J
eanine se souvient... Son enfance en Algérie, pas toujours facile, mais plutôt heureuse avant le traumatisme des événements de 1962, quand, jeune femme, elle participe à la manifestation du 26 mars réprimée dans le sang. Son père, italien, qui veille sur elle comme sur la prunelle de ses yeux, et qui se faisant la protège autant qu’il la rend vulnérable. Son rapport excessif à la natation, besoin viscéral qui opère comme pour combler un manque indéfini. Son installation en Europe, et, peu de temps après, cette voiture qui s’arrête à sa hauteur alors qu’elle rentre du travail, et cet homme qui lui demande « c’est combien ? ». Pas de bascule dans le glauque et le sordide, même si tout n’est pas joyeux, mais un beau portrait de femme.
L’auteur, Matthias Picard, est étudiant à l’école des Arts-Déco de Strasbourg lorsqu’il rencontre Jeanine, une voisine qui va devenir l’objet de son premier album de bande dessinée (pré-publié dans Lapin, l’irrégulier périodique de L’Association). Le pourquoi, le comment de cette rencontre, ce n’est pas là le propos. Le propos, c’est comment rendre la singularité de cette existence somme toute assez commune. Pour ce faire, Matthias Picard prend le parti de laisser parler Jeanine, de se placer en passeur. Et elle parle, elle parle, heureuse comme toute personne d’un certain âge à qui il est donné l’occasion de faire revivre un passé envolé. Ainsi, petit-à-petit, le puzzle de sa vie réinterprétée prend forme. La part du réel se confond souvent avec la part du fabulé, mais il n’y a aucune duplicité là-dedans, il ne faut pas chercher de la malice là où il n'y a que de l’innocence. Comme l’auteur, le lecteur s’y perd un peu, mais se faisant, c’est tout bonnement le personnage de Jeanine qui émerge. Une sacrée bonne femme, dotée de la force de caractère de ceux qui ont des convictions, capable d’une empathie profonde et désintéressée. Jeanine a aujourd’hui bientôt soixante-dix ans et se prostitue pour vivre. Elle ne s’en plaint pas, c’est ainsi, mais si c’était à refaire, elle ne reprendrait sans doute pas le même chemin.
Matthias Picard opère à mi-chemin entre le travail d'Etienne Davodeau dans Rural et Les mauvaises gens pour sa faculté à écouter l’autre, et celui d’Emmanuel Guibert dans La guerre d’Alan en ce sens qu’il décrypte un être humain à travers l’histoire de sa vie. Son dessin, au feutre noir à épaisseur variable, s’adapte à l’atmosphère de ce qui est raconté, restituant avec finesse les détails qui donnent sa beauté à l’insignifiant, plongeant parfois dans la profonde noirceur de la nuit, terre de divagation. Il y a du Baudoin dans le rendu, du Lucas Méthé dans le trait. Le découpage suit les échanges entre l’auteur et son sujet, permettant ainsi d’observer l’évolution de leurs échanges qui glissent au fil du temps vers une plus grande complicité, sans que, pour autant, le décalage entre les deux cultures, les deux générations, ne se réduise franchement. En témoigne l’épilogue qui, a lui seul, pourrait résumer le long échange qui a précédé, mais qui, pris à part, perdrait tout son sens.
Attention, ne loupez pas ce très bel album teinté d'humanisme et non dénué d'humour. Jeanine, dans une sortie qui la caractérise bien, le dit : « ça deviendra un best-seller ». Comment ne pas la croire, c’est une voyante qui lui a dit !
Matthias Picard nous livre sa première oeuvre et je dois dire quelle réussite ! C'est basé sur la rencontre avec sa voisine qui est une prostituée d'une soixantaine d'année. Ils habitent dans la capitale européenne à savoir la bonne ville de Strasbourg. Elle lui raconte sa vie qui est plutôt passionnante. Il en fait sa première bd.
Jeanine a grandi en Algérie. Elle a été confronté à la guerre et à des massacres perpétrés par l'armée française. Elle a dû fuir ce pays. Rien ne la prédestinait à une carrière de femme de joie. Il y aura bien sûr beaucoup de péripéties dans cette vie qui va la conduire en Suisse, puis dans une prison en Allemagne avant d'avoir le titre de plus grande prostituée de Strasbourg où elle exercera. Du coup, elle fera dans le mouvement de reconnaissance du plus vieux métier du monde avec pour adversaire une certaine Ulla.
C'est un bel album qui retrace avec tendresse le portrait réaliste d'une femme qui s'est battue pour sa condition et qui mérite en tant que telle le respect. Malgré des épisodes douloureux, il y aura des pointes d'humour pour alléger la lecture. L'authenticité sera présente si bien que l'on aura l'impression d'avoir Jeanine en face de nous. En conclusion , je dirai que c'est un beau parcours de vie d'une femme extraordinaire qui mérite que l'on s'y attarde. Une bd profonde et prenante qui est une belle découverte.
tres belle découverte, coup de coeur pour cette histoire "mythonnée" avec tendresse et une certaine innocence.
Mathias Picard nous livre l'histoire d'une voisine, prosituée, une vie peu commune, mis à part ce sentiment de tendresse pour cette femme que l'on perçoit à travers cette histoire, il prend suffisament de recul pour laisser parler Jeannine. Du coup on a l'impression qu'elle est là devant nous et que c'est à nous qu'elle raconte son histoire. Ce n'est pas Mathias qui raconte mais bien jeanine, j'apprécie de le voir douter en meme temps que nous sur certains éléments, cela créé une espèce de connivence entre l'auteur et le lecteur.
une formidable lecture que je recommande