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BDGest'Arts - Le palmarès 2016

Les lecteurs de BDGest ont rendu leur verdict : Shangri-La de Mathieu Bablet (Ankama) est l’album de bande dessinée qu’il faut avoir lu en 2016 ! Ce voyage dans l’espace surnage parmi les 4.000 nouveautés qui ont été proposées au cours de l’année aux amateurs de BD (source : Rapport Ratier).

Mais ce vote – qui a mobilisé plus de 2.400 participants, soit + 4 % par rapport à l’édition 2015 – ne s’est pas contenté de mettre en lumière un seul livre. Par rapport aux treize éditions précédentes, les catégories avaient été revues. Désormais, au côté d’un titre « Récit court Europe (one shot ou dyptique) », sont distinguées des œuvres remarquables issues d’Asie ou des pays anglo-saxons.

Si les mangas représentent une fraction significative de l’offre depuis plusieurs années, l’installation des comics dans le paysage est plus récente. Voir les fleurons franco-belges – les plus prisés par une majorité de BDGestistes – éclipser les plus beaux représentants venus d’ailleurs dans les sélections relevait du non-sens et, a minima, du décalage avec ce qui est proposé dans nos librairies.

De fait, le nombre de suffrages enregistrés pour la catégorie Asie représente la moitié des voix recueillies pour les Comics, mais Au cœur de Fukushima (Kana) mérite la même attention que Lazarus (Glénat). L’objectif des BDGest’Art demeure d’éveiller la curiosité : pour ceux qui ne l’auraient pas encore fait, se pencher sur ces deux livres, c’est s’ouvrir à des genres et des styles très différents ; la récompense vaut la démarche.

Enfin, une catégorie « Série – Europe » soulignant la qualité d’un récit présenté en au moins trois tomes, en cours ou achevé, a été ajoutée. Nos lecteurs ont distingué L’Assassin qu’elle Mérite (Vents d’Ouest) et sa conclusion publiée.

Les sélections « Album Jeunesse », « Premier album » et « Couverture » sont, elles, maintenues.

Meilleur récit court Europe

Déjà remarqué avec La belle mort et Adrastée, Mathieu Bablet signe avec Shangri-La (Ankama) un album aussi accompli qu’ambitieux. La Science-Fiction ne nous parle jamais aussi directement que lorsque le récit qui en utilise les codes invite à projeter des préoccupations et des sujets contemporains pour les extrapoler, caresser certaines utopies et, souvent, tirer quelques sonnettes d’alarme. Tout au long de ce livre grand format, à la généreuse pagination (plus de deux cent planches) – sans pour autant être hors de prix -, le jeune auteur réunit tous ces ingrédients en plaçant son personnage principal dans un environnement fait d’ouvrages à l’architecture fréquemment monumentale ou, à l’opposé, de vide cosmique. Ce troisième album souligne qu’il existe un « style Bablet » qui, à en juger par la composition de certaines cases géantes lorsque le récit l’exige, s’exprime d’autant mieux qu’il dispose… d’espace.

Son dauphin de vote constitue une forme d’antithèse de Shangri-La. Pas d’anticipation mais une empreinte rétro, ancrée sur le plancher des vaches, imposant un design qu’on jurerait hérité des trente glorieuses, et pourtant L’été Diabolik (Dargaud) est tout aussi savoureux. Cette histoire d’espions déclinée en deux époques réussit à tenir en haleine en usant de fausses pistes et en empilant aussi consciencieusement qu’habilement les questions posées jusqu’à un dénouement final cohérent et convaincant. Ici aussi, le livre est copieux, ce qui donne à Alexandre Clérisse l’occasion de composer un récital graphique « stylé », savoureusement flashy et, on le jurerait, aussi judicieusement référencé que le script. Mais comme pour Souvenirs de l’âge de l’atome (Dargaud) des deux mêmes compères, la création pure l’emporte sur le simple hommage inspiré.

Meilleure série Europe

Nouvelle venue dans les BDGest’Art, la catégorie « Meilleure Série Europe » est celle qui a rassemblé le plus de votants. Est-ce à dire que les lecteurs sont plus à même de voter pour une histoire étalée sur quelques albums ? Qu’une relation privilégiée s’est installée au fil du temps avec des personnages que l’on prend plaisir à retrouver à intervalles réguliers ? Sans doute. Mais rien pourtant ne laissait envisager le superbe mano a mano que nous ont offert les deux premiers, sans oublier le troisième qui pointe à seulement quelques longueurs du duo de tête.

Dire que L’assassin qu’elle mérite (Vents d’Ouest) et De Cape et de crocs (Delcourt) se tiennent dans un mouchoir de poche est un doux euphémisme. Trois voix d’écart, sur les 2427 suffrages exprimés, séparent deux séries qui ont au moins un point commun, celui d’avoir proposé un final – et quel final ! – en 2016. C’est donc avec un brin de nostalgie que nous prenons congés de Victor issu de l’imagination de Wilfrid Lupano qui, non content de manipuler son héros, parvient à manipuler également ses lecteurs jusqu’à la dernière page, le tout brillamment mis en images par Yannick Corboz. Mais que dire alors des personnages animaliers anthropomorphes de De Cape et de crocs qui ont régalé pendant plus de vingt ans – et douze albums - des fans toujours plus nombreux ? Parler de cette série comme d’un classique alors même que le dernier volet vient à peine de voir le jour est sans doute l’argument qui résume à lui seul un tel engouement. Dialogues savoureux, découpages aiguisés, compositions foisonnantes… Les qualificatifs manquent pour souligner le magnifique travail réalisé par Jean-Luc Masbou et Alain Ayroles.

Sur la dernière marche du podium souffle un vent de fraîcheur avec un brin de nostalgie. Les quinquas replongeront avec délectation dans Les beaux Étés (Dargaud) de Zidrou et Jordi Lefebvre, notamment, dans le deuxième tome, sur l’autoroute des vacances lors d’une année qui fut à la fois érotique et lunaire. Comme le précise la chronique, « Le bonheur peut se raconter », et ça fait un bien fou.

Meilleur Comics

La partie a opposé deux séries imaginées par des valeurs sûres en matière de scénarios d’anticipation ou de science-fiction. Et, comme il se doit, tous deux savent concevoir des modèles de sociétés qui interpellent et des univers atypiques. Avec Lazarus (Glénat), Greg Rucka aborde les questions de manipulations en tous genres, qu’elles soient génétiques, politiques ou même larvées à l’intérieur de la cellule familiale. Ajoutez une héroïne dure au mal et charismatique, une bonne dose d’action et… il restera toujours matière à se relever pour découvrir d’autres éléments.

Son suivant évolue dans l’espace, au milieu de mondes lointains peuplés de races variées et de machines absurdes, dans lequel un couple choisit de s’unir et de donner naissance à un métisse. Le Saga (Urban comics) de Brian K. Vaughan n’est pas qu’un hymne à la tolérance ; il y est question de guerre, de terrorisme et la violence y est présente, le verbe parfois cru et les relations sans manières superflues.

Bien entendu, ces deux feuilletons ne valent pas que par leur script, Michael Lark et Fiona Staples, dans des styles radicalement différents marquent de leur empreinte, sombre ou bigarrée selon le cas, ces récits qui n’oublient jamais d’être de remarquables divertissements.

Meilleur Manga

Deux titres très différents se sont placés au-dessus de la mêlée au cours du vote public et Au cœur de Fukushima l’a emporté d’une poignée de voix. Kazuto Tatsuta offre une vision de l’intérieur de l’après-catastrophe en rapportant son expérience d’employé sur le site nucléaire. D’une précision exemplaire, tant graphique que testimonial, le récit du mangaka conserve une neutralité absolue qui facilite la découverte des coulisses. Le ton peut sembler alors parfois sec tant il est technique et précis mais l’absence de militantisme ou d’emphase qui déformerait les faits joue en sa faveur.

Son adversaire de la quinzaine boxe dans une toute autre catégorie : One-punch man mise sur l’action en continu, l’humour bruyant et le délire ambiant. Les oppositions entre l’ancien lycéen banal devenu combattant à la force démesurée et des créatures vraiment hors norme constituent le socle de la série née sur le web et signée Yūsuke Murata. Mais la galerie de personnages annexes est fournie et quelques intrigues secondaires naissantes sont d'autres atouts pour ce titre moins sérieux que le précédent. Une sorte de jeune cousin nippon pour Deadpool ?

Meilleur premier album

Les deux titres ayant rallié le plus de fans sont signés par des jeunes auteurs, tant sur la partie scénario que dessin. Cette année, cerise sur le gâteau, point de jeune pousse recevant l’appui d’un vieux routier de la BD pour le cornaquer !

La révélation préférée 2016, c’est La tristesse de l’éléphant (Les enfants rouges). Touchante histoire de rencontre se muant en histoire d’amour, cet album est une réussite absolue en matière de partage et de transmission d’émotions que ce soit dans le ton employé, l’exposé des sentiments ou la représentation graphique. Si l’épure et la simplicité constituent une finalité, alors cette Tristesse les tutoie avec une élégance rare.

Autre « chouchou », Morgane (Delcourt). Reprenons la chronique publiée sur le site : «( … ) archétype de la femme libre, fière d’elle-même … et donc forcément dangereuse (…) qui a haï autant qu’elle a aimé (…) », Morgane a marqué les mémoires par sa part d’ombre. Cette complexité transparait au fil des pages portées par « ce trait, par cette simplification minimaliste des formes, par cette couleur anachronique qui - aux travers de belles fulgurances - est un hommage à Gustav Klint, à Mary Blair ou à Eyvind Earle. ». Un coup de maîtres.

Meilleur album jeunesse

Les séries avaient pris l’habitude de truster les premières places de la catégorie. Pour la deuxième année consécutive, la tendance est plutôt aux one-shots, même si on pourra toujours ergoter sur la véritable nature de l’album qui occupe la première marche du podium. Quels que soient les avis, dithyrambiques ou malveillants, qui ont accompagné le retour de Mickey (Glénat) dans les bacs en 2016, une chose est sûre, il aura marqué les esprits. Parmi les quatre histoires proposées cette année, celle de Tebo est sans doute celle qui est le plus orientée "jeunesse", le titre de l'album est d'ailleurs évocateur. C'est dans un costume de grand-père que Mickey prend le lecteur par la main en lui narrant ses aventures et traversant par la même occasion un grand pan de l'Histoire américaine : la ruée vers l'or, la première guerre mondiale, la conquête spatiale... Dynamisme, vivacité, sens du mouvement caractérisent le style de l'auteur de Captain Biceps. Une vraie réussite et sans doute aussi une porte d'entrée pour découvrir les trois autres albums de la collection déjà disponibles.

Que les parents connaissant un tant soit peu la bibliographie de Winshluss se rassurent, Dans la forêt sombre et mystérieuse (Gallimard) est un vrai récit pour enfants. Même si l’auteur laisse, comme dans ses précédentes publications, libre cours à son imagination fertile, il est beaucoup plus sage que dans Pinocchio ou In God we trust. Les aventures d’Angelo, oublié sur une aire d’autoroute par des parents tête en l’air, regorgent de trouvailles qui font de cet album un véritable réceptacle d’idées plus ou moins farfelues provenant en grande partie de contes populaires, de ceux de Lewis Carroll ou de Charles Perrault. Dire que le dessin s’adapte aux différentes ambiances grâce à l’utilisation de techniques aussi variées que le feutre et l’aquarelle finit de convaincre que cet ouvrage est l’un des bijoux de l’année écoulée.

Une série ? Il en fallait une et ce sont Les Spectaculaires (Rue de Sèvres) qui s’y collent en offrant une première aventure enthousiasmante. Dans des ambiances très steampunk, quatre compères, au grand cœur mais aux talents incertains, sont recrutés pour sauver le monde, tout simplement. Aucun coup de mou dans le scénario concocté par Régis Hautière, aucun bémol dans le très joli travail d’Arnaud Poitevin. Vivement la suite.

Meilleure couverture

Comment expliquer le raz de marée provoqué par la couverture de Lucky Luke (Vu par…) (Lucky Comics) réalisée par Mathieu Bonhomme ? Il y a bien sûr l’utilisation d’une icône du 9ème Art mais il n’est pas certain que celle commise par Guillaume Bouzard emporte autant de suffrages. Non, l’intérêt est ailleurs. Sans doute dans l’utilisation d’une contre-plongée efficace présentant le héros de Morris dans une posture inquiétante, de trois quart, la main proche de son révolver, prêt à dégainer. L’éclair qui éclate au-dessus de sa tête dévoile à peine son visage sombre. La seule lumière est portée sur le titre, qui claque presque comme un sacrilège : tuer Lucky Luke ? Vite, ouvrons l’album.

Sur la deuxième marche figure une couverture qui aura sans aucun doute contribué au succès public de Shangri-La (Ankama). En termes d’épure et de sobriété, il est difficile de faire beaucoup mieux : un homme en scaphandre perdu au milieu de l’espace, une tâche de lumière, un bleu profond. Chacun pourra y voir une interprétation suivant sa sensibilité : la solitude, la place de l’Homme dans l’univers, la conquête spatiale… Et l'envie de fredonner "Ground Control to Major Tom / Ground Control to Major Tom / Take your protein pills and put your helmet on (...)" vient...

Ce sont deux ex-aequo qui se retrouvent à l’étroit sur la troisième marche, ce sont aussi deux couvertures qui auront marqué cette année 2016, tant elles ont su attirer irrésistiblement le regard. Il s’agit tout d’abord de celle de Confessions d’un enragé (Glénat). Nicolas Otéro y présente un chat anthropomorphe, tatoué, inquiétant, mains dans les poches, le regard aussi vert que glacial. Comment résister à la tentation de découvrir son histoire ? La deuxième est le résultat d’une belle histoire. En 2011, Fabien Vehlmann et les Kerascoët réalisent le premier tome de Voyage en Satanie aux éditions Dargaud. Après le succès de Jolies Ténèbres des mêmes auteurs, nul doute que ce nouveau diptyque allait connaître le même chemin. Hélas, comme on dit poliment dans ce genre de situations, le premier tome, à la couverture un peu tristounette, peine à rencontrer son public et la série est abandonnée. Elle est finalement reprise en 2016 par les éditions Soleil sous forme d’intégrale. Pour l’occasion, les Kerascoët osent une couverture éclatante, inquiétante et organique. Perdue au milieu de vaisseaux sanguins, entourée de créatures inquiétantes, posée sur une main ouverte prête à se refermer, une jeune fille pose. Cette fois, l’invitation à la lecture est trop forte pour résister.

Le prix du Jury

Le Jury a souhaité distinguer un album et une « initiative ».

Comme le personnage de Nejib, le Jury a choisi de mettre en lumière une œuvre « éclairante », Stupor mundi (Gallimard), en la portant à la connaissance du plus grand nombre. La forme est aussi rigoureuse que faussement simpliste, le discours (savoureux dialogues) diffuse son savoir sans jamais donner l’impression de l’imposer, les seconds rôles délivrent également leurs messages de manière audible et il n’y a qu’un élément qui soit maltraité : l’obscurantisme de tout poil.




En ce qui concerne l’initiative, les membres du jury souligne la démarche du label 619. Cette collection d’Ankama « réunit une sélection de B.D. et d’ouvrages inspirés des univers contemporains, pops et modernes, sans aucune contrainte de format ni de style pour l’auteur ». Depuis une dizaine d’année, elle a offert de jolies découvertes telles que Freaks'squeele, Mutafukaz, The Grocery ou encore le collectif régulier DoggyBags.

Rappelons que le prix public Récit court Europe a été attribué à Shangri-la de Matthieu Bablet, publié sous l’étiquette Label 619. Quand les élans d’enthousiasme sont cohérents…

Le prix des chroniqueurs

L’espace étant déjà à l’honneur, les chroniqueurs de BDGest ont choisi de répondre à l’appel du grand large avec Le port des marins perdus (Glénat). Sur invitation de Teresa Radice et Stefano Turconi embarquement à la découverte des océans du globe ! Le livre, petit pavé goûteux, n’est cependant que légèreté graphique (expressifs crayonnés) et subtilité narrative. Les âmes sont révélées, l’ambiance est baignée de romantisme, l’opéra et le roman fusionnent. Touché par la grâce.






Quelques rappels à propos des BDGest'Arts

Du 15/12/2016 au 01/01/2017, bdgest.com a organisé ses traditionnels BDGest’Art. Pour la 14e année consécutive, les habitués du site (138.000 inscrits en décembre 2016) étaient invités à élire leurs favoris dans le cadre de 7 catégories.

. Récit court Europe (one shot ou dyptique)
. Série Europe
. Comics
. Manga – Asie
. Premier album
. Album Jeunesse
. Couverture

Pour chaque catégorie, un Jury a établi une présélection de 10 titres maximum publiés en 2016 soumis au vote du public. Ce Jury était composé de dix membres inscrits sur le site, parmi lesquels on trouvait cette année les administrateurs du site, des chroniqueurs réguliers et des amateurs éclairés, tous gros lecteurs de bandes dessinées.

Pour la catégorie 1er album, l'album doit être la première œuvre publiée pour l’un des auteurs au moins.

Pour participer, il suffisait d'être un visiteur enregistré sur le site BDGest.com au moment de l’ouverture du vote, c'est-à-dire le 15/12/2016.