celui-ci n'y réponde et ne réagisse aux autres points de vue. Comme il l'a longuement développé dans d'autres interviews, Denis Bajram a entièrement réalisé son dernier album sur palette graphique. Fin mai, l'auteur d'Universal War One a ainsi présenté sa nouvelle méthode de travail au salon Adobe de la Villette (voir News du 31 mai). BDGest' et les éditions Soleil vous présentent le film de cette conférence.
 
La science et Universal War One
Avec la participation de Léo, dessinateur scénariste de la série Aldébaran.
 
BDGest' : la science pèse de façon importante dans votre oeuvre. Comment abordez-vous cette approche dans votre travail ? Cela implique-t-il des restrictions vis-à-vis du scénario, afin de rester crédible ? Comment un auteur perfectionniste ressent-il le risque de voir peut-être un jour réfutées les théories sur lesquelles il base son histoire ?  

Vidéo - Conférence Photoshop
Infographie et Bandes Dessinées
Fichier .MP4 - 24 Mo
Léo : Tout mon imaginaire est conditionné par la volonté d'être crédible. Ainsi, quand j'invente quelque chose, j'ai toujours la préoccupation d'avoir une explication plus ou moins plausible, même si elle ne sera pas abordée dans le récit.  
Je ne vois pas cela comme un frein à ma liberté d'inventer : par exemple, la capacité qu'ont mes vaisseaux de dépasser la vitesse de la lumière c'est une absurdité théorique, c'est vrai, mais la physique quantique est si complexe et déroutante (même Einstein n'a pas compris certains de ses postulats !), que c'est facile d'imaginer une "bizarrerie quantique" pour l'expliquer. Je peux me permettre donc d'inventer mes moteurs à propulsion ionique, ou à impulsion centrifuge, mes piles à fusion nucléaire froide : ce sont des engins difficiles à comprendre mais néanmoins crédibles. Comme les clés USB d'aujourd'hui !  
Je serais, par contre, incapable de faire croire à mon lecteur que mon personnage peut voler comme Superman, ou lever d'un seul bras une locomotive de 50 tonnes, car ça n'a pas de sens.  
Quant au risque de voir mes "théories" réfutées, mes histoires se passant d'ici plusieurs siècles, je serai déjà mort et enterré. Et puis, ce n'est que de la BD...   Denis Bajram : C'est marrant, je n'ai pas d'angoisse là-dessus parce que, comme Léo, je pense que je serai un peu mort quand mes assertions scientifiques seront totalement démontées. Il n'y a rien dans UW1, dans les limites de connaissances scientifiques que j'ai, que je ne pense pas totalement plausible. C'est un moyen pour moi d'être convaincu de ce que je raconte. Ceci dit par rapport à Léo, je trouverai une explication à Superman, et à ce moment je pourrais le raconter : finalement un mec peut voler, c'est sans doute faisable. Evidement j'aurais beaucoup de mal à faire "c'est parce qu'il est né sur une planète de la choucroute et la choucroute lévite". Ca je ne pourrais pas.  
Le but d'UW1 n'est pas de faire une fiction scientifique, c'est de faire une fiction logique. Je serai très embêté qu'on prenne en faute mon circuit logique de voyage dans le temps, que je dise que le temps n'est pas modifiable mais qu'il le soit. Ou que mes postulats sur des wormholes orientés dans l'espace soient démontés à terme. Parce que ce sont des trucs qui n'existent pas, j'ai complètement inventé ça : les wormholes sont normalement des trous ouverts dans tous les sens, or mon idée c'est qu'ils sont focalisés dans une seule direction : oui, ça n'existera sans doute jamais mais en même temps ce n'est pas plus aberrant que ça en physique.  
 
BDGest' : Vous utilisez la science comme un outil ou comme une motivation d'histoires à raconter ?  
 
Denis Bajram : C'est un contexte, comme la religion ou beaucoup d'autres choses. Quand je travaille j'ai beaucoup de mal à oublier ma culture scientifique, religieuse, politique etc... S'il y a tout ça dans UW1, c'est que c'est moi à 100%. C'est pour ça qu'on y parle peu de cuisine, par exemple, j'y suis d'une incompétence dangereuse. Si j'étais bon cuisinier, je pense que Kalish ferait des petits plats.  
 
BDGest' : Vous n'avez pas peur de tout mettre dans UW1 et de ne plus avoir à vous exprimer dans vos prochains albums ?  
 
Denis Bajram :  Il y a un gros problème dans UW1, c'est que je ne peux pas parler d'un tas de chose qui me passionnent ; ça limite quand même le champ. Par exemple à aucun moment on ne parle d'informatique sérieusement. Les gens qui me connaissent de près savent que je suis aussi développeur, et passionné de ça, j'aurai plein de choses à dire sur ce sujet. Ca ne s'y prêtait absolument pas, à tel point que dans UW1 il n'y a pas d'intelligence artificielle : de moi-même j'ai décidé qu'il y avait eu un moratoire sur ce terrain là et que l'informatique était figée au niveau actuel parce que les gens ne voulaient pas avoir d'intelligence artificielle en face d'eux. J'ai donc trouvé une explication au fait qu'il n'y avait pas eu de progrès informatique, mais je n'ai pas voulu l'intégrer dans les albums. Je ne vais pas tout justifier dans UW1, mais je ne peux pas m'empêcher d'y penser.  
Si un jour il y avait la "Bible" d'UW1 faite par quelqu'un, on aurait toutes les explications que j'ai trouvé à chaque fois que je me rendais compte que j'avais été absent ou léger sur un endroit.  
 
La Bande Dessinée, la fiction et le rapport à l'enfance
Avec la participation de Daniel et Marguerite-Marie Bajram, parents de l'auteur.  

BDGest'
: Une bonne partie de la Bande Dessinée contemporaine revendique son désir de distraction imaginaire. Les auteurs de BD sont-ils de grands enfants ?  
Daniel et Marguerite-Marie Bajram :  Si oui, les auteurs de BD seraient de grands enfants, comme de nombreux inventeurs, artistes, écrivains, ... peut-être qu'alors Léonard de Vinci, Jules Verne, ... et bien d'autres ne seraient que mythes. Si non, auteurs et lecteurs de BD ont les mêmes capacités à voyager dans l'imaginaire, ils sont dans la même cabine, les premiers aux manettes les seconds aux fauteuils, mais tous descendent à l'arrivée.  
 
Denis Bajram : j'ai beaucoup aimé ce que mon père a dit. J'ai senti que la question le gênait, il ne pense pas que l'imagination se limite à l'enfant, très clairement. L'imaginaire est quelque chose de totalement humain. A la limite les enfants ont peu d'imagination, c'est pour ça qu'on la nourrit beaucoup. J'irai même plus loin que lui : on parle toujours de l'imagination des enfants, mais c'est seulement à un âge où les enfants sont très réceptifs, ils absorbent tout en ne différenciant pas réalité, fiction, le raisonnable et l'absolument fou.  Arrivé à l'âge adulte, il commence à réaliser qu'il faut gagner sa vie... l'imaginaire se réduit mais pas sa capacité à imaginer. 

Dessin d'enfance
Quand on fait de la fiction, on revendique sa capacité à rejouer avec l'imaginaire. On mélange souvent trop imagination et imaginaire : l'imaginaire c'est extérieur.  
Quand j'étais gosse, j'étais "un garçon plein d'imagination" aurait-on dit, mais quand je regarde les BD que je faisais quand j'avais huit ans c'est du Goldorak. J'étais dans la phase d'imitation. L'imagination m'est venue à 20 ans quand, assis sur une certaine culture littéraire, BD, cinéma..., j'ai commencé à me rendre compte qu'il y avait des trous dans lesquels je pouvais prendre ma petite autonomie.  BDGest' : Pourquoi utiliser la fiction pour raconter des histoires ?  
 
Denis Bajram : En toute franchise, je comprends l'autobiographie "avec des tripes" à la Fabrice Neaud ; je comprends déjà moins l'autobiographie molle à la Joann Sfar - les carnets... - parce que bon oui il a une vie intéressante mais ma grand mère aussi ; et je ne comprends absolument pas le récit quotidien. Le récit du gars qui a fait la Guerre d'Espagne, oui... mais le récit "j'ai été au boulot ce matin", ça ne m'intéresse pas. Je vois ça autour de moi tout le temps et ça m'attriste parce que ce n'est pas super drôle de devoir se donner un coup de pied au cul le matin pour un boulot pas si passionnant que ça, il y a toute cette mode qui est montée en France. C'est marrant il y a un côté "Opus Dei" ! L'Opus Dei est pour la sanctification du quotidien, en France c'est exactement la même chose : cette tendance qui voudrait que toutes les vies un peu banales soient formidables. Ben non !  
Je fais de la fiction parce que je fais de la Science Fiction, de l'anticipation précisément. C'est à dire un genre de loupe grossissante sociale et politique, où on utilise une caricature de futur pour parler du présent. Je suis beaucoup moins concerné par la fiction d'aventure par exemple, ce que n'est pas UW1 même s'il y a de l'aventure dedans. J'ai un rapport à la fiction beaucoup plus chez Thomas More que chez Gulliver.  
 
BDGest' : Raconter des histoires se déroulant dans le quotidien, ça ne vous intéresse pas ?  
 
Denis Bajram : On pourrait retirer tout ce qui SF dans UW1, ça pourrait se passer en 39-45 dans les camps, oui. Ca serait un autre type de fiction... ceci dit, ça m'évite de devoir gérer la mémoire des camps, même si c'est un sujet qui m'a bouleversé. Je ne m'en sens pas la capacité. Il y a un projet où je vais devoir travailler sur le sujet et je trouve ça extrêmement délicat ; j'aurai trouvé de mauvais goût d'aller mélanger ça à de l'aventure. Ce n'est pas une critique vis à vis des autres, il y en a qui font ça très bien, c'est une position personnelle.  
 
Universal War One... suite et fin ?  
 
 
BDGest' : Vos lecteurs se posent de nombreuses questions sur le devenir du monde d'UW1...  
 
Denis Bajram : Franchement, UW1, c'est totalement fini. Je déteste ces gens qui ne savent pas où ils vont. Depuis le départ j'avais "ficelé mon gigot". Dans le dernier tome, il y a un cahier supplémentaire avec le schéma initial du scénario, avec des flèches et compagnie... il faut Bac+3 pour comprendre ce que j'ai voulu faire, mais ça donne une idée de la structuration initiale du projet. UW1 se suffit à soi-même, c'est "une oeuvre fermée" comme on dit. Elle n'est surtout pas ouverte, même si à la fin il y a une sorte d'ouverture...  
UW2 c'est la deuxième idée que j'ai eue quand j'ai pensé à UW1, il a fallu que je fasse des choix. Je peux l'enchaîner, ceci dit j'ai vraiment mis une energie tellement forte dans ce petit univers qu'il est temps que j'aille voir ailleurs. Je n'ai pas envie de devenir l'homme d'un seul travail. En plus, j'ai quand même vachement muri depuis 1998, et j'ai vraiment envie de faire autre chose à cause de ça.  
 
BDGest' : On peut savoir quels sont ces projets ?  
Denis Bajram : Ca commence à être un serpent de mer - ça fait un an et demi qu'on est dessus - mais il y a un "à quatre mains" avec Léo, si on y arrive. On est en train de faire le scénario à deux mains, et ça marche, mais il y a aussi le dessin et la couleur ensemble. C'est en tout cas ce qu'on veut faire ! On verra en librairie ce qu'on aura réussi (rires).  
 
BDGest' : Surtout que vous êtes passé depuis ce dernier album d'UW1 à la réalisation d'un album complet par ordinateur  
 
Denis Bajram : Justement ça va être plus facile, car Léo continuera de travailler sur planche et je pourrais intervenir sans qu'on aie de perte d'original. On va donc pouvoir faire des aller-retour plus facilement. On ne sait pas encore comment on va faire, mais on en a vraiment envie. On va trouver deux-trois solutions, mais l'informatique va plutôt nous faciliter la vie que nous la compliquer, parce que cette partie n'a rien de définitif ou de rédhibitoire. Alors qu'à la main, si tout d'un coup vous n'êtes plus d'accord sur un plan, il faut tout redessiner. Il y a bien la photocopieuse, mais ce n'est pas génial.  
Mais le premier projet qui sort, c'est certain, c'est "Trois christs", un collectif de 78 pages composé en trois parties : une dessinée par Christophe Bec, une par moi et une par Thierry Démarez, avec une préface et une postface dessinées par Fabrice Neaud, le tout sur un scénario de Valérie Mangin. C'est pour l'année prochaine.  
 
Quadrant Solaire
Avec la participation de Valérie Mangin, co-directrice éditoriale et scénariste.  
 
BDGest' : Vous êtes tous deux les co-directeurs de Quadrant Solaire, maison d'édition au sein du Groupe Soleil, pouvez-vous nous en dire plus ? Qui, quoi, comment et pourquoi ?  
 
Valérie Mangin : Qui, c'est Denis et moi-même. Quand : nos premiers albums sortent le 21 juin - le dernier tome d'UW1, le dernier tome du Fléau des Dieux, le premier tome de KGB que je réalise avec Malo Kerfriden. Pourquoi : pour un tas de raisons. La première c'est que l'on se sent en quelque sorte comme des spécimens en voie de disparition, en tant qu'auteurs de BD ; Denis a coutume de comparer la BD à un tissu qui serait tiré par trois mains : le manga, la BD de "supermarché" et la BD dite "indépendante". Les auteurs qui veulent faire autre chose, qui se situeraient par exemple dans la lignée de Christin sur "les phallanges de l'ordre noir" ou de "Valérian", ne savent plus trop où se situer là-dedans et risquent de se retrouver dans le trou qui ne va pas manquer de se creuser au centre de ce tissu après que tout le monde aura bien tiré de son côté. Ce que nous voudrions faire, c'est de rassembler ces auteurs - on considère nous-même être dans cette lignée - et leur offrir un espace où ils pourront créer en toute liberté et où ils trouveront la passion d'un éditeur pour répondre à toutes leurs envies.  

Valérin Magin
  
BDGest'
: Quelle sera votre ligne rédactionnelle ?  
 
Denis Bajram : la ligne rédactionnelle c'est "ce qu'on aime", c'est la seule qui soit fiable pour nous. C'est de faire confiance à nos goûts et à notre métier. On va clairement signer des projets qui nous emballent, et non parce qu'il s'agit de grandes signatures ou autre chose. On va les suivre jusqu'au bout, c'est même moi qui présente les albums aux représentants pour la diffusion. Il faut que cela soit des projets qu'on a envie de soutenir à 100% et sur lequels on aurait bien voulu pouvoir mettre notre nom.  
A partir de là, il n'y a pas de direction éditoriale claire puisqu'on ne sait pas où tout ça va nous emmener, mais on sait, quand on voit des bouquins, qu'il y en a qu'on a envie de publier et d'autre non. Après il y aura évidement les contingences économiques qui vont s'en mêler, mais on verra dans quelques temps ; on a la chance que tout ce qu'on fait marche très bien et assure un financement à peu près stable.  
  

BDGest' : D'ailleurs dans les trois premiers albums de Quadrant Solaire, deux sont dans des séries qui fonctionnent déjà par elles-mêmes.  
 
Denis Bajram : Elles se terminent. On a hésité - on en a beaucoup parlé avec le patron de Soleil - à replacer tout notre catalogue directement dans Quadrant Solaire. Mais tel qu'on le fait, cela nous donne le moyen d'affirmer une partie de ce que sera Quadrant Solaire, c'est une sorte de profession de foi. Les gens vont dire "ils vont faire du fantastique et de la SF" ; nous en faisons - Valérie et moi - parce qu'on n'a pas le temps de faire d'autres trucs qu'on aime. Ca va sans doute s'ouvrir, on ne peut pas encore en parler, mais il y a deux-trois auteurs avec qui nous commençons à travailler, qui font des choses très différentes de ce que nous faisons mais que l'on considère comme appartenant à cette école "Bande Dessinée d'auteur grand public".  
 
BDGest' : Serez-vous à l'initiative de projets ou préférez-vous recevoir des idées extérieures ?  
 
Valérie Mangin : Le but est de publier des BD grand public, mais avant tout des BD d'auteurs. Il faut que ce soient des projets que les gens portent en eux et qu'ils veulent présenter au public pour défendre leurs idées sur la création et la Bande Dessinée. Ca n'aurait pas vraiment de sens que l'on monte des projets puisque ça reviendrait à ce que nous faisons en tant qu'auteurs.  
  Ces auteurs qui prennent des responsabilités éditoriales
Avec la participation de Jean Wacquet, Directeur éditorial chez Soleil et ancien scénariste.
  
 
BDGest' : autrefois, de nombreux scénaristes de BD étaient en même temps rédacteurs en chef des magazines (qui étaient les principaux supports du 9e Art). Les magazines n'existent pratiquement plus alors que les histoires sont de plus en plus nombreuses. On retrouve aujourd'hui de plus en plus de scénaristes comme Directeurs de Collection (vous-même devenez éditeur comme nous venons de le voir). Comment expliquez-vous cette importance des scénaristes dans les choix éditoriaux ?  
 
Jean Wacquet : Le petit monde de la BD est bien mal fait : les libraires veulent être éditeurs, les scénaristes aussi, et les directeurs éditoriaux rêvent à la création !!  
Pour ma part, je suis passé par la phase écriture il y a déjà assez longtemps, la première expérience remontant il y a plus de 15 ans. J'ai renoncé depuis pour me consacrer à l'édition, et à ce que j'aime le plus : imaginer des concepts, mettre en branle des projets, organiser des mariages entre auteurs etc.  

C'est très difficile d'être juge et partie.  
Mais il ne me semble pas incohérent que des scénaristes occupent des postes éditoriaux (c'est aussi le cas aux USA avec Quesada chez Marvel et Levitz chez DC et je ne parle pas de Stan Lee, Infantino, Shooter et autres il y a quelques années) puisqu'ils sont passés par la phase écriture qui leur a permis souvent de comprendre la mécanique de la création d'une planche, d'un projet, et qui les a aussi familiarisés avec la personnalité souvent complexe des dessinateurs.  
Ils ont conscience de la difficulté de mener un album à son terme et des conditions d'existence souvent difficiles des auteurs.  
Je pense que pour travailler dans ce domaine en tant qu'éditeur, avoir la fibre auteur et un vrai plus. Même si cela signifie aussi qu'on est un peu plus vulnérable que d'autres, plus sensibles. Car ce milieu, ce métier, n'est pas toujours un long fleuve tranquille.   Denis Bajram : Jean Wacquet, c'est le cas typique du gars qui a tout fait dans la Bande Dessinée, à part dessiner : il a été scénariste, il a été libraire, il est maintenant éditeur... il représente bien cette espèce mixité de l'envie "d'en être". Et souvent les scénaristes sont des gens qui ne peuvent pas dessiner, comme l'avait dit de façon très maladroite Boucq "des moignons d'auteurs" - oubliant lui-même que quand il est avec un scénariste, il devient un "moignon d'auteur" - les scénaristes sont là pour participer à la création des albums. Finalement, ce n'est pas si incohérent de participer en écrivant l'histoire ou en aidant les autres à les écrire et en les publiant. Ca vient de la même envie.  
Au fond de lui, le scénariste a une sorte de drame permanent, c'est qu'il voudrait bien faire des albums tout seul... au moins une fois (après il verra que c'est du boulot - rires).  
Le dessinateur, il est là pour le dessin, il est dans l'évidence visible de la Bande Dessinée, on ne voit que lui à la fin, même si ce sont sans doute les histoires qui font les plus grands succès ; il participe avec une fonction très simple et beaucoup plus clairement définie.  
Je pense que c'est pour ça qu'il y d'un côté cet espèce de mélange des genres scénariste, libraire, éditeur, et de l'autre, au contraire, LE statut des dessinateurs de BD.  
Après, il y a l'hypertrophie générale - ça c'est moi - dessinateur, scénariste, maintenant éditeur... je n'ai pas été libraire mais j'y pense (rires). Non, je n'ai vraiment pas le temps, c'est un boulot très dur. Dans l'absolu, je voudrais bien pouvoir imprimer les bouquins, les diffuser moi-même, être derrière chaque comptoir pour dire aux gens : "lisez-ça !". C'est une envie d'être partout.  
 
BDGest' : C'est avoir la maîtrise complète de l'album ?  
 
Denis Bajram : Pas la maîtrise... Pouvoir être sûr que le dernier des lecteurs à Pétaouchnock ait en face de lui un mec qui aime autant mes bouquins que ce que j'aimerais qu'on les aime, même si je suis celui qui les aime les moins parce que c'est très dur de vivre avec sa création. J'ai envie que tout le monde aime mes albums parce je ne les aime pas, voilà. Je pense que devenir éditeur participe inévitablement à ça : cette espèce de passion à tous les étages.  
 
La crise dans la Bande Dessinée

Avec la participation de Frédéric Ronsse de la librairie "Brüsel".  
 

BDGest' : Depuis plusieurs années, une nouvelle crise de la BD est annoncée sans voir le jour. On remarque cependant une tendance inquiétante ces derniers mois : fermeture de librairies, ventes des petits tirages en baisse, concurrence et rapprochements intensifiés entre éditeurs. Quelle est votre analyse sur ces phénomènes ?  

Frédéric Ronsse : Je pense que c'est un phénomène normal et certainement prévisible pour ceux qui ont connaissance du terrain.  

Vidéo  
Dédicace sur ordinateur - RTL
Fichier .mov  - 10Mo
En effet, il y a 30 ans le commerce de la bande dessinée était à l'état embryonnaire, et personne n'aurait imaginé la suite avec plusieurs milliers de nouveaux titres chaque année. En résumé, nous sommes passé de l'âge de pierre à l'industrie en une génération. La professionnalisation verticale de la "chaîne"  de la B.D. (de l'édition aux points de vente en passant par la distribution) est venue du haut. Plus les éditeurs ont perfectionné leurs structures d'édition et de commercialisation, plus les distributeurs (Hachette, etc...) ont amélioré leurs outils de stockage et de distribution, moins les libraires sont parvenus à digérer le flux énorme et constant des nouveautés (difficultés financières à assumer le surplus de stock, à assurer une rotation, bref à gérer une croissance qui les obligeait eux-mêmes à abandonner très vite leur fonctionnement artisanal).   Résultat : actuellement ce sont les libraires qui sont passé à la gestion informatique de leur stock et de leurs finances ce qui a déclenché un flux qui désormais ne descend plus mais remonte cette "chaîne verticale". En gros les points de vente n'absorbent plus les surplus de stock ni en termes de place (!), ni financièrement. En gros les éditeurs sont confrontés à la réalité et non plus à leurs projections qui sont basées sur la souplesse du "marché". Il n'y a plus de place pour la "souplesse" pour personne.  
Et cette nouvelle donne va obliger les éditeurs à devenir plus attentifs au terrain et donc à descendre de leur tour d'ivoire pour proposer un "new deal" qui, je l'espère détendra cette relation qui est devenue en un peu moins de 10 ans aussi rigide qu'un dialogue entre deux ordinateurs.  
En conclusion, nous sommes en train de passer à l'âge adulte et, donc, de perdre nos rêves d'enfant... mais il ne faut pas balancer le bébé avec l'eau du bain !  
 
Denis Bajram : Frédéric a parfaitement raison, on est dans une crise de croissance. Il n'a pas dit le mot mais finalement c'est ça. On s'en est payé une belle à la fin des années 80, on s'en repaye une là... il va falloir la faire parce qu'il y a un effet "bulle" dans la croissance, comme pour la" bulle Internet" qui a éclaté en 2001. Une bulle de croissance est constituée de beaucoup d'emballement inutile, d'ajout des choses aux choses pour rien. On est clairement dans un moment où il y en a beaucoup trop.  
Je rajouterai qu'il y a aussi une responsabilité du côté des auteurs : je pense qu'il y a des gens - dans l'euphorie - qui ont fait des bouquins "comme ça". Quand je suis rentré dans le métier par le fanzine, il y a vingt ans, les places étaient chères et les auteurs se battaient pour y arriver. Il y avait une sorte d'émulation, il fallait faire quelque chose de pertinent pour y arriver. Depuis dix ans, on est un peu dans le genre "oh tu veux faire de la BD ? C'est cool, tiens voilà un contrat, coco". On se retrouve avec des gens qui n'ont pas réalisé la chance énorme qu'ils avaient et qui font des bouquins moyens. Quand on leur dit "tes couleurs sont pas terribles", ils répondent "ouais, mais c'est pas grave...".  
J'ai utilisé le mot passion tout à l'heure : je pense sincèrement que le manque de passion de pas mal d'auteurs a sa part de responsabilité dans cette crise. Evidement les éditeurs et les libraires portent eux aussi une grosse part de responsabilité en ayant laisser s'emballer la machine.  
Globalement, on va sans doute traverser une pédiode très dure, particulièrement pour les auteurs parce que ce seront eux qu'on ne signera pas. Le seul truc qui me rend vraiment malheureux dans tout ça - au delà de n'être pas très content pour tous ces gens dont la vie va être difficile - c'est que ça va certainement donner un très mauvais coup à la partie la plus sérieuse de l'édition indépendante. Je crains pour des auteurs très pointus qui ne sont pas passés avec armes et bagages chez le mammouth Dargaud, qu'ils soient victimes de ça alors que, eux, ont fait leur boulot avec passion et honnêteté.  
 
BDGest' : En dehors de toute considération économique, allez-vous, au niveau de Quadrant Solaire, limiter le développement de votre catalogue ?  
 
Denis Bajram : On ne pourra pas se passionner pour plus de dix-douze bouquins par an. Déjà on en aura chacun quatre ou cinq qui nous seront directement rattachés, mais c'est fou de croire qu'on peut mener avec passion jusqu'au bout plus de projets que ça. Donc de fait, cette envie de rester dans la passion va nous limiter.  
Ce qui est drôle, c'est que si on ne signe que quatre projets cette année et qu'on mène ces choses passionnantes à bout, cela va donner des envies à d'autres auteurs, et il y aura plus de monde à nous proposer des albums géniaux. On sait donc déjà que si nous travaillons sérieusement, on devra dire "non" à des supers projets  parce qu'on ne peut pas démultiplier sans fin son temps et sa passion ! En gros , si Quadrant Solaire réussi à rendre sa fierté à la "BD grand public d'auteur", ce sera sans doute d'autres éditeurs que Valérie et moi qui en tireront le plus de profit économique ! N'est-ce pas amusant ? Propos recueillis par Christophe Steffan

Informations sur l'album

Universal War One
6. Le patriarche

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